Je ne dirais pas que Vincent Bolloré a échoué à convaincre le marché de la cohérence entre les différentes filiales de son conglomérat, je dirais qu'il n'a pas réussi (pour paraphraser une sortie célèbre de notre chef d'Etat). Deux ans après s'être séparé d'UMG pour l'introduire en bourse, le groupe n'est pas parvenu à remonter la pente et à rendre à ses différents bastions la valeur qui est la leur, ni à réduire l'écart entre sa capitalisation boursière (actuellement de 10.5 milliards d'euros) et la somme de ses composantes.

Alors qu'UMG, de son côté, au gré de fluctuations que nous ne commenterons pas ici, s'est offert une plus-value de 10% depuis son IPO. 

Pour rassurer les actionnaires, il a donc fallu proposer un plan d'action radical. Étant parvenu à mettre définitivement la main sur Lagardère en novembre dernier, Vincent Bolloré(notons que c'est son fils Yannick Bolloré qui préside officiellement le groupe, que le père retraité pilote de fait officieusement en coulisses) avait donc enfin l'esprit et les mains libres pour se consacrer à cette question. 

C'est ainsi que Vivendi a annoncé au monde, en décembre, son intention de scinder ses activités en plusieurs morceaux, 3 à l'origine. L'accueil a été de bon augure, puisque le titre s'est offert un rebond de 11% à ce moment-là. Un mois plus tard, la division a été confirmée, accordant un autre léger rebond à l'action, et précisée. Il y aura donc 4 entités distinctes, qui devraient chacune être cotée en bourse : 

  • Le groupe Canal+ (avec ses nombreuses chaînes, son petit frère diffuseur MyCanal et sa boîte de production StudioCanal), qui représente aujourd'hui la principale source de profit de Vivendi. 
  • L'agence de publicité Havas (intégrée en 2018).
  • Une société regroupant les actifs dans l'édition et la distribution, c'est-à-dire la participation de 60% dans Lagardère (qui possède lui-même l'éditeur Hachette et Lagardère Travel Retail, le détaillant de gares et d'aéroport - qui contient Relay et d'autres -, ainsi que des médias tels qu'Europe 1 et le JDD) et 100% de Prisma Media (un catalogue de parutions telles que GEO, Femme Actuelle, Voici ou encore Capital). 
  • Une société d'investissement, qui devrait vraisemblablement regrouper les participations qui ne s'insèrent pas bien dans une des catégories susnommées, telles que notamment 24% détenus dans Telecom Italia notamment, 10% dans UMG, 12% dans ViaPlay, 19% dans FL Entertainment, 20% dans MediaForEurