Washington (awp/afp) - En butte à l'accélération de l'inflation qui mécontente les Américains, le président Joe Biden a annoncé mardi que les Etats-Unis allaient puiser dans leurs réserves stratégiques de pétrole pour tenter de faire baisser les prix de l'essence à la pompe, une initiative rarement utilisée.

Cinquante millions de barils de brut américain vont être déversés sur le marché, accompagnés d'une contribution de la Chine, de l'Inde, du Japon, de la Corée du Sud et du Royaume-Uni. L'Inde a précisé qu'elle participerait à hauteur de 5 millions de barils.

Bien qu'inédite, cette initiative coordonnée de plusieurs pays reste symbolique. Aux yeux des marchés, son impact sur les prix devrait être de courte durée dans un contexte d'offre tendue de l'or noir alors que les pays producteurs de l'Opep s'en tiennent à leur programme de restauration progressive de leur production.

Réserves: combien et où?

Les réserves stratégiques américaines de pétrole ont été créées en 1975 pour contrecarrer les chocs pétroliers. Enfouies dans d'immenses cavernes de sel allant jusqu'à 800 mètres de profondeur le long de la côte du Golfe du Mexique, ces réserves peuvent emmagasiner jusqu'à 714 millions de barils d'or noir.

Ces réserves hautement surveillées, qui représentent la plus grande manne d'urgence de brut au monde, sont conservées dans une soixantaine de réservoirs forés dans une strate de sel répartis sur quatre sites, en Louisiane et au Texas.

Actuellement, le niveau des stocks se situe à 609 millions de barils, selon le département américain de l'Energie.

"La consommation de brut des Américains s'élevant à 19,5 millions de barils par jour, la mise sur le marché de 50 millions de barils correspond à trois jours de demande des raffineries du pays", a indiqué Andy Lipow de Lipow Oil Associates, soulignant l'aspect symbolique de la mesure.

"L'impact sur les prix ne devrait pas persister", doutaient aussi les analystes de TD Commodities.

Les précédents: guerres du Golfe et ouragans

En 1991, George H. W Bush avait ordonné le tirage de quelque 17 millions de barils pendant la première guerre du Golfe.

En 2005, c'est George W. Bush fils qui avait fait prélever dans ces réserves 11 millions de barils après le passage de l'ouragan Katrina qui avait dévasté la Louisiane et ses structures pétrolières.

En 2011, Barack Obama avait libéré pour 30 millions de barils afin de suppléer aux interruptions de livraison de Libye.

A l'inverse, en 2001, juste après les attentats du 11-Septembre, le président Bush avait ordonné par précaution un remplissage des cuves à ras bord.

Inflation contre climat

A l'heure des discours sur la nécessité de réduire les émissions dégagées par les énergies fossiles, piocher abondamment dans les réserves de brut risque de soulever des critiques.

"Ce serait contre-productif en termes d'image par rapport au changement climatique", soulignait récemment un éditorial du Washington Post. "C'est certainement une contradiction" pour le gouvernement, relevait aussi John Kilduff d'Again Capital.

"Les vrais champions de la lutte contre le changement climatique sont favorables au contraire à des prix du pétrole élevés pour permettre aux énergies renouvelables d'être plus compétitives", poursuit l'analyste.

Mais pour le président américain, l'inflation --soudainement au plus haut depuis trois décennies à 6,2% sur un an et considérablement tirée par celle des prix de l'énergie-- pourrait s'avérer être un poison politique. Lutter contre l'augmentation des prix devient donc un impératif.

"Ces hausses font mal à la cote de popularité du président", rappelle M. Kilduff.

Le prix moyen du gallon d'essence (3,78 litres) à la pompe a grimpé à 3,41 dollars contre 2,12 dollars il y a un an, selon l'association d'automobilistes AAA.

Ce niveau, encore acceptable pour l'automobiliste américain, devient problématique à partir de 4 dollars le gallon, selon les experts.

"C'est un point de rupture, parce qu'on commence alors à débourser 100 dollars pour faire le plein de son SUV. Cela capte l'attention de l'automobiliste, mine la confiance des consommateurs et ralentit l'économie", avertit John Kilduff, rappelant que toutes les récessions aux Etats-Unis ont été précédées par un bond des prix du pétrole.

afp/rp