Aucune annonce fracassante n'est attendue à l'issue de la réunion monétaire de jeudi, que le président sortant devrait utiliser principalement pour convaincre les responsables de l'institution de Francfort que la décision, annoncée en septembre, de procéder à nouveau à des rachats d'actifs "aussi longtemps que nécessaire" était la bonne, estime Franck Dixmier, directeur des gestions obligataires chez Allianz GI.

"Mario Draghi devrait se livrer à un exercice d'explication et de légitimation de sa politique dans un contexte de dissension interne inédit", prévoit-il.

La baisse du taux de dépôt de 10 points de base et la mise en place d'un système de paliers ("tiering") pour la taxation des réserves excédentaires des banques font consensus au sein de l'institution de Francfort, nul ne contestant le besoin d'assouplir la politique monétaire pour lutter contre le ralentissement de l'économie européenne, prolonge Valentin Bissat, économiste senior pour Mirabaud.

"La reprise du programme d'achat d'actifs est cependant toujours très controversée, certains membres préférant réserver cette mesure pour répondre à des chocs adverses", ajoute-t-il.

"Par ailleurs, l'effet d'un programme d'achat d'actifs est plus limité maintenant que les primes à terme sont très basses et que les conditions financières sont très souples."

LES ADVERSAIRES DU QE DONNENT DE LA VOIX

La relance de l'assouplissement quantitatif (quantitative easing/QE) déplaît en effet à pas mal de monde au sein de l'institution, froissant notamment les plumes des "faucons", à commencer par celles de Jens Weidmann, l'influent président de la Bundesbank.

Le climat de discorde au sein de la BCE a été illustré en outre par la décision de l'Allemande Sabine Lautenschläger de quitter son poste de membre du directoire, trois ans avant la fin de son mandat.

D'autres ont été plus modérés, à l'image du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, qui a d'abord émis des réserves sur le calendrier choisi pour la reprise du QE avant de déclarer que les décisions prises lors du dernier conseil des gouverneurs l'avaient été légitimement.

Dans ce contexte, Mario Draghi devrait rappeler jeudi l'importance d'une politique monétaire accommodante et le besoin d'une relance fiscale pour soutenir la croissance et l'inflation, explique Valentin Bissat.

En mettant en perspective l'action de la BCE, Mario Draghi livrera en quelque sorte son testament de politique monétaire, fait valoir pour sa part Franck Dixmier.

"Il devrait notamment réitérer que la Banque centrale conserve encore des marges de manœuvre en cas de dégradation supplémentaire de l'économie ou de pressions à la baisse de l'inflation, notamment via les montants d'achats d'actifs et leurs paramètres", prévoit l'expert d'Allianz GI.

LA POLITIQUE MONÉTAIRE FAIT DÉBAT

Vénéré sur les marchés depuis son fameux "whatever it takes" de juillet 2012, autrement dit la promesse de tout mettre en oeuvre pour préserver l'union monétaire, menacée alors par la crise des dettes souveraines, Mario Draghi ne fait donc pas l'unanimité au sein de la BCE alors qu'il s'apprête à tirer sa révérence au terme d'un mandat de huit ans qu'il aura mis à profit pour profondément remanier le visage de l'institution.

"Le fait que l'opposition à la dernière décision de politique monétaire donne de la voix depuis qu'elle a été prise montre à quel point la BCE est fragile aujourd'hui", estime Carsten Brzeski, économiste d'ING.

"Quand Christine Lagarde remplacera Mario Draghi, elle aura du travail à faire pour recoller les morceaux."

La Française, dont l'expérience politique ne sera pas de trop pour convaincre les Etats de la zone euro, à commencer par l'Allemagne, de prendre des mesures de relance budgétaire, a déjà clairement laissé entendre qu'elle inscrirait ses pas dans ceux de son prédécesseur.

L'ancienne directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) va prendre la main à un moment où la politique monétaire est plus questionnée que jamais, expliquent les stratèges de CPR AM dans un livre sur les années Draghi qui vient de paraître.

Ce questionnement porte notamment sur l'efficacité des mesures mises en oeuvre, sur les effets négatifs des politiques non conventionnelles ou encore sur les faibles marges de manoeuvre dont disposent désormais les banques centrales, à commencer par la BCE, argumentent-ils.

Les auteurs du livre insistent également sur l'échec de la banque centrale à guider les prix vers son objectif d'une inflation très légèrement inférieure à 2% sur un an.

"Au début de son mandat, Lagarde devra s'efforcer de recréer un consensus au sein du conseil des gouverneurs", explique de son côté Valentin Bissat (Mirabaud). "Des sujets peu abordés jusqu'à maintenant, tels qu'une revue, voire une modification, de l'objectif d'inflation de la BCE, pourraient être mis sur la table."

(édité par Jean-Stéphane Brosse)

par Patrick Vignal