Rebag.com, The Realreal, MyPrivateDressing, Vide Dressing, Instant Luxe, Thredup, Watchfinder&Co, Vintega, Privé Porter, Farfetch, The Outnet, Resee, Saclàb, Break Archive… le nombre de sites venus gonfler les rangs des premiers pure players et leaders de la revente des produits de luxe - Monogram Paris, Vestiaire Collective et Collector Square - ne cesse de s'accroître. Parmi ces noms, certains opéraient déjà dans la revente, mais ont ouvert un corner luxe. Même Vinted, le roi du textile pré-porté à très bas prix, s'essaye au haut-de-gamme depuis 2019. 

La tendance se confirmant, ils ont été rejoints par des auxiliaires tels que Reflaunt, qui joue l'intermédiaire entre les grandes marques et les vendeurs d'occasion, ou LuxPrice-index, le premier argus du luxe créé par Collector Square, qui recense la cote officielle des enchères mondiales. Devant ce succès, la célébrissime Sotheby's s'est elle aussi résolue à descendre de son piédestal pour lancer Buy Now, une plateforme ayant pour objectif de conquérir une clientèle non experte des ventes aux enchères. 

Que trouve-t-on sur ces sites ? 

Comme indiqué en préambule, on n'y trouve plus seulement des montres. Depuis une dizaine d'années, les acheteurs du monde entier peuvent y céder leurs anciens sacs à mains, de la petite maroquinerie, de la joaillerie, des chaussures, et à la marge, des vêtements.  

Attention, tout le luxe d'occasion ne se vaut pas. D'ailleurs on ne dit plus "d'occasion", ni "de seconde-main", qui revête une dimension trop populo, mais "vintage" ou encore mieux, "pre-loved", pour "pré-aimé" en français. 

Il y a le luxe qui se décote, et celui qui prend de la valeur avec l'âge, comme les voitures de collection, les tableaux ou les vins d'exception. A ce jeu, les marques emblématiques françaises et italiennes, celles qui se targuent d'un ancrage historique, d'un héritage illustre ou d'un savoir-faire artisanal, et qui incarnent la quintessence du luxe, tiennent la dragée haute à leurs concurrentes.

Hermès, l'indétrônable

Les légendaires sacs à main de la société hexagonale - Birkin, Kelly, Constance - qui a entretenu son inaccessibilité et préservé la qualité de ses articles, sont les plus recherchés, et donc, ceux qui prennent le plus de valeur. Le prix des anciens modèles peut être multiplié par 3, 5, 10 voire 35. A titre d'exemple, un Birkin Faubourg s'est arraché en 2019 pour 158 000 euros sur Vestiaire Collective. Trois ans plus tard, un de ses grands frères en crocodile a atteint le prix record de 380 000 dollars. 

La rareté de certains modèles leur confère une valeur inestimable. Rappelons que chez Hermès, l'offre est systématiquement inférieure à la demande, et qu'il ne suffit pas d'entrer dans une boutique armé d'un chéquier pour s'offrir le graal en cuir. Il faut s'inscrire auprès de la maison, et patienter, le temps qu'il faudra, pour espérer se voir attribuer le droit de dépenser une dizaine de milliers d'euros dans un sac neuf. La qualité des cuirs, qui 20 ans plus tard n'ont pas perdu de leur superbe, justifie aussi le maintien du prix. 

Derrière Hermès, les maisons les plus prisées sont Chanel, Dior, Saint Laurent, Gucci et Louis Vuitton. Et comme ces dernières n'ont pas organisé la pénurie de leurs produits aussi minutieusement qu'Hermès, elles sont parfois soumises à une dépréciation de 15 à 40% (ce qui reste honorable, on s'entend, pour un sac déjà porté). Si certains de leurs modèles mythiques et éternels - le Timeless, le Boy, le 19 et le 2.55 de Chanel, ou le Lady Dior de Dior - se revendent aussi plus chers que les neufs, c'est sans commune mesure avec la mère du Birkin. Les sacs à main Louis Vuitton par exemple perdent en moyenne 40 % de leur valeur à la revente, selon The RealReal. 

Il y a aussi des phénomènes de mode, qui suivent les grands succès du divertissement. La sortie de la série Emily in Paris, où la protagoniste arbore une veste iconique de Courrèges, a par exemple fait exploser les recherches sur la marque française de + 377% sur la toile. 

