Le portefeuille comment je m'appelle ?©, c'est une sélection de titres avec des vrais noms de gens dedans. C'est surtout une performance tout à fait honorable par rapport aux indices sur les trois dernières années. Je la détaillerai plus bas, il faut bien ménager le suspense. Penchons-nous un peu sur la composition de ce joyau sélectionné par des experts reconnus des milieux financiers, qui se sont appuyés sur quatre piliers que n'auraient pas renié des investisseurs de légende comme Warren Buffett, Peter Lynch et Oui-Oui :

  • Un algorithme propriétaire développé par la classe de CM2 de l'école de Boulouris en 1985, permettant d'identifier des sociétés avec des noms rigolos. Typiquement, Jeronimo Martins, dont nous allons parler un peu après (je précise aux grincheux que je peux me permettre de me moquer du nom des gens. On m'appelle Anthony Boudin depuis que j'ai 3 ans).
  • Une bonne connexion internet pour valider que la combinaison nom+prénom correspond bien à une personne réelle.
  • Un minimum de vigilance pour éviter les faux positifs grossiers. Par exemple, Monsieur Rémy Cointreau n'existe pas. C'est la famille Rémy qui produit du Cointreau. Cela dit, il existe probablement des gens dont le patronyme est Cointreau en France et qui peuvent choisir d'appeler leur fils Rémy. Un peu comme Mégane Renault. Mais ce n'est pas le propos. Rémy Cointreau n'est pas éligible à notre portefeuille ultime car il n'existe pas.
  • Une décision arbitraire de ne considérer que 13 dossiers, alors qu'il y en a une palanquée d'autres.

Mais trêve de suspense...

