Il y a un an, l’inflation était un sujet qui n’avait d’intérêt que pour les initiés. Ça parlait covid, création monétaire et perturbation des chaînes d’approvisionnement, mais consommateurs et opérateurs étaient loin de s’imaginer que les prix s'envoleraient de plus de 7.5% en glissement annuel dans la zone Euro. A la limite, celui qui effectuait des travaux dans sa maison avait pu constater relativement tôt que les matériaux dont il avait besoin mettaient plus de temps à arriver et coûtaient un peu plus cher. Idem pour celui qui souhaitait mettre la main sur une console de jeux ou une voiture électrique.

Pour les banques centrales, la conduite à tenir était celle du “quoi qu’il en coûte” et le nombre d’individus infectés était sans aucun doute la principale variable d’ajustement.

La nuit du 23 au 24 février et ce qui s’en est suivi a bousculé pas mal les choses, en anéantissant les espoirs d’atterrissage des prix en douceur. Alors que dix jours plus tôt, Christine Lagarde venait d’admettre que les banquiers centraux avaient sous-estimé l’inflation, la déclaration de guerre de Vladimir Poutine venait “remettre une pièce” dans la machine inflationniste, pour utiliser une expression triviale mais plutôt en phase avec le sujet. A partir de là, l’équation est devenue encore plus complexe pour pas mal de monde

Les économistes ne sont pas tous d’accord au sein d’une même institution et les divergences se creusent entre les politiques monétaires menées aux Etats-Unis et en Europe. Alors comment un investisseur particulier peut-il avoir la moindre idée de la stratégie à adopter dans ce genre de période. Peut-il vraiment anticiper quoi que ce soit ou doit-il se contenter de suivre les marchés avec un peu de retard ?

En Europe, l’analyse est d’autant plus difficile qu’il existe une seule politique monétaire pour 19 économies qui n’ont pas toutes les mêmes caractéristiques. Notre gouvernement semble pour l’instant s’en sortir relativement bien avec les mesures mises en place dont nous avons entendu parler à mainte reprise pendant le débat de mercredi. Notre indice des prix à la consommation s’élève à 4,5% en mars 2022 alors qu’il est presque deux fois plus important chez nos voisins Allemand et à deux chiffres en Espagne.

La semaine dernière, Christine Lagarde a tenu à préciser que la BCE s’attaquerait aux taux seulement après avoir mis fin au QE au cours du 3e trimestre2022 (la date exacte pourrait être précisée lors de la prochaine conférence de presse). Elle a ajouté que la politique monétaire resterait très flexible pour subvenir aux problèmes que le conflit Russo-Ukrainien pourrait engendrer s’il venait à perdurer (elle avait l’air très inquiète).

Bref, tout ça pour vous dire qu’essayer d’expliquer, dans ce contexte, les fluctuations de marchés dans le but de les anticiper est un vrai casse-tête. Le plus simple est peut-être de regarder ce qui marche depuis le début d’année, et de veiller à accorder une petite place à ces valeurs dans son portefeuille dans le cas où le conflit et l’inflation dureraient.

Si l’on en croit notre heatmap du Stoxx600 (SXXP) : l’énergie, la santé, les matériaux de base et les services financiers ne s’en sortent pas trop mal avec des performances respectives d’environ +17%, +2.2%, +1.13% et -1.44% (oui oui ce n’est pas trop mal -1.44%). Si l’on rentre dans le détail, c’est en particulier l’industrie métallurgie/extraction (+20%), les assureurs (+3.3%) et les entreprises de tous secteurs qui ont du pricing power qui nous intéressent.

 

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Heatmap du STOXX600 (SXXP) au 22/04/2022. Source : Zonebourse

Par exemple, les bancaires s’en sortent plutôt bien. Leurs bilans sont plus solides que jamais et leurs activités traditionnelles regagnent un peu d’intérêt dans un contexte de hausse de taux. Ce sont surtout les assureurs (pour qui une baisse de taux est un véritable poison) qui reviennent sur le devant de la scène. Le Crédit Agricole S.A, qui est à la fois la première banque de détail française et le premier assureur hexagonal, joue sur les deux tableaux. J’avais pris le temps de présenter en détail le fonctionnement (complexe) du groupe dans un article dédié.

Au travers de ce papier je souhaiterais surtout vous présenter deux autres valeurs qui me semblent pertinentes dans le contexte actuel. Les abonnés ont aussi accès à notre liste thématique "Pricing power" en cliquant sur ce lien.