Enfin, parmi les modèles les plus recherchés, on trouve sans surprise les éditions limitées, les articles issus de collaborations temporaires, ceux dont les designers sont décédés (comme Karl Lagerfeld, le visage de Chanel, dont le décès a provoqué une bulle sur ses dernières créations, ou Virgil Abloh, ancien directeur artistique des collections homme chez Louis Vuitton), et les cuirs rares : une besace en veau grainé dalmatien d'Hermès, cuir qui n'est plus fabriqué, a changé de mains pour 44 900 euros. 

En dehors de cette sixte d'exception, l'ensemble des marques de luxe subit une forte décote avec le temps. Parce que la qualité des produits est inférieure, parce que les maisons ne sont pas parvenues à créer des modèles indémodables, parce que les marques jouissent d'une moindre gloire. Permettant dès lors aux petites bourses de s'offrir des Balenciaga, Prada ou Burberry à des prix défiants toute concurrence. 

Revendeurs et Gen Z

C'est en misant sur la valeur à long terme des articles de luxe que sont nés les sites Internet dédiés, tels que Vestiaire Collective en 2009, Collector Square en 2015, ou ByLuxe, devenu Monogram Paris en 2021. Ces plateformes ont investi les jeunes générations. C'est en effet les Millenials et la Gen Z, qui n'osent pas toujours entrer dans les boutiques ultra-guindées, qui comptent parmi les clients les plus actifs de ces portails. Selon une étude du Boston Consulting Group, 70% des acheteuses d’occasion font leurs tous premiers pas dans le monde du luxe grâce au vintage.

Mieux que les traditionnelles maisons d'artisanat luxueux, les plateformes de revente maîtrisent les codes des réseaux sociaux et le langage numérique des plus jeunes. C'est ainsi que Collector Square ou Monogram Paris, qui disposaient tous deux de showrooms physiques dès leur naissance, se targuent désormais de réaliser 65% à 70% de leurs ventes en ligne, inversant la tendance initiale. 

Notons aussi que l'argent ne part jamais très loin des plateformes, puisque près de 2 vendeurs sur 3 réinvestiraient leurs gains sur ces mêmes sites (selon le quotidien suisse Le Temps). Vertueux, et prolifique donc. 

En soufflant des clientes aux maisons de luxe, en dévoilant des revenus à faire pâlir les grandes marques, en misant sur la bonne conscience que donnent les pratiques circulaires, en se donnant des airs d'éco-responsabilité vertueuse (jetant parfois l'opprobre sur ces ogres de la consommation immorale que sont les fabricants de sacs en croco) ces plateformes ont lentement, mais sûrement, titillé la curiosité des producteurs originels. 

Quand le luxe s'intéresse à la seconde-main 

Parmi les premiers à quitter l'Avenue Montaigne et la Place Vendôme pour se frotter au tout-venant, on trouve Kering. La maison-mère de Gucci a de ce fait pris, en 2021, 5% de participation au capital de Vestiaire Collective, l'entreprise française à la croissance fulgurante, valorisée 1,4 milliard de dollars en 2022, qui vise une introduction en bourse en 2025, si elle parvient à atteindre son objectif de rentabilité cette année. De quoi redorer aussi les comptes de Kering, qui sont fragiles comparés à ceux de son grand rival LVMH. 

Stella McCartney (ancienne propriété de Kering) et Burberry se sont également associées, sous forme de partenariat temporaire, à TheRealReal, pour encourager la revente de leurs produits, donnant ainsi du crédit et de la notoriété à ce site. 

Participer au marché de la seconde main serait également un argument marketing. Selon une étude du Boston Consulting Group et d'Altagamma, 72 % des consommateurs de la génération Z tiendraient compte de l'engagement des entreprises en matière de développement durable au moment de leurs achats. Plusieurs marques ont donc développé leurs propres plateformes de revente, à l'image de Balenciaga avec son programme Re-sell, Chloé avec Digital ID, ou Rolex qui a lancé un juteux programme de montres d'occasion certifiées par le fabricant. Une manière de contrôler la chaîne (et les recettes) de bout en bout, dans un environnement économique où le luxe pâtit d'une perte de vitesse. 

