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NEW YORK (awp/afp) - Les rachats d'actions ont affiché trois records trimestrielsde suite aux Etats-Unis, et devraient poursuivre sur leur lancée au quatrième trimestre 2018, malgré des critiques croissantes du monde politique dans un contexte de ralentissement économique.

Les 500 plus grosses entreprises cotées aux Etats-Unis et regroupées dans l'indice S&P 500 ont dépensé 203,8 milliards de dollars au troisième trimestre 2018 pour racheter leurs actions, le troisième record trimestriel de suite, d'après la société S&P Dow Jones Indices.

Cette pratique permet aux entreprises de dynamiser leur cours de Bourse. En rachetant leurs actions, elles réduisent le nombre de titres en circulation et augmentent donc mécaniquement le niveau de leur bénéfice par action, un indicateur scruté au moment de la publication de leurs résultats.

Une annonce en ce sens suffit souvent à voir bondir son cours boursier. Boeing s'est par exemple envolé de 3,8% le 18 décembre après avoir porté son plan en cours de 18 à 20 milliards de dollars.

Parfois toutefois, cette stratégie peut s'avérer coûteuse, à l'instar d'Apple qui a perdu 9 milliards de dollars cette année d'après le Wall Street Journal. Le groupe a en effet racheté ses actions au prix fort en cours d'année avant que le titre ne s'effondre en fin d'année.

Ces politiques ont été facilitées par une généreuse réforme fiscale adoptée par l'administration Trump qui a rempli les coffres des entreprises, ainsi que par des conditions d'emprunt bon marché, leur permettant de s'endetter pour financer ces rachats.

Bien qu'il fasse le bonheur des actionnaires, cet argent déversé fait l'objet de nombreuses critiques, dans la mesure où les fonds dépensés le sont au détriment de l'investissement de long terme. Le sénateur républicain Marco Rubio veut notamment proposer une législation visant à les endiguer.

"Extrêmement inégalitaire"

Selon une tribune du sénateur au magazine The Atlantic, les sociétés devraient pouvoir déduire fiscalement le coût de la construction de nouvelles usines. A l'inverse, "une entreprise qui déciderait d'utiliser les économies de la réforme des impôts pour racheter ses actions ne bénéficierait d'aucun avantage fiscal".

Cette proposition s'inscrit dans un contexte social lourd, à l'image de l'annonce de General Motors le mois dernier de fermer cinq usines en Amérique du Nord, tout en continuant à racheter ses actions.

Trois sénateurs démocrates ont appelé le constructeur à suspendre les 3,4 milliards de dollars restants de son programme de rachat d'actions actuel, estimant qu'il "détournait" les investissements que l'entreprise pourrait porter au véhicule électrique et autonome, sans avoir besoin de licencier.

De plus, loin de profiter aux classes populaires, cette pratique est "extrêmement inégalitaire", explique Josh Bivens, directeur de la recherche à l'Economic Policy Institute, un centre de réflexion. Seulement 10% des Américains détiennent 90% du stock d'actions, selon certaines études.

"J'ai du mal à imaginer des actions (politiques) d'envergure de sitôt", anticipe toutefois M. Biven. Il regrette que "les dirigeants d'entreprises parviennent aisément à influencer le Congrès" en la matière.

FedEx et Lowe's fragilisés

Plusieurs analystes pensent cependant que ces rachats pourraient chuter en cas de ralentissement économique. A la mi-décembre, des responsables de FedEx ont affirmé qu'ils hésitaient à poursuivre leurs rachats après le recul de leurs prévisions de bénéfices.

Le groupe de grande distribution Lowe's a vu sa note financière dégradée par l'agence S&P après l'annonce mi-décembre d'un plan de 10 milliards de dollars de rachat d'actions, source, selon l'agence de notation, d'un risque d'alourdissement de sa dette.

Un brusque recul de ces plans pourrait "avoir des implications" sur les cours de Bourse, prédit Frances Donald, à la tête de la stratégie d'investissement pour Manulife Asset Management. Ils sont actuellement déjà soumis à rude épreuve avec un pic de volatilité à Wall Street.

"Il est difficile de s'en détourner lorsque vous avez commencé à vous y mettre", affirme Howard Silverblatt, analyste senior pour S&P Dow Jones Indices. Le recul du prix des actions peut toutefois rendre ces rachats moins onéreux, tempère-t-il, anticipant de ce fait un maintien de cette politique à un niveau élevé.

A titre de comparaison, les rachats ont plongé en 2009, juste après la crise, mais ont rapidement repris ensuite. Les entreprises y ont consacré 43% de leurs bénéfices en 2010 et 51% en moyenne entre 2010 et 2017, rappelle Nicholas Colas, analyste pour DataTrek.

"Les rachats d'actions ne disparaitront pas si la (prochaine) récession n'est pas catastrophique", observe-t-il.

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