Episode 1 : Une preuve de réserve peu convaincante 

A la suite de l’effondrement de la plateforme FTX, les plateformes d’échange de cryptomonnaies ont voulu rassurer leurs utilisateurs. La solution miracle a été de divulguer leurs réserves. Il s'agissait de montrer aux yeux du monde entier que les exchanges détenaient pleinement les actifs de leurs utilisateurs. 

Le rapport de "preuve de réserves" de Binance (qui n’est plus lisible à l’heure de la rédaction de cet article), qui a été confié entre les mains du cabinet d’audit Mazars, était positif, suggérant que Binance disposait de suffisamment de liquidités pour répondre exactement à 101% des passifs financiers totaux. Ce chiffre ne concerne que les bitcoins détenus par la plateforme. Binance a déclaré qu'il commencerait à publier des informations sur d'autres jetons dans les semaines à venir.

"Il est important pour nous de montrer aux utilisateurs que les coffres ne sont pas vides, comme chez FTX", a déclaré le directeur de la stratégie de Binance, Patrick Hillmann .

101% ? Pas vraiment 

Sur le rapport de Mazars se trouvait une section intitulée “détails du rapport”, qui se composait de trois lignes, chacune libellée en bitcoins. Une première ligne était étiquetée "solde du rapport de responsabilité client" et affichait un solde de 597 602 bitcoins. Une deuxième ligne étiquetée “rapport sur le solde des actifs”, affichait un solde de 582 486 bitcoins. 

Le résultat est que le total des passifs en bitcoins cités dans la lettre de Mazars était supérieur de 3 % aux actifs en bitcoins inclus dans le champ d'application du rapport le 22 novembre. En d'autres termes, Binance n'a pas respecté parfaitement son ratio 1 : 1 de réserves sur les actifs des clients. 

Le troisième ligne  était étiqueté "solde net du passif (hors actifs dans le champ d'application prêtés aux clients)" et montrait un chiffre du passif qui avait été ajusté à la baisse d'environ 21 860 bitcoins à 575 742 bitcoins. Binance a noté qu'il permettait aux clients d'emprunter des actifs par le biais de prêts ou de comptes sur marge.

Sur cette base ajustée, le rapport de Mazars a montré que les passifs étaient inférieurs à 1% des actifs, ce qui a conduit Mazars à déclarer que "Binance était garantie à 101 %" lors de l'utilisation de cette méthodologie. La porte-parole de Binance, Jessica Jung, a déclaré que la différence de 21 860 bitcoins était "constituée de prêts BTC accordés aux clients via le programme de prêt Binance" et que "la garantie de ces prêts n'est pas en BTC, mais dans d'autres devises". 

En réalité, la lettre n'est pas un rapport d'audit et n'aborde pas l'efficacité des contrôles internes des données financières de Binance. Quid des dettes de la plateforme ? Mazars a indiqué que le rapport "n'exprimait pas d'opinion ou de conclusion d'assurance", ce qui signifie qu'elle ne se portait pas garante des chiffres. La cabinet d’audit a aussi déclaré avoir effectué son travail en utilisant des "procédures convenues" demandées par Binance et que "nous ne faisons aucune déclaration quant à la pertinence" des procédures. Des déclarations qui font réfléchir quant à la pertinence du rapport d’audit. Rappelons que Binance, qui n’est pas cotée en bourse, n'est pas tenue de produire des états financiers audités et n'a pas publié de document qui donnerait un aperçu complet de sa situation financière ou de sa liquidité. Binance n'a pas non plus indiqué son intention de le faire. Du moins jusqu’à présent. 

Le scepticisme généralisé à l'égard du rapport - que les utilisateurs ont critiqué pour son manque de rigueur et ses divulgations sélectives - a déclenché les premières craintes concernant la solidité financière de Binance. 

Episode 2 : Une enquête criminelle 

Lundi, Reuters a rapporté que les procureurs américains envisageaient des accusations criminelles contre Binance et certains de ses dirigeants, dont Zhao. Le rapport mentionne qu'une enquête - l'une des nombreuses enquêtes en cours sur l'entreprise menées par les forces de l'ordre à l'échelle internationale - de plusieurs années avait rassemblé de nombreuses preuves prouvant que Binance ne s'était pas conformé aux lois américaines contre le blanchiment d'argent.

