par Dan Wilchins et Jennifer Ablan

Le sentiment que la crise financière fait des victimes de plus en plus grosses nourrit la défiance des investisseurs et favorise le repli sur les valeurs refuges.

Vers 13h00 GMT, l'indice paneuropéen FTSEurofirst 300 cédait 4,6%, le Cac 40 à Paris 5%, le FTSE londonien 4,7% et le Dax allemand 4%.

Le secteur bancaire reculait de près de 9% et l'assurance 7,9% avec des baisses dépassant 10% pour de grands noms tels qu'UBS, Crédit agricole ou Axa.

Les investisseurs s'interrogent sur l'identité de la prochaine victime de la tempête et le nom de l'assureur American International Group (AIG) est le plus souvent cité. Le New York Times a rapporté qu'AIG, ex-première capitalisation boursière mondiale du secteur de l'assurance, avait approché la Fed en vue de trouver 40 milliards de dollars de financements à court terme.

La banque centrale américaine a annoncé que, pour la première fois depuis sa création, elle allait accepter des actions en guise de collatéraux pour des prêts de liquidités. Parallèlement, dix grandes banques internationales ont créé un fonds d'urgence de 70 milliards de dollars (49 milliards d'euros), dans lequel chacune d'entre elles pourra puiser en cas de besoin urgent.

"LA SURVIE DES PLUS FORTS"

L'enchaînement des événements traduit une restructuration en profondeur du modèle bancaire américain, avec la disparition de plusieurs banques d'investissement indépendantes et le renforcement des grands groupes diversifiés comme Bank of America ou JPMorgan Chase & Co.

"On est revenu au capitalisme le plus pur: la survie des plus forts. L'Etat ne peut et ne veut pas renflouer tout le monde", explique Justin Urquhart Stewart, directeur de l'investissement de 7 Investment Management à Londres.

"Les investisseurs vont maintenant se tourner uniquement vers les banques dignes de confiance, même si c'est une expression qui a tendance à écorcher la langue en ce moment."

Bank of America s'apprête à prendre le contrôle de Merrill Lynch - numéro un mondial du courtage - pour environ 50 milliards de dollars payables en actions, un montant qui fait presque figure de bonne affaire.

"La rapidité avec laquelle cela s'est fait est tout simplement choquante", a commenté un salarié de Merrill en Asie. "On a du mal à croire que Merrill Lynch n'existera plus."

Les craintes ravivées par la chute de Lehman et les doutes croissants sur la difficulté à évaluer les risques de contrepartie dans le secteur expliquent en grande partie la baisse des Bourses et le repli sur les actifs jugés plus sûrs, comme les emprunts d'Etat ou l'or.

Les rendements des bons du Trésor américain sont tombés à leur plus bas niveau depuis cinq mois et certains investisseurs estiment que la Fed pourrait baisser ses taux sans même attendre sa réunion de politique monétaire mardi.

Les marchés européens reflètent quant à eux une montée des anticipations de baisse des taux de la Banque centrale européenne (BCE) avant la fin de l'année, une hypothèse jugée peu probable la semaine dernière encore.

LES BANQUES CENTRALES PRÊTES À AGIR SI NÉCESSAIRE

Lehman Brothers, désormais placée sous la protection du Chapitre 11 de la loi sur les faillites, est le plus important dépôt de bilan d'une firme de Wall Street depuis la chute du spécialiste des "junk bonds" Drexel Burnham Lambert en 1990.

Les administrateurs provisoires de la branche européenne de Lehman ont expliqué qu'ils allaient tenter de démanteler la société d'une manière aussi ordonnée que possible.

Le dépôt de bilan était inévitable après l'échec des discussions orchestrées par la Fed et le Trésor américain pour essayer de sauver la banque, des efforts ruinés par le retrait du britannique Barclays, le repreneur le plus probable.

Selon une source proche du dossier, l'une des raisons du retrait de Barclays est le refus du secrétaire au Trésor, Henry Paulson, d'engager des fonds publics dans un sauvetage de Lehman.

"Cela montre que le gouvernement américain est en train de dire 'ça suffit' après avoir sauvé plusieurs établissements, et qu'il considère le cas Lehman comme une affaire relevant du privé", souligne Marie-Pierre Pillon, de Groupama Asset Management à Paris.

Après les mesures annoncées par la Fed, plusieurs grandes banques centrales d'Asie et d'Europe, dont la BCE, ont elles aussi exprimé leur volonté d'agir pour stabiliser les marchés. Reste à savoir si ces mesures suffiront à contenir les répercussions des dernières secousses.

"Tous ceux qui ont des actifs toxiques et qui n'ont pas encore achevé leur confession feraient mieux de le faire maintenant", souligne Matt McCormick, gérant de Bahl & Gaynor Investment Counsel, pour qui "Lehman a tenté de nier la réalité jusqu'à l'issue fatale."

La chute de Lehman et le rachat de Merrill devraient toutefois avoir des conséquences lourdes sur l'emploi à Wall Street. Selon certaines estimations, le secteur financier a déjà procédé à 100.000 suppression d'emplois et 50.000 autres pourraient s'annoncer maintenant.

Lehman emploie plus de 25.000 personnes et Merrill Lynch environ 60.000 dans le monde entier.

Version française Marc Angrand