La composition du portefeuille

  • AP Moller Maersk (Danemark) : premier transporteur maritime mondial, le Danois doit son nom à Arnold Peter Moller (1876-1965), le fils du capitaine Peter Mærsk Møller, qui avait créé en 1904 une petite entreprise de bateau de transport à vapeur. La société pèse désormais près de 30 Mds€ en bourse et a dégagé des profits colossaux lors des pénuries diverses et variées engendrées par la pandémie de covid. La normalisation de la situation a pesé sur le cours de bourse, qui est revenu à 13 275 DKK, contre 24 800 DKK au sommet du début 2022. Toutefois, l'action était partie de 5000 DKK au plus bas de l'année 2020 et la société a pu verser des dividendes exceptionnels d'une épaisseur folle en 2021 et en 2022. Un business éminemment cyclique donc.
  • Brunello Cucinelli (Italie) : changement de décor et de climat avec la griffe de mode italienne, spécialisée dans le cachemire. Brunello Cucinelli est un designer né en 1953, qui a su préserver la singularité et l'indépendance de sa marque. C'est l'une des petites pépites italiennes qui a échappé à l'appétit des géants français du luxe. Elle pèse désormais plus de 5 Mds€ et figure parmi les entreprises moyennes du secteur qui ont su tirer parti d'un positionnement très haut de gamme. Présentation ici.
  • Carl Zeiss (Allemagne) : l'industriel allemand est un acteur clef des systèmes optiques. Héritage respecté, puisque Carl Zeiss (1816-1888) est l'un des pères de la production d'instruments optiques. La société a connu une ascension ininterrompue en bourse depuis 2009, en tout cas jusqu'au début 2022, quand les fournisseurs de l'industrie de la santé sont passés de mode après avoir été adulés durant la pandémie. Pour autant, Carl Zeiss Meditec est un acteur rare, avec des compétences pointues sur des marchés qui disposent de hautes barrières à l'entrée. Une analyse plus approfondie est disponible ici.
  • Christian Dior (France) : le fameux designer français, disparu en 1957, a donné son nom au holding qui contrôle LVMH. En accéléré, Bernard Arnault a repris les rênes de la société au début des années 80 pour en faire la tête de pont du renouveau du luxe à la française. C'est sous l'ombrelle du holding Christian Dior qu'il entre au capital de Moët Hennessy Louis Vuitton en 1988. La suite, c'est la constitution de ce qui deviendra l'entreprise européenne la mieux valorisée à l'heure actuelle. Christian Dior SE, dont la famille Arnault détient 97,5%, possède en direct 42,5% de LVMH. Quelques nouvelles récentes de LVMH.
  • Estée Lauder (Etats-Unis) : la grande marque de cosmétiques américaine porte le nom de sa fondatrice, née en 1908 et décédée en 2004. Estée Lauder a bâti son empire avec son époux Joseph. L'entreprise pèse plus de 60 Mds$ en bourse, ce qui en fait l'un des poids lourds du secteur, loin derrière L'Oréal toutefois, mais bien au-dessus de Shiseido, Coty, Beiersdorf ou même le nouveau venu Kenvue.
  • James Halstead (Royaume-Uni) : beaucoup moins de glamour avec cette petite entreprise britannique, qui tire malgré tout assez bien son épingle du jeu depuis une trentaine d'années en bourse, exception faite de la période récente. James Halstead fonde la société qui porte son nom en 1915 pour produire et vendre des textiles étanches, puis des produits et des vêtements d'extérieur imperméabilisés. Ses fils se lancent, dans les années 30, dans les produits de revêtement de sol, qui sont toujours la spécialité de la marque, comme des entreprises de type Mohawk Industries aux Etats-Unis ou Forbo en Suisse.
  • JCDecaux (France) : JC, c'est pour Jean-Claude, le fondateur du groupe de publicité extérieure qui porte son nom. Jean-Claude Decaux (1937-2016) est un autodidacte qui a lancé une activité de publicité en bordure d'autoroute, à l'époque où la réglementation le permettait. Ses fils, Jean-François et Jean-Charles sont désormais aux commandes du groupe familial, qui figure sur le podium mondial de la communication extérieure. Pour l'anecdote, JCDecaux n'est pas vraiment à la fête en bourse : le titre évolue autour de 17 EUR, à peine plus haut que son cours d'entrée en bourse en 2001. Heureusement, l'entreprise a versé des dividendes dans l'intervalle, ce qui atténue un peu ce parcours médiocre.
  • Jeronimo Martins (Portugal) : c'est probablement le plus vieux représentant du portefeuille, sans lui manquer de respect, d'autant qu'il ne pourra pas trop se plaindre. Jerónimo Martins est un Galicien qui a émigré au Portugal pour faire fortune. C'était en… 1792. Son commerce à Lisbonne est rapidement devenu une institution. Désormais, c'est le plus gros distributeur portugais, sous marque Pingo Doce, mais aussi un acteur majeur du secteur en Pologne. Plus de 20 Mds€ de revenus annuels. Le cours a quasiment doublé en 5 ans.
  • John Wood (Royaume-Uni) : s'il avait été français et pas écossais, John Wood se serait sûrement appelé Jean Bois. Evidemment il faut être polyglotte pour comprendre ce subtil jeu de mots. John Wood était à la tête de la plus grande entreprise de pêche écossaise. Son fils, Ian Wood, prit la décision en 1982 de scinder l'entité dédiée aux services à l'industrie pétrolière offshore. John Wood, hommage au père, était née. La société figure toujours parmi les principales entreprises parapétrolières anglosaxonnes. Son parcours boursier n'est pas fameux. Non seulement la société n'a pas beaucoup profité de l'engouement pour le secteur pétrolier, mais encore a-t-elle chuté en mai après le retrait d'une proposition de rachat du fonds Apollo.
  • Julius Bär (Suisse) : né au Wurtemberg avant la réunification allemande, le banquier (orthographié Baer ou Bär) travaille dans des établissements financiers à Augsbourg, Bâle puis Zurich, où il devient associé de Hirschhorn, Uhl & Bär en 1896. A partir de 1901, la banque privée devient Julius Bär & Co. Julius prend la nationalité suisse en 1907. A son décès en 1922, deux de ses fils prennent sa suite, avant que son petit-fils ne préside l'établissement jusqu'en 2011. Julius Bär est la première banque privée suisse à être entrée en bourse, dès 1980.
  • Gedeon Richter (Hongrie) : on ne va pas se mentir, le commun des mortels est incapable de citer une seule société hongroise. J'aurais pu quand même citer MOL, parce que c'est pas très dur. Mais surtout Gedeon Richter, parce que ce nom me fait penser au petit canard de Benjamin Rabier. Gedeon Richter (1872-1944) est un chimiste hongrois réputé qui est à l'origine de l'industrie pharmaceutique de son pays. Il a été assassiné par des nazis hongrois en 1944. L'entreprise qui porte son nom est un laboratoire pharmaceutique intégré innovant européen, qui figure parmi les valeurs moyennes bien ancrées du secteur. Son parcours boursier en a fait une valeur sûre, avec le risque de change évidemment lié au forint.
  • Hugo Boss (Allemagne) : la marque de prêt-à-porter connue notamment pour ses costumes masculins porte le nom de son fondateur. Elle fêtera d'ailleurs son centenaire l'année prochaine, ce qui mettra un peu plus de distance encore avec un passé honteux, puisque Hugo était un fervent supporter du parti nazi, qui le lui a bien rendu en lui octroyant d'importantes commandes d'uniformes de SA et de SS notamment. Hugo Boss était plutôt en perte de vitesse depuis 2015, mais une reprise en mains a permis de redorer son blason. Une présentation plus financière est disponible ici.
  • Salvatore Ferragamo (Italie) : Salvatore Ferragamo est un bottier italien qui a quitté son pays pour les Etats-Unis en 1915. Grâce à son talent, il se fait un nom chez les stars du cinéma hollywoodien, ce qui lui permet de retraverser l'Atlantique en 1927 pour baser sa société à Florence. C'est son épouse Wanda qui reprend le flambeau avec brio en 1960, au décès du créateur. A l'image de Brunello Cucinelli, Ferragamo est l'un des acteurs italiens qui fait de la résistance face aux géants du luxe, mais ses performances financières sont nettement moins bluffantes. La famille est toujours à la tête d'une majorité du capital.

