29 juin (Reuters) - La Cour suprême des États-Unis a invalidé jeudi les programmes de discrimination positive mis en place depuis les années 1960 dans les universités américaines pour corriger les inégalités raciales, en rendant une décision historique contre les universités de Harvard et de Caroline du Nord.

Cette décision prise par la majorité ultra-conservatrice de la Cour marque un spectaculaire retour en arrière qui risque de réduire sensiblement le nombre d'étudiants noirs, hispaniques ou d'autres minorités sur les campus.

"Je suis en profond désaccord avec cette décision", a réagi le président Joe Biden, qui a promis de trouver de nouveaux moyens de protéger l'"affirmative action".

L'hypothèse du vote d'une loi fédérale par le Congrès est avancée dans les rangs démocrates, même si un tel texte n'a aucune chance d'être adopté avant les élections de 2024, les républicains étant majoritaires à la Chambre des représentants.

Dans un communiqué, Harvard a dit son intention de se plier à la décision de la Cour suprême tout en cherchant un moyen de préserver ses valeurs. "Dans les semaines et les mois à venir, en nous appuyant sur le talent et l'expertise de la communauté de Harvard, nous déterminerons comment préserver nos valeurs essentielles", a-t-elle réagi.

Les juges ont donné raison au groupe "Students for Fair Admissions" (Étudiants pour des admissions équitables), fondé par l'activiste Edward Blum. Le groupe a fait valoir que Harvard, une université privée, a violé le titre VI de la loi sur les droits civiques de 1964, qui interdit toute discrimination fondée sur l'origine ethnique, la couleur ou l'origine nationale dans le cadre de tout programme ou activité bénéficiant d'une aide financière fédérale.

La Cour a invalidé par 6 voix - celles des six magistrats conservateurs - contre 3 le programme de discrimination positive à l'université de Caroline du Nord et par 6 voix contre 2 celui de Harvard.

Le président de la Cour suprême, John Roberts, s'exprimant au nom de la majorité, a déclaré que "les programmes d'admission de Harvard et de l'UNC ne peuvent être conciliés avec les garanties de la clause d'égale protection", en référence à la promesse d'une égale protection de la loi contenue dans la Constitution des États-Unis.

"En même temps, comme toutes les parties en conviennent, rien dans cet avis ne doit être interprété comme interdisant aux universités de prendre en considération l'avis d'un candidat sur la façon dont la race a affecté sa vie, que ce soit par la discrimination, l'inspiration ou d'une autre manière", a précisé John Roberts.

TRUMP SALUE "UN GRAND JOUR POUR L'AMÉRIQUE"

"La discrimination positive est une discrimination systémique", a écrit le sénateur républicain Tom Cotton sur Twitter. "Je suis heureux que la Cour suprême ait jugé que cette discrimination était contraire à la Constitution. Les admissions doivent être décidées sur la base du mérite, et non de la couleur de la peau."

L'ancien président et candidat à l'investiture républicaine pour la présidentielle de 2024, Donald Trump, a salué dans cette décision de la Cour "un grand jour pour l'Amérique". "Les personnes dotées de capacités extraordinaires et de tout ce qui est nécessaire pour réussir (...) sont enfin récompensées", a-t-il déclaré dans un communiqué.

La juge libérale Sonia Sotomayor a pour sa part estimé dans une opinion dissidente que la décision "subvertissait" la garantie constitutionnelle d'une protection égale et revenait à renforcer les inégalités raciales dans l'éducation.

"Aujourd'hui, cette Cour (...) fait reculer des décennies de progrès considérables", a-t-elle écrit, jointe par les juges libérales Ketanji Brown Jackson et Elena Kagan.

De nombreux établissements d'enseignement supérieur, entreprises ou responsables de l'armée soutiennent depuis longtemps la discrimination positive sur les campus. Selon eux, elle permet de remédier aux inégalités raciales et de rendre la société américaine plus inclusive tout en favorisant l'émergence de talents.

Environ 40% des établissements d'enseignement supérieur américains prendraient en compte l'origine ethnique de leurs étudiants d'une manière ou d'une autre, selon Harvard. La fin de cette pratique risque d'entraîner une baisse significative des inscriptions d'étudiants issus de groupes sous-représentés, ont mis en garde les deux universités. (Rédigé par Andrew Chung à New York, avec Caitlin Webber, Rami Ayyub et Doina Chiacu ; version française Gaëlle Sheehan, édité par Tangi Salaün)