Virbac : business original, pricing power et bonne dynamique.

Le français Virbac est le septième groupe mondial de santé animale. Fondé puis mené d’une main de maître par Pierre-Richard Dick, disparu en 1992, le groupe est resté sous le contrôle de la famille : ils possèdent un peu moins de 50% du capital et plus de 2/3 des droits de vote. Le groupe mêle croissance interne et externe et renforce depuis plusieurs années sa présence aux US et en Asie. Le parcours boursier de l’entreprise est assez intéressant : après plusieurs années de dur labeur à assainir le bilan de l’entreprise, suite à l’acquisition auprès de Novartis de la gamme Sentinel jugée trop chère, et le grave incident de production de son usine américaine, l’action Virbac s’envole et réalise une performance de +78% en 2021.

Le 14 avril, l’entreprise a publié ses résultats du premier trimestre 2022. Le CA s’établit à 318M€, en hausse de 19.3% par rapport au Q1 2021 (16.2% à taux de change comparable). Ce chiffre est d’ailleurs bien supérieur aux estimations des analystes qui s’établissait autour des 285M€ (taux de surprise de 11.5%).  Cette croissance s’explique principalement par le dynamisme du segment animaux de compagnie (antiparasitaires, vaccins, antibiotiques, anesthésiques, anti-inflammatoires…) qui affiche une hausse des revenus de 19.5% à taux constants.

En plus d’un effet volume conséquent, l’entreprise a su bénéficier d’un effet prix positif d’environ 3%. Plutôt rassurant dans ce contexte inflationniste. Sur l’ensemble de l’exercice, les analystes s’attendent tout de même à ce que la marge nette du groupe recule de 40 pdb.

Le développement se poursuit en Asie avec une croissance des revenus impressionnante de 22.5% dans cette région (Inde et Australie principalement). La croissance est aussi à deux chiffres en Europe (région qui représente environ 42% du CA) et aux US (un peu plus de 11% du CA). Les revenus grimpent de 10.4% et 17.5% respectivement dans ces régions.

Le segment animaux d’élevage lui aussi se porte bien, en progression de 13.3% à taux constants. Sur le business dans sa globalité, la fourchette basse des estimations de croissance de CA pour 2022 correspond à la progression attendue pour le marché, soit 5%. Mais la direction financière sait pertinemment que les résultats de Vibrac peuvent évoluer à un rythme bien supérieur à celui de son marché.

ArcelorMittal : leader mondial qui profite du récent rebond de l’acier.

Dans un contexte inflationniste, les commodities surperforment nettement les autres classes d’actifs. Au sein des marchés actions, les acteurs du secteur des matériaux de base sont généralement bien positionnés pour tirer profit de cette tendance. Sachant qu’ils sont les plus proches du problème, ils le reportent sans trop de difficultés sur leurs clients et réussissent à créer un effet prix positif. Cela est encore plus vrai pour un sidérurgiste comme ArcelorMittal qui est presque insensible à la variation du prix des minerais du fait qu’il exploite ses propres mines (Il convient tout de même rappeler que les haut-fourneaux fonctionnent au gaz et que c’est loin d’être les soldes de ce côté là). 

Après sa chute de 50% depuis ses plus hauts, la tonne d’acier s’envole de nouveau pour s’établir autour des 1500$. Cet environnement est favorable au groupe ArcelorMittal, numéro 1 mondial de la sidérurgie, faiblement exposé au marché Ukrainien. Depuis le début du conflit, les analystes ont revu à la hausse leurs estimations pour le BNA 2022 de plus de 20%. Le producteur d’acier, qui se concentre depuis plusieurs années sur les segments à forte valeur ajoutée (automobile principalement) et qui bénéficie de la réduction des exportations d’acier chinois, nous semble relativement bien positionné pour surperformer les marchés européens sur le moyen terme.

Il est bon de noter que le groupe publiera ses résultats trimestriels le 5 mai. Depuis 2 ans le groupe nous a agréablement surpris avec des publications trimestrielles fréquemment au-dessus des attentes sur l’ensemble des postes du compte de résultats. Selon les analystes, le FCF devrait s’établir à 8.8 Md$ sur l’exercice 2022.

C’est un dossier très intéressant, mais sensible puisqu’il pâtit des incertitudes cycliques. Nous surveillons attentivement le range qui s’établit entre 24 et 31€. Une sortie de ce range à la hausse serait un fort signal d’achat pour viser 36/39€.