Dans une note mesurant l’impact de la crise sanitaire sur les valeurs moyennes françaises, les analystes financiers de Portzamparc constatent un impact massif sur l’activité des valeurs suivies par le bureau mais surtout sur les bénéfices, malgré les dispositifs de soutiens gouvernementaux exceptionnels. Un impact hétérogène bien sûr selon les sociétés, dans son ampleur et dans sa durée, souvent au-delà de 2020. Entretien.

Dans une étude transverse, vous dressez l’impact de la crise sur les résultats des PME et ETI cotées à Paris. N’est-il pas un peu tôt pour tirer des conclusions ?

"Il s’agit d’un premier bilan. Depuis le début de la pandémie, nous avons révisé les scénarios de l'ensemble de notre univers de couverture, sous l'hypothèse d'une reprise graduelle de l'activité post-confinement. La visibilité reste cependant limitée sur l'ampleur et la durée de cette crise sanitaire comme de la crise économique qui s'en suit. Soit car les sociétés ne peuvent pas à ce stade évaluer les impacts sur leurs comptes 2020 et 2021, soit car les consensus s'ajustent sur la base d'hypothèses forcément aléatoires. Les révisions baissières sont significatives mais nous semblent généralement insuffisantes. Une seconde vague de révision est probable, tant sur le consensus que sur nos prévisions."

Globalement, sur les valeurs que vous suivez, quels éléments clés en ressortent ?

"Dans la plupart des cas, l'impact est significatif et n'est que partiellement compensé par les dispositifs gouvernementaux. Sur 2020, nous avons abaissé en moyenne de 13% nos estimations de CA, de 44% celles de ROC et de 76% celles de BPA. Nous attendons une baisse médiane de 3,1% pour le CA, de 11,1% pour le ROC et de 16,4% pour les BPA. Le nombre de valeurs attendu en pertes en 2020 a été multiplié par 3,5x. Pour 2021, nous attendons un rebond mais nos prévisions ont été revues en baisse en moyenne de 9,5% pour le CA, de 26,9% pour le ROC et de 30,3% pour les BPA. Enfin, le taux de croissance annuel moyen 2019-2021 a été significativement abaissé : de 7,5 pts en moyenne pour le CA, de 15,4 pts pour le ROC et de 16,5 points pour le BPA."

Evolution médiane des bénéfices par actions (BPA) depuis le 1er mars 2020 (source : Portzamparc BNP Paribas)

Evolution médiane des bénéfices par actions (BPA) depuis le 1er mars 2020 (source : Portzamparc BNP Paribas)

Quels sont les secteurs les plus touchés par cette crise ?

"Parmi les secteurs les plus affectés, nous retrouvons notamment :

  • les valeurs la consommation et l’industrie : baisse de la demande, fermeture d'usines, problématiques d'approvisionnements, difficultés d'exportations… Quelques exemples : Manitou, Actia Group, Akwel, Clasquin, Seb…
  • les matières premières : baisse des volumes et des prix. Nous pouvons citer Eramet et Ecoslops.
  • le tourisme/loisirs et l'évènementiel/communication : arrêt anticipé de la saison ski, fermeture des parcs de loisirs et résidences de vacances le temps du confinement, peu de visibilité sur la saison estivale et à moyen terme, la dégradation de la confiance des consommateurs avec un impact direct sur la consommation discrétionnaire, report de la majorité des salons et évènements marketings, risque de baisse de fréquentation… C’est le cas de Beneteau, Compagnie des Alpes, Pierre & Vacances, GL Events, HighCo…".

Et les plus résistants ?

"Les valeurs relativement préservées sont à trouver généralement parmi les valeurs de :

  • la santé : secteur défensif par nature, les activités sont souvent considérées comme essentielles voire stratégiques (Biomérieux). Certaines valeurs ont de plus bénéficié d'une appréciation parfois forte de leur cours de Bourse à la suite d’annonces dans le domaine de la lutte contre le Covid-19.
  • l'agro-alimentaire : secteur défensif par nature, hausse de la consommation à domicile. Le niveau de résilience varie toutefois en fonction du mix d'activité (difficultés dans la restauration hors domicile, le catering aérien, les produits propices à la consommation sur les lieux de travail, etc). Par exemple, LDC et Bonduelle résistent bien tandis que Fleury Michon nous semble plus affectée.
  • les énergies renouvelables : prix très majoritairement garantis, pas d'effet volume (obligation d'achats), nombreuses mises en service issues des investissements des années précédentes… Exemples : Albioma, Neoen, Voltalia, Mcphy."