Les procureurs ont commencé à enquêter sur Binance en 2018 après une série d'affaires dans lesquelles des criminels ont utilisé Binance pour transférer des fonds illicites, selon Reuters. D'autres procureurs estiment que davantage de preuves doivent être rassemblées avant qu'une affaire pénale puisse être déposée, provoquant une scission au sein du ministère de la Justice. Binance a réfuté l'article de Reuters dans un communiqué, en mettant en avant qu’ils répondent aux questions des enquêteurs avec succès depuis plusieurs années.

Bien que nous n’en savons pas bien plus à l’heure actuelle, le rapport de Reuters a alimenté encore un peu plus les craintes envers le géant Binance, ce qui a provoqué des retraits massifs sur la plateforme. Plus de deux milliards de dollars ont été retirés de la plateforme entre le 12 et le 13 décembre selon le fournisseur de données blockchain Nansen.

Les sorties étaient suffisamment importantes pour forcer Binance à suspendre temporairement les retraits de l'USDC, le deuxième plus grand stablecoin - un instrument vital sur les marchés financiers s’adossant à des actifs numériques - qui reste "indexé" sur le prix d'un dollar.

Episode 3 : La suspension des retraits de stablecoins

Mardi, Binance a déclaré qu'il "suspendrait temporairement" les retraits de l'USDC. "Nous avons constaté une augmentation des retraits de l'USDC", a écrit le directeur général de Binance, Changpeng Zhao, sur Twitter “Le canal pour passer de PAX/BUSD à USDC nécessite de passer par une banque à NY en USD. Les banques ne sont pas ouvertes avant quelques heures. Nous pensons que la situation sera rétablie à l'ouverture des banques.”

Autrement dit, dans cette courte communication peu convaincante, CZ a déclaré qu'il devait suspendre les retraits de l'USDC afin de faciliter un "échange de jetons" de stablecoins USDC contre ses propres stablecoins BUSD - une sorte de mesure pratique nécessaire pour assouplir la liquidité pour de nouveaux retraits.

Rappelons qu’en septembre dernier, Binance avait mis fin à la prise en charge du trading avec de l'USDC sur sa plateforme, une décision qui avait déjà provoqué de nombreux étonnements à l'époque, car l'USDC est le deuxième plus grand stablecoin au monde et un concurrent direct du stablecoin original de Binance, le BUSD. Bien que la plateforme permette toujours aux clients de stocker l'USDC dans ses services de garde, s'ils souhaitent retirer des USDC, il doivent être convertis en un autre stablecoin pris en charge par les systèmes de Binance, comme Binance USD (BUSD) ou Paxos Standard (PAX).

Un jour après avoir repris les demandes de retrait pour le stablecoin USD Coin (USDC), et après les avoir interrompues pendant plusieurs heures, Zhao a qualifié la récente volatilité de "comportement normal du marché". "Nous détenons les actifs des utilisateurs un à un", a-t-il déclaré mercredi lors d'une conversation sur Twitter Spaces. "Aucun montant de retraits ne peut nous mettre sous pression."

Cependant, la suspension a suscité l’inquiétude de certains utilisateurs qui ont vu la suspension des retraits comme un autre signal que Binance pourrait ne pas garantir entièrement les actifs des utilisateurs. Pour rappel, la suspension des retraits de stablecoins a été l'une des dernières actions que FTX a prises avant de déposer son bilan. Concernant les rebondissements autour de FTX et de Sam Bankman-Fried, je vous donne rendez-vous dans le Crypto Recap de vendredi pour décrypter les dernières actualités. Pour en finir sur le cas Binance, nous ne savons pas encore jusqu’où cette “crise” va s’étendre, peut-être qu'elle est déjà terminée, mais une chose est certaine, les doutes qui planent autour de Binance rajoutent une couche de méfiance envers l’entièreté de l’écosystème des cryptomonnaies.

Changpeng Zhao a déclaré à son personnel qu'il s'attendait à ce que les "prochains mois soient mouvementés", mais que Binance s'en sortirait et serait "plus fort pour l'avoir traversé", selon un rapport de Bloomberg. Affaire à suivre...