Quels avantages pour les grandes maisons ? 

Au-delà de profiter des retombées financières de ces plateformes à succès, il y a de nombreux avantages pour les maisons de luxe. 

En participant au processus d'authentification des produits (le nerf de la guerre pour les plateformes, puisque leur entière crédibilité repose sur la qualité et la pureté des articles), les marques luttent activement contre la contrefaçon, leur ennemi juré. 

Sans avoir à investir dans les plateformes, les fabricants (même s'ils le taisent) surveillent de près les revendeurs. Cette vigilance leur permet d'évaluer, avec un coût marketing nul, la désirabilité de leurs marques. Moins la décote est importante,  plus l'article est en vogue. Plus il faut user de réduction pour se défaire d'un sac, moins le designer est en vue. Simple comme bonjour.

Dans le cadre d'une refonte de marque ou d'un changement de créateur,  ces informations sont de précieux indices quant au bien-fondé et au succès de la transformation. L'italienne Salvatore Ferragamo, qui s'est réinventée, s'est offert un rebond en temps réel et en vintage, quand Burberry, qui souffre d'une image vieillissante, chute en ville comme à la revente. 

En coopérant avec les acteurs du vintage, elles recueillent les données des clients - âge, provenance, goûts - et en apprennent beaucoup sur leurs futurs acheteurs, les marchés à attaquer, les couleurs à privilégier, ainsi que sur leur pricing power (leur pouvoir de fixation des prix). 

Ces derniers éléments sont aussi de précieuses informations pour les investisseurs en bourse (ah, on parle enfin de vous !). Il semblerait que les données des détaillants, telles que celles de WatchCharts (spécialisé dans les montres) se monnaient comme des conseils en investissement : sans surprise, les actions des fabricants les plus en vue auraient des parcours boursiers plus glorieux. 

Dans le cas d'Hermès, qui valorise trop l'exclusivité pour se prêter au jeu de l'intermédiation, l'avantage appartient au client.  Finies les listes d'attente, finie aussi la discrimination au faciès du chaland. Il suffit de payer pour obtenir le produit tant désiré, la forteresse impénétrable est à portée de chéquier. 

Négliger ce marché grandissant n'est pas sans risque pour les marques :  elles laisseraient filer le gâteau dans les mains des plateformes qu'elles ont si longtemps dédaignées. En effet, le marché de la revente de produits de luxe est passé de 1.5 à 2% du marché total du luxe en 2014 (Xerfi), à 7 à 9% en 2020 (IntoTheMinds), à 12 % en 2023 (Bain & Company). 

Tout n'est pas rose au pays de la revente 

En dépit de cette success story, la multiplication récente des acteurs finit par nuire au marché du luxe vintage. Au pays des revendeurs comme au pays du luxe, tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. Les actions de The RealReal ont chuté de plus de 90 % depuis l'introduction en bourse de la société en 2019. Celles de Farfetch, qui se sont offert un rebond de +140% depuis le début de l'année, affichent toujours un repli de + de 99% depuis l'IPO. 

En chiffres 

En 2020, le marché total du luxe d'occasion était estimé à 25 milliards d'euros selon Intotheminds. En 2021, Boston Consulting Group l'évaluait à 36 milliards d’euros. En 2022, le cabinet Bain & Company chiffrait le tout à 16 milliards de dollars, puis, seulement un an plus tard, en 2023, à plus de 49 milliards de dollars, signe de la croissance fulgurante du secteur. En 2024, le secteur du luxe de seconde main devrait atteindre 51 milliards, lit-on Fashion Network. 

Ces mêmes cabinets d'étude évaluent la croissance annuelle du marché entre 10 et 15% par an, selon les rapports, contre 2% de croissance annuelle pour le luxe neuf entre 2015 et 2018 (selon Bain & Company). Notons que chez Vestiaire Collective, la catégorie Vintage a gagné 140% par an au cours des années 2020-2022, et que les ventes globales ont encore augmenté de 25% en 2023 (Reuters).  

(Vous aurez certainement reconnu ci-dessous les nouvelles papesses de la mode, les sœurs Kim et Khloe Kardashian, prodigieusement illustrées par notre dessinatrice Amandine Victor).