Où en est le niveau moyen de valorisation de la classe d’actifs par rapport aux grandes valeurs ?

 "Les années 2020 et 2021 sont difficiles à prévoir et peu représentatives de la capacité bénéficiaire des sociétés, ce qui rend les multiples de résultats peu significatifs. Un ratio plus statique comme le prix sur actif net serait plus pertinent. La visibilité sera certainement meilleure à l’automne, nous en saurons alors davantage sur la façon dont les entreprises ont ajusté leurs coûts et sur la reprise de la demande, secteur par secteur. D’ici là, 2019 restera la meilleure année de référence et celle-ci suggère une décote d'environ 20% des valeurs moyennes par rapport aux grandes capitalisations, ce qui est inhabituel et démontre une certaine prudence du marché. Il faut néanmoins avoir en tête que la valorisation est presque secondaire aujourd’hui dans la décision d’investissement par rapport d'une part à l'impact à long-terme de la crise sur la demande - avec typiquement une réponse différente selon qu’une société opère dans le secteur du tourisme ou de la transformation digitale – et d'autre part la solidité financière de l’entreprise qui lui permettra de traverser la crise sans levée de fonds dilutive voire d’en sortir renforcée vis-à-vis de la concurrence."

Changements d’objectifs de cours par le cabinet depuis le 1er mars 2020 (source : Portzamparc BNP Paribas)

Changements d’objectifs de cours par le cabinet depuis le 1er mars 2020 (source : Portzamparc BNP Paribas)

Les opérations financières (levées de fonds, M&A…) ont été mises en sommeil depuis quelques semaines. Pour longtemps ?

 "A très court terme, il est clair que nombreuses sont les sociétés qui auraient besoin de renforcer leur bilan. Cependant, les opérations devraient être rares avant l'automne, quand le marché aura plus de visibilité sur le degré de reprise de l'activité. La fin de l’année sera donc plus propice aux augmentations de capital, avec en priorité des opérations sécurisées par un actionnaire de référence comme les fondateurs (Ex. SRP Groupe) ou des opérations qui ne peuvent pas attendre (ex. Vallourec). Quant au M&A, là aussi la visibilité fera défaut lors des prochains mois, notamment sur le financement de l'opération, et les équipes de direction sont déjà suffisamment mobilisées par leurs propres problématiques opérationnelles. Concernant les offres publiques en particulier, dans le cadre de l’urgence sanitaire, une ordonnance gouvernementale allonge les délais de recours, ce qui n’incite pas à lancer une opération à court-terme…".

Pour une fois, les particuliers ont profité de la baisse des marchés pour revenir en Bourse. Quelles valeurs offrent une opportunité d’achat dans les cours actuels pour un investisseur dans la durée cherchant une entreprise de qualité ?

 "Dans la première phase de baisse, les cours ont évolué de façon assez homogène. Une plus forte discrimination commence à s’opérer mais il reste en effet des opportunités à saisir sur des dossiers aux fondamentaux solides.

Dans le conseil en numérique et en management, Wavestone a notre faveur. La société est bien sûr impactée à court terme car ses projets se situent en amont et qu’elle dispose d’un carnet de commande court, avec une visibilité à 3-4 mois maximum. Pour autant, les besoins à long-terme de ses clients devraient rester élevés, la société est historiquement très bien gérée et dégage des marges à deux chiffres (ce qui est élevé pour une société de services), avec des perspectives qui restent bénéficiaires en 2020. La société saura jouer sur son turnover pour amortir une pression sur les prix qui devrait, logiquement, se faire ressentir. Son bilan est sain, l’activité est peu capitalistique, et la société continuera à consolider son marché avec succès dans les prochaines années... 

Dans l’énergie, alors que les sociétés positionnées sur les énergies renouvelables ont plus que résisté, une société comme Rubis a été fortement chahutée en Bourse. Certes, la crise actuelle réduit la consommation de produits pétroliers et gaziers, impactant les volumes. Cependant, les marges devraient rester bien orientées et la société a les moyens financiers d’accélérer sa stratégie d’acquisition sur ses deux métiers, à la fois sur le stockage où la déconsolidation comptable de la branche lui offre de nouveaux moyens financiers, et sur la distribution où les grands groupes pétroliers seront encore plus enclins à céder leurs actifs. La qualité du dossier et sa résilience, illustrée par la confirmation du dividende, justifient de meilleurs niveaux de valorisation.

Parmi d'autres valeurs que nous recommandons, citons SPIE, Mersen, LDC, GTT, Bastide ou Infotel."