"Quel regard portez-vous sur le parcours du S&P 500 au cours de l’année 2015. A ce jour, l’indice phare américain enregistre une correction de 0,12% depuis début janvier ?
La quasi stagnation de l’indice S&P est somme toute assez trompeuse. Certes la performance de l’indice pris dans son ensemble est quasi nulle sur près de 12 mois. Toutefois, des écarts de performance très importants peuvent été observés entre les valeurs qui composent le benchmark. L’aversion pour le risque des investisseurs a substantiellement porté les secteurs traditionnellement perçus comme défensifs, comme la santé, la consommation non discrétionnaire. A l’inverse, des pans entiers d’activité plus dépendants à l’évolution du cycle économique ont été notablement mis à mal comme les matières premières et les financières.
Cette dichotomie déjà perceptible en 2014 s’est notablement intensifiée en 2015.

De quelle manière l’expliquez-vous ?

Par le maintien d’un environnement de taux extrêmement bas qui a contribué à nourrir chez les investisseurs la crainte de voir se concrétiser un scénario de déflation. L’absence de rendements intéressants dans la sphère obligataire a conduit les investisseurs institutionnels à rechercher des actifs plus rémunérateurs mais également « sécuritaires », autrement dit davantage immunes aux perspectives économiques de long terme.

Quelle appréciation faites-vous des valorisations exubérantes atteintes par certains titres de la cote. Après l’acronyme GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), il est question à présent de l’acronyme FANG (Facebook, Amazon, Nike, Google)...

Indéniablement les quatre sociétés dernièrement citées ont connu cette année un parcours exceptionnel. Respectivement, les performances sont de 36%, 117%, 33% et 24%. Ces valeurs ont ainsi significativement contribué à la performance de l’indice.
Face à la raréfaction de la croissance, les investisseurs ont accepté de payer encore plus chers ces sociétés jugées capables de générer une croissance structurelle de par leur business model à forte valeur ajoutée.

Peut-on escompter en 2016 une inflexion de la gestion value ?
Il est difficile de l’affirmer. Le changement de sentiment des investisseurs eu égard à la menace de la déflation pourrait effectivement conduire à une réorientation vers les valeurs value, autrement dit les titres qui présentent une valorisation boursière en deçà de leur actif net.

Ce scénario vous parait-il plausible ?

Ce scénario nous paraît tout à fait plausible. La reprise américaine semble solide. Le taux de chômage est descendu autour de 5%. Le rythme de création d’emplois est soutenu. Nous commençons à voir apparaitre des revalorisations salariales dans certains secteurs comme la restauration, les ventes au détail, l’automobile, l’aérien. Nous sommes d’avis que ces tensions salariales devraient continuer à se diffuser en 2016 dans la sphère des services. Un impact pourrait se faire sentir sur le niveau d’inflation globale dans le pays, ce d’autant plus que l’effet de base découlant du vif recul des prix des matières premières aura tendance à s’estomper. La Réserve fédérale américaine pourrait se retrouver contrainte à quelque peu accélérer son processus de remontée des taux directeurs. Une telle configuration serait susceptible d’inverser le flux sur le marché des valeurs défensives vers des valeurs plus cycliques, telles que des valeurs industrielles ou des valeurs financières.

L’allure à laquelle seront rehaussés les taux directeurs constitue ainsi un facteur primordial dans le changement de style de gestion l’année prochaine ?

Absolument. Le marché table actuellement sur deux hausses des taux par la Fed en 2016. Nous pressentons, pour notre part, trois ou quatre hausses même si nous admettons le fait que la Fed aura à cœur de ne pas resserrer trop fort ses taux pour ne pas nuire à la croissance américaine et ne pas générer de panique sur le marché.

Vous anticipez la disparition progressive de l’effet de base sur l’inflation globale induit de la chute des prix des matières premières l’année prochaine ?

Les prix des matières premières ont tellement baissé que nous avons du mal à croire que nous ne sommes pas loin des plus bas niveaux atteignables.

A quel horizon temporel peut-on espérer voir s’opérer le changement de perception du risque déflationniste chez les investisseurs et le retour vers les valeurs décotées ?

Il est très compliqué de donner un timing précis. Nous avons pu constater ces derniers jours un rebond des valeurs cycliques et des valeurs liées aux matières premières. Je pense que ce sursaut s’inscrit sur du court terme. Il est principalement du à des débouclements de positions vendeuses à découvert en cette fin d’année.

Que répondez-vous à ceux qui s’inquiètent de la longueur du cycle économique des Etats-Unis. D’aucuns n’hésitent pas à avancer que l’économie américaine serait en haut de cycle et que de ce fait existe un important risque qu’elle décélère fortement l’année prochaine ?

Nous ne partageons pas cette hypothèse. La croissance que connait l’économie américaine depuis plusieurs années est très molle, différente de ce qu’elle était avant la crise de 2008. Elle est par ailleurs dénuée d’excès. La consommation s’est avérée plutôt faiblarde cette année. L’investissement est ressorti en stagnation. En cela, nous pouvons considérer que le cycle économique dans lequel se trouvent les Etats-Unis est atypique. Par conséquent, toute référence avec la durée des cycles économiques passés souffre d’un manque flagrant de pertinence.

Quid de l’incidence que pourrait avoir la chute du cours du baril de pétrole sur la santé de l’industrie américaine ?

Il y a lieu de relever la rapidité de l’ajustement de l’économie américaine face à cette chute. Les progrès technologiques réalisés ont permis de grandement limiter les retombées néfastes. Sur les 500 000 emplois créés dans le secteur pétrolier depuis l’essor du pétrole de schiste, presque la moitié des emplois créés ont déjà été détruits en un an. La décélération progressive de la production devrait aboutir à un rééquilibrage de l’offre et de la demande et à une stabilisation du cours du baril, empêchant d’autres suppressions massives de postes.

Quels principaux risques identifiez-vous dans votre radar à la concrétisation d’un retour des investisseurs vers les valeurs décotées ?

Nous pouvons avancer deux principaux risques. Le premier est lié à une accentuation de la menace déflationniste consécutivement à un fort ralentissement de la dynamique économique aux Etats-Unis. La probabilité de voir la situation évoluer dans cette direction me semble faible.

Le deuxième danger, plus vraisemblable, a trait à un essoufflement plus prononcé de la croissance en Chine. Pour l’instant le ralentissement en cours, déduit de la transformation de l’économie chinoise d’une économie hautement manufacturière à une économie davantage axée sur les services, nous parait être maitrisé. Les chiffres publiés ne sont pas étonnant eu égard à la phase de transition traversée. Néanmoins, si nous étions amenés à distinguer un violent retournement de la composante des services, , à coup sur l’aversion pour les actifs risqués des investisseurs s’en trouverait renforcée. La gestion value en serait très desservie.

Quels secteurs vous paraissent intéressants à regarder ?

Nous pouvons mentionner le secteur des compagnies aériennes. Celles-ci ont plus de 30% de leurs couts liés au pétrole. Malgré le fort repli du cours du baril à 35 dollars aujourd’hui, et le fait que les compagnies aériennes ont déjà doublé leurs bénéfices en 2015, ces sociétés ont été mises à mal, les investisseurs considérant me semble-t-il à tort qu’elles sont assises sur un business model risqué.
Nous pouvons également citer valeurs bancaires dans l’univers des financières.
Au sein des matières premières, les secteurs des engrais et de la potasse qui sont très faiblement dépendant de la demande chinoise.
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