Cette clarification des liens entre les deux groupes, qui met fin à trois ans et demi d'une bataille qui se jouait devant les tribunaux helvétiques, est saluée en Bourse.

A 14h19, l'action Saint-Gobain gagnait ainsi 2,82% à 45,32 euros tandis qu'à Zurich le titre Sika s'envolait de 8,46% à 8 140 francs suisses.

"C'est un excellent accord (...) qui nous permet de sortir par le haut d'un dossier dont personne n'a jamais contesté le sens stratégique mais qui restait complexe et incertain", a déclaré le PDG du groupe français de matériaux de construction, Pierre-André de Chalendar, au cours d'une téléconférence.

"Sika (salue) cette issue positive", ont déclaré dans un communiqué Paul Hälg, président du conseil d'administration du groupe suisse, et Paul Schuler, son directeur général.

Saint-Gobain s'était entendu en décembre 2014 avec la famille Burkard, fondatrice et propriétaire de Sika, pour prendre le contrôle du chimiste suisse pour 2,3 milliards d'euros. Cette opération restait virtuellement très intéressante, puisque la capitalisation boursière de Sika n'a cessé de grimper depuis et avoisine désormais 14 milliards d'euros.

Face aux incertitudes de la procédure judiciaire, Saint-Gobain a ainsi finalement préféré renoncer au contrôle de Sika et engranger dès maintenant une plus-value.

Selon l'accord global conclu avec la famille Burkard et Sika, Saint-Gobain acquiert dans un premier temps auprès des Burkard la totalité des actions de leur holding SWH - qui portait la participation de 17% de la famille - pour 3,22 milliards de francs suisses, soit un montant supérieur de plus de 500 millions de francs suisses au prix convenu en 2014, pour tenir compte de l'augmentation de la valeur du chimiste.

Sika acquiert de son côté auprès de Saint-Gobain 6,97% de son propre capital pour 2,08 milliards de francs suisses, un montant qui inclut une prime de 795 millions de francs.

Au final, Saint-Gobain devient actionnaire de Sika à hauteur de 10,75%. Il a précisé que sa participation lui coûtait en tout 1,14 milliard de francs suisses (954 millions d'euros environ) alors qu'elle vaut aujourd'hui 1,9 milliard de francs suisses (1,59 milliard d'euros).

Le groupe français a ajouté que l'opération lui permettrait ainsi de dégager un résultat net positif de plus de 600 millions d'euros. Pierre-André de Chalendar a souligné que ce gain comptable était susceptible d'augmenter avec le cours de Sika.

En retour, les parties ont décidé de mettre fin à l'ensemble des procédures judiciaires en cours.

QUE FERA SAINT-GOBAIN DANS 2 ET 6 ANS ?

Plusieurs actionnaires de Sika, comme les fonds Columbia Threadneedle, le suisse Ethos foundation ainsi que la fondation de Bill et Melinda Gates, ont salué l'accord.

Ils n'avaient jamais accepté la perspective d'une prise de contrôle indirecte par Saint-Gobain, demandant en vain que tous les actionnaires de Sika bénéficient des mêmes termes financiers. Ils craignaient aussi que le chimiste suisse perde de son attrait en devenant une activité parmi d'autres au sein du géant français des matériaux de construction.

"Il était temps que ce conflit (...) se termine", commente Meriem Mokdad, gérant à Roche Brune Asset Management. "Cet accord est bénéfique pour les deux sociétés puisqu'elles vont pouvoir se concentrer sur leurs stratégies."

En échange de la prime consentie par Sika, Saint-Gobain s'est engagé à conserver sa part pendant au moins deux ans et à plafonner sa présence à 10,75% les deux années suivantes, puis à 12,875% pendant deux années supplémentaires.

Interrogé sur ses intentions - solder l'aventure avec une sortie définitive de Sika dans deux ans ou la poursuivre avec une montée au capital dans six - Pierre-André de Chalendar a répondu que toutes les options restaient ouvertes.

"Nous ne voulons pas décider, à ce stade, ce que sera l'horizon de temps de notre participation. Donc je ne vais pas vous dire si nous allons vendre à la fin de la période de lock-up, ou durant les six prochaines années, ou si nous allons l'augmenter après les six ans", a-t-il dit aux analystes.

"Pour le moment, nous pensons que Sika est une bonne société et nous sommes très à l'aise à l'idée d'être un actionnaire de long terme à ce niveau."

Afin d'élargir sa palette d'activités au-delà des matériaux de construction, Saint-Gobain cherche depuis plusieurs années à se développer - en interne ou par acquisitions - dans le secteur de la construction durable. C'est à ce titre qu'il s'est intéressé à Sika, spécialiste du collage pour les matériaux.

Les deux groupes ont annoncé vendredi qu'ils souhaitaient étendre leurs relations existantes, notamment en matière de relations commerciales et opérationnelles et d'innovation.

"(L'accord avec Sika) nous laisse toute la marge de manoeuvre nécessaire pour poursuivre notre stratégie d'investissements et d'acquisitions", a également indiqué Pierre-André de Chalendar.

Il a laissé entendre que le groupe pourrait accélérer cette stratégie au-delà du montant annuel de 500 millions d'euros de petites et moyennes acquisitions évoqué jusqu'ici.

Sika va de son côté convoquer le 11 juin une assemblée générale d'actionnaires pour simplifier une structure capitalistique, dont la complexité a contribué aux épisodes houleux des années passées avec la famille fondatrice.

Le groupe va supprimer ainsi une clause statutaire de désengagement (opt-out), la limitation statutaire de transfert des titres à 5%, annuler les 6,97% d'actions acquises auprès de SWH et convertir toutes ses actions en une catégorie unique sur le principe "une action, une voix".

Si l'accord de vendredi interdit à Saint-Gobain de lancer une OPA sur Sika pour au moins six ans, les analystes estiment que la simplification de la structure capitalistique du chimiste suisse et son nouveau système de droits de vote pourraient aiguiser l'appétit d'autres candidats, attirés par le chiffre d'affaires annuel de 6,3 milliards de francs suisses du groupe et sa marge opérationnelle de 14,3%.

"Sika a toujours été une cible intéressante, c'est simplement son étrange structure actionnariale qui a freiné jusqu'ici les ardeurs", commente Phil Roseberg, analyste chez Sanford Bernstein.

Interrogé pour savoir si la nouvelle structure pouvait être un catalyseur d'OPA, le président de Sika a répondu: "Je ne peux dire, ce pourrait être le cas."

(Avec Sudip Kar-Gupta, édité par Matthieu Protard)

par Gilles Guillaume et Benjamin Mallet