Analyse du portefeuille

Enfin analyse, il ne faut pas pousser. Commencez par vous mettre une base son un peu adéquate, par exemple cette audacieuse déclinaison du Comment je m'appelle©? En provenance d'Amérique du Nord. Ensuite, nous allons constater que nous sommes surexposés au luxe, ce qui est plutôt un gage de surperformance ces dernières années. C'est fortuit mais ça aide, d'autant que la poche consommation non-cyclique est elle aussi importante et a plutôt bien fonctionné.

Répartition
Voilà la représentation graphique des 13 actions. Dior prend pas mal de place (Source Zonebourse)
On poursuit avec le détail des performances de chaque titre sur plusieurs pas de temps différents
Les perfs individuelles
Perfs individuelles sur 5 périodes différentes : les grands chelemmards sont Jeronimo Martins, Dior, Brunello Cucinelli, Julius Bär et Gedeon Richter
Sur 3 ans
Performance rétroactive de la sélection sur 3 ans (Source Zonebourse)

En chiffres, la sélection a gagné 50% sur 3 ans, avec toutes les vicissitudes propres à un backtest sauvage (en gros on imagine avoir acheté tous les titres en même temps il y a trois ans, et on mesure ce que ça donne au global trois ans après, sans les dividendes). Dans le même temps, le MSCI n'a gagné que 25%. La sélection fait donc deux fois mieux, et toc. Conclusion, en toc aussi : miser sur des sociétés qui ont des noms de gens, c'est bien. A la prochaine fois, pour un autre moment de finance experte.