Tout le monde est soulagé que le scénario du “no deal” soit écarté, surtout un certain collègue que je ne citerai pas et pour qui une baignade hivernale dans le lac du Bourget était en jeu. Toujours est-il que cet accord commercial ne règle pas tout, malgré les plus de 1200 pagesqui le composent. En effet, comme cela a été relevé par de nombreux observateurs et assez curieusement, l’accord semble s’être davantage concentré sur la pêche, qui ne représente que 0,1% du PIB britannique, laissant de côté la finance, pourtant centre névralgique de l’économie britannique (7% du PIB). 

Les entreprises d’investissement britanniques perdront ainsi, dans 2 jours, leur “passeport européen”, ce mécanisme qui permet à n’importe quelle entreprise d’investissement établie sur le territoire d’un État membre d’exercer son activité dans l’ensemble des 26 autres Etats, en libre prestation de service. L’accord commercial sur les conditions de sortie du Royaume-Uni se contente pour l’essentiel de garantir l’égal accès des prestataires des deux parties : ni l’UE, ni le Royaume Uni ne peuvent être plus exigeants envers les prestataires qui chercheraient à s’installer sur leur territoire qu’à l’égard de leurs propres opérateurs. Et si l’Union européenne a la possibilité de faciliter les choses en reconnaissant que la réglementation britannique est équivalente aux exigences européennes, elle n’a à ce jour pris que de très rares décisions d’équivalence en matière financière, se laissant en effet le temps de voir comment la City va dans les prochains mois dévier ou non du cadre communautaire qui la contraignait jusqu’ici (pour plus d’informations, voir les Q&A publiées par la Commission européenne). Le Royaume-Uni et l’UE ont ainsi prévu de tenter de convenir, d'ici mars 2021, d'un “protocole d'accord établissant un cadre de coopération en matière de réglementation des services financiers”. Belle formule d’intention. Reste à voir si elle sera effectivement suivie d’effets, ce dont il est permis de douter lorsqu’on voit à quel point les négociations du Brexit ont été laborieuses.

Les conséquences concrètes pour les investisseurs ? Si vous êtes client d’un prestataire britannique, vos relations continuent comme avant. Ou presque : votre prestataire n’est désormais plus tenu par le droit européen mais soumis au seul droit britannique. L’impact est surtout notable pour les prestataires, britanniques comme européens, qui ne peuvent plus désormais s’adresser aux investisseurs situés de l’autre côté du Channel, sauf à y établir une filiale.

Voilà pour les services financiers en général. Mais si vous êtes un lecteur assidu, vous savez que j’ai comme une obsession : les conséquences du Brexit sur le PEA. On en parlait en effet ici, mais aussi , et tenez, là aussi.

Et donc, mon PEA ? 

Je vous le donne en mille : le sujet du PEA n’est pas du tout abordé au sein de l’accord commercial. Ce qui n’est en fait pas tellement surprenant : le PEA (et son petit frère, le PEA-PME) est en effet un support d’investissement purement français, défini par le Code monétaire et financier et dont la fiscalité avantageuse est prévue par le Code général des impôts. Inutile de préciser que ça ne pouvait pas être un sujet de discussion central des négociations ! En réalité, on attendait surtout de savoir si le Royaume-Uni allait nous sortir l’ultime rebondissement de cette épopée trépidante, à savoir l’annonce de son entrée dans l’Espace Économique Européen (qui réunit, rappelons-le, les 27 Etats membres de l’UE, l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein). Bien que peu probable, il s’agissait en effet du scénario le plus crédible de ceux permettant de maintenir l’éligibilité des titres britanniques au PEA au-delà de la sortie du Royaume-Uni. Ce scénario étant désormais écarté, et faute de modification des dispositions du Code monétaire et financier imposant que le siège des sociétés dont les titres sont acquis soit situé dans l’UE ou l’EEE, les titres britanniques sont donc sur le point de perdre leur éligibilité. 

Comme nous l’avions déjà expliqué, cette perte d’éligibilité est cependant à nuancer : s’il sera impossible, à partir du 1er janvier, d’acheter des titres britanniques dans le cadre d’un PEA, ceux déjà logés dans votre PEA avant cette date ne deviendront pas inéligibles de manière instantanée, à minuit le soir de la St Sylvestre. L’ordonnance n° 2020-1595 du 16 décembre 2020 tirant les conséquences du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne en matière d'assurances, de placements collectifs et de plans d'épargne en actions prévoit en effet, conjointement avec un arrêté en date du 22 décembre 2020, que les titres britanniques (qu’il s’agisse de titres vifs ou de parts et actions d’OPCVM) acquis avant le 31 décembre conservent leur éligibilité pour une durée de 9 mois, soit jusqu'au 30 septembre 2021

NB : l’ordonnance vise les titres acquis ou souscrits avant le 31 décembre 2020, ce qui veut donc dire que ceux acquis le 31 décembre ne bénéficient pas de ce maintien temporaire d’éligibilité

En cas d'acquisition d'un titre britannique à partir du 1er janvier ou de conservation au-delà du 30 septembre 2021 d'un titre britannique acheté avant le 31 décembre, le plan sera purement et simplement clôturé, pour non-respect des règles de fonctionnement. En sus de la clôture, l’épargnant subira également une sanction fiscale : son gain net sera en effet imposé, a minima aux prélèvements sociaux, mais également à l'impôt sur le revenu, selon que le manquement intervient après ou avant le 5ème anniversaire de son plan. 

Notons à titre final que, dans un souci de protection des investisseurs, l’arrêté du 22 décembre introduit une obligation d’information à la charge des teneurs de compte : ceux-ci ont la charge, avant le 1er mai 2021, d’informer individuellement les épargnants en cas de perte d’éligibilité. Le teneur de compte devra également mentionner la date de perte d’éligibilité ainsi que ses conséquences, afin que le titulaire du plan puisse prendre les mesures adéquates, sans précipitation.