La Chine et les États-Unis entament samedi leur première grande réunion du second round de la guerre commerciale, dans l'espoir de s'éloigner d'une situation que les analystes qualifient de perdant-perdant pour leurs économies, sans qu'il soit vraiment clair à quoi pourrait ressembler une victoire pour l'un ou l'autre camp.

La Chine se trouve au coeur de la guerre commerciale mondiale déclenchée par le président américain Donald Trump, qui a bouleversé les marchés financiers, perturbé les chaînes d'approvisionnement et accru les risques d'un net ralentissement économique mondial.

Washington souhaite réduire son déficit commercial avec Pékin et convaincre la Chine de renoncer à ce que les États-Unis considèrent comme un modèle économique mercantiliste, et de contribuer davantage à la consommation mondiale. Cela impliquerait, entre autres, des réformes intérieures douloureuses.

Pékin, de son côté, rejette toute ingérence extérieure dans sa trajectoire de développement, estimant que le progrès industriel et technologique est crucial pour éviter le piège du revenu intermédiaire. La Chine exige la levée des droits de douane américains, une clarification sur les produits que Washington souhaite voir acheter davantage par Pékin, et d'être traitée en égale sur la scène internationale.

Les deux parties semblent aujourd'hui plus éloignées que lors de leur première guerre commerciale sous le précédent mandat de Trump, et le risque d'une rupture majeure est accru.

Alors que le secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, et le principal négociateur commercial, Jamieson Greer, rencontrent le tsar économique chinois He Lifeng en Suisse, aucun de ces scénarios ne semble réaliste, selon les analystes.

Les droits de douane bilatéraux, qui dépassent les 100%, ne sont pas le seul sujet de tension lors des discussions du week-end. D'autres questions, comme le fentanyl, les restrictions technologiques ou la géopolitique, notamment la guerre en Ukraine, risquent de compliquer davantage la résolution d'un conflit commercial qui déstabilise l'économie mondiale.

Preuve que les sujets non tarifaires pèsent lourd dans les échanges, la Chine a même décidé d'envoyer un haut responsable de la sécurité publique aux discussions, selon une source proche du dossier.

« Ils ne vont rien résoudre ce week-end, si ce n'est essayer de déterminer s'il y aura un processus et quels seront les points à l'ordre du jour », estime Scott Kennedy, spécialiste des affaires chinoises au Center for Strategic and International Studies à Washington.

Le meilleur scénario pour les marchés financiers à ce stade précoce serait un accord pour abaisser les droits de douane de plus de 100% - perçus comme un quasi-embargo commercial - à des niveaux permettant la reprise des échanges, tout en restant pénalisants pour les entreprises américaines et chinoises.

Trump, qui a récemment présenté les détails d'un nouvel accord commercial entre les États-Unis et le Royaume-Uni, a indiqué que les droits de douane punitifs de 145% sur la Chine pourraient être réduits. Vendredi, il a même avancé pour la première fois un autre chiffre sur son réseau social, estimant que 80% « semble juste ». Un taux tout de même supérieur de 20 points à ce qu'il promettait lors de sa campagne l'an passé, et il n'était pas clair comment la délégation chinoise accueillerait cette proposition, si elle était présentée ce week-end.

« Je m'attends à ce que Pékin insiste pour obtenir la même exemption de 90 jours sur les droits de douane que celle accordée à d'autres pays, afin de créer des conditions favorables aux négociations », estime Ryan Hass, directeur du John L. Thornton China Center à la Brookings Institution, tout en jugeant les avancées peu probables.

« Puisque les décisions américaines d'augmenter les droits de douane ont été prises de façon arbitraire, leur réduction pourrait l'être tout autant. »

La plupart des analystes n'anticipent pas de dérogation. Mais une réduction, même minime, des droits de douane, accompagnée d'un accord sur la poursuite des discussions - incluant à terme des sujets non commerciaux comme le fentanyl - serait tout de même perçue positivement par les investisseurs.

« Si une trêve temporaire ou une réduction symétrique des droits de douane est décidée, cela favoriserait de futures négociations globales », estime Bo Zhengyuan, associé à Shanghai du cabinet de conseil Plenum.

UNE DÉ-ESCALADE TEMPORAIRE

Chacune des parties pourrait présenter une éventuelle réduction des droits comme une victoire auprès de son opinion publique, mais les usines chinoises et leurs ouvriers devraient commencer à ressentir la douleur des tarifs dans les mois à venir, tandis que les Américains font face à la hausse des prix et au chômage.

La cause profonde du conflit, elle, restera inchangée.

L'environnement commercial mondial déséquilibré, où la majorité des économies dépendent trop de la production chinoise, abordable et efficace, pour l'offre, et des consommateurs américains aisés pour la demande, ne sera pas résolu d'ici la semaine prochaine.

Mais pour l'instant, les marchés se réjouissent au moins que les deux principales puissances mondiales aient l'occasion de revenir sur une trajectoire d'escalade, qui inquiétait les investisseurs craignant que les tensions commerciales ne débordent sur la finance et d'autres secteurs.

Lynn Song, économiste en chef pour la Chine élargie chez ING, prévoit que toute désescalade ramènerait les droits de douane autour de 60%, conformément aux promesses de Trump avant l'élection.

Ce taux « resterait suffisamment élevé pour exclure de nombreux produits disposant d'alternatives », mais aussi « permettrait aux importateurs de s'approvisionner sans substitution, avec moins de douleur », explique-t-elle.

JEUX DE POSTURE RHÉTORIQUE

Avant la réunion de samedi, la plupart des préparatifs entre la Chine et les États-Unis ont été entravés par des différends sur le fentanyl, le rang des négociateurs et le ton de la rhétorique américaine, rapportait Reuters vendredi.

Des déclarations contradictoires sur l'initiative des discussions ont encore durci la communication officielle chinoise, un journal d'État évoquant une « lutte prolongée ».

Cependant, la Chine a signalé la semaine dernière, via un blog affilié à un média d'État, que participer aux discussions « ne fait pas de mal à ce stade » et que Pékin peut « saisir cette occasion pour observer, voire percer les véritables intentions américaines ».

Les analystes estiment que la stratégie de Pékin, consistant à présenter Washington comme la partie la plus inquiète et sous pression, lui permet de justifier politiquement sa participation aux discussions tout en affichant sa fermeté sur le plan intérieur.

« Nous n'observons plus qui clignera des yeux le premier, mais comment chaque camp tentera de faire passer l'autre pour celui qui a cédé », résume un diplomate basé à Pékin.