Plus concrètement, si la demande a été brutalement dégradée par la pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement qui l'accompagnent, l'offre en revanche ne fait que croître de la part des principaux producteurs mondiaux, sur fond de guerre des prix entre Ryad et Moscou (à lire ici : L’OPEP+ vole en éclat). C’est ce déséquilibre qui exerce une pression très vive sur les prix.

Dans ce mouvement baissier, qui s’apparente davantage à un dérapage incontrôlé qu’à autre chose, il ne vous aura pas échappé que l’écart de prix séparant le cours du Brent et celui du WTI va en s'accentuant. Ce spread est toujours riche de sens et me donne l’occasion d'une bonne piqûre de rappel sur son origine : comme certains d'entre vous ont un peu plus de temps que d'habitude pour lire, profitez de l'occasion pour vous rafraîchir la mémoire avec "Brent, WTI, aux origines du spread".

Si je devais donner une astuce pour saisir rapidement le mécanisme qui régit l’écart Brent-WTI, je vous conseillerais d’étudier attentivement le niveau d’engorgement ou de désengorgement du marché pétrolier américain. Dit autrement, le spread peut drastiquement se réduire si les Etats-Unis peuvent exporter massivement leur pétrole vers le reste du monde ou si celui-ci est entièrement consommé sur place (dans le cas d’une forte demande locale, nécessitant aussi des capacités de raffinage suffisantes). Au contraire, il peut s’écarter si le pétrole US reste sur le territoire sans être consommé, sous forme de stocks. Vous l'aurez compris, l'or noir ne quitte plus les frontières américaines et le spread Brent-WTI s'écarte.

Les stocks hebdomadaires progressent pour la dixième semaine consécutive - source : Forex Factory

La chute de la demande américaine et la forte production nationale conduisent à la constitution de stocks. Par ailleurs, le pétrole à livrer en mai se négocie à un prix fortement réduit par rapport aux mois à venir, synonyme de situation connue sous le nom de contango : les compagnies optent pour le stockage plutôt que de vendre à perte, créant des situations très tendues sur les contrats arrivant à expiration du fait du roulement des positions (pour en savoir plus sur le contango : Too big to shale ?). Les réservoirs terrestres mais aussi superpétroliers se remplissent rapidement, créant une véritable tension sur les capacités de stockages US (encore une lecture ici : Les capacités de stockages américaines mises à rude épreuve).

Le Canada expérimente déjà ce problème, puisque le pays à la feuille d’érable verra ses capacités de stockage arriver à saturation dans les prochaines semaines. Certaines références canadiennes, dont le brut lourd d’Alberta, se négocient ainsi à moins de 10 USD. D'autres ont même atteint des prix négatifs récemment. En d'autres termes, les producteurs préfèrent écouler à perte leur production, faute de pouvoir la stocker.

Aux Etats-Unis, les exploitants de pipelines auraient demandé aux producteurs US de volontairement réduire leur production puisque localement, certains sites arrivent à la limite de leur capacité de stockage. Autre pratique qui sort de l’ordinaire, certaines compagnies pétrolières se tournent vers les wagons de chemin de fer pour stocker le brut qu'elles ne peuvent pas vendre.

Compte tenu du fait que les Etats-Unis ne sont qu’à l’aube de leur lutte contre l’expansion du Covid-19, il ne fait aucun doute que la saturation des capacités de stockage devra nécessairement entraîner la destruction d’une partie de l’offre américaine. C’est ce jeu de destruction qui atténuera les déséquilibres en vigueur, sauf si l’administration Trump parvient à transférer ce fardeau sur d’autres pays producteurs. Ce qui, toutefois, ne règlera pas entièrement le problème des capacités de stockage… à moins de trouver une incantation permettant de créer de la demande sur commande !