Quand le rêve américain prend forme  

Ralph Lauren est l’histoire d’une énième Success Story à l’américaine. Le créateur qui a gravé son nom à sa marque est né dans le Bronx, de parents immigrés de Biélorussie après diverses campagnes antisémites dans les années 1890/1900. Passionné de mode, Ralph Lauren lance sa marque en 1967 après différents postes de vendeurs dans plusieurs boutiques. Ses propositions d’idées, notamment sur les couleurs et les formes, n'ont jamais été retenues.

Le fondateur Ralph Lauren 

Ralph Lauren se lance dans la création de cravates. Sa marque se retrouve rapidement parmi les têtes d’affiche du style preppy, un courant de mode à tendance sportswear ayant pour origine les Américains blancs de classe supérieure dans le Nord-Est des États-Unis dans les années 1950. Ce style plutôt élitiste a permis à Ralph Lauren de se positionner sur le segment haut de gamme de la mode. La marque prospère assez rapidement. Les biens connus polos à manches courtes rencontrent un succès fulgurant. Ralph Lauren réussit plusieurs coups marketings d’ampleur avec, par exemple, la fourniture de la garde-robe des films Gatsby le Magnifique de Jack Clayton et Annie Hall de Woody Allen. Dans les années 1980, la production d’accessoires pour la maison permet d'élargir la gamme, tandis que la première implantation en Europe marque le début de l’internalisation. Puis dans les années 1990, la marque fait son entrée sur le segment sportif qu’elle ne lâchera pas. Ralph Lauren noue des partenariats avec les prestigieux tournois de tennis de Wimbledon et de l’US Open, avec la Ryder Cup pour le golf et avec l’équipe américaine lors des jeux Olympiques de 2008.

Ralph Lauren ici en partenariat avec l’US Open en tennis

Ralph Lauren - on parle ici à la fois de la marque et de l’homme puisque les deux sont profondément liés - incarne cette Amérique fantasmée, cette culture de la réussite et du succès, du self-made man, du styliste aux idées novatrices. Tout cela plaît car c’est chic. Le look proposé est à la fois romantique et sauvage. Un style gentlemen mais décontracté.

Les années 2010 seront néanmoins bien plus difficiles. La marque peine à se renouveler. La croissance n’y est plus, le chiffre d’affaires et les marges baissent. La direction change plusieurs fois et aucun membre de l'exécutif ne semble être en mesure de partager un point de vue commun avec le fondateur. Stefan Larsson, dirigeant américain indissociable de l’industrie de la mode, fait partie de ceux-là. Son passage presque trop long entre 2015 et 2017 est un véritable échec. Les exercices fiscaux 2017 et 2021 - l’entreprise clôture fin avril - s’achèvent dans le rouge, un événement rarissime depuis la création de la marque.

2014 - 2021 : décroissance et rentabilité en chute (source : Zonebourse) 

Renaissance en marche

Dos au mur, le groupe comprend qu'il doit opérer des changements pour éviter la poursuite de la lente agonie. L'équipe de direction met en place un plan stratégique ambitieux. L'accent est mis sur la premiumisation qui consiste à élever continuellement l'offre pour légitimer auprès des clients des prix plus importants, compensant ainsi l'inflation (une vidéo de Xavier Delmas à ce sujet est disponible en cliquant sur ce lien). Le groupe constate que cette montée en gamme attire de nouveaux clients, renforce la satisfaction des clients existants avec des articles à plus forte valeur ajoutée, surtout sur la ligne Homme et les vêtements extérieurs qui représentent environ 10% de l'activité. Les classiques emblématiques de la marque (habits en tweed, costumes séparés, pulls en laine, etc.) concentrent le gros de l'effort tandis qu'une attention moindre est portée aux produits saisonniers puisque les possibilités d'apports en valeur ajoutée sont limitées (tee-shirt, shorts, polaires, etc.).

Pour la ligne Femme, l'entreprise constate dans sa dernière publication de résultats trimestriels une "explosion de la croissance". Un bon point d'autant qu'une importante marge de manœuvre est possible avec le public féminin qui ne représente pour l'heure que 30% des ventes totales de l'enseigne. L'espace de vente dédié aux femmes dans les magasins est en cours d'augmentation. Un important travail sur le storytelling et le marketing a aussi été adopté.

En plus de ces éléments, pour améliorer ses marges, Ralph Lauren estime que les tendances actuelles sont en sa faveur. D'ici 2025, le groupe vise une progression de sa marge brute entre 50 et 100 points de base. C’est relativement faible, certes, mais il faut surtout voir ici une rupture avec la précédente décennie où la rentabilité n’a cessé de diminuer. Pour arriver à ses fins, la marque anticipe une baisse des coûts du coton à cet horizon. Des économies sur les coûts des ventes vont être réalisées à hauteur de 400 M$. Enfin, sur le segment le plus haut de gamme de la marque, Ralph Lauren vise à se rapprocher de ce que proposent LVMH, Kering et Richemont grâce à un positionnement géographique équivalent, un retrait de la promotion et des prix similaires. Enfin, la croissance sera aussi tirée par 250 ouvertures de magasins. Le tout nécessitera des investissements assez limités (4 à 5% du chiffre d'affaires) car les changements proviennent essentiellement de mouvements en interne. Ralph Lauren jouit d’un bilan très sain avec une trésorerie excédentaire à hauteur de 427 M$.

La récente publication du troisième trimestre a montré au marché que la stratégie semble cohérente et que les objectifs pour 2025 sont réalisables. Les attentes ont été dépassées à tous les niveaux et la demande a été particulièrement soutenue par les consommateurs américains aisés. L’Amérique du Nord reste la principale région d’activité puisqu’elle représente 46,9% du chiffre d’affaires. Le reste est partagé entre l’Europe (28,5%) et l’Asie (22,1%). Les perspectives de rentabilité ont été relevées pour l’ensemble de l’année.

Le bénéfice par action est attendu en forte hausse pour les exercices à venir (source : Zonebourse) 

En dépit de sa progression de plus de 20% depuis le début de l’année, Ralph Lauren conserve beaucoup de potentiel. Un retournement semble en cours. Il s’accompagnera sans doute d’une histoire - le storytelling - différente. Et ça, les investisseurs l’apprécient en général plutôt bien. Pour que ce soit durable et définitivement crédible, les prochaines publications seront particulièrement intéressantes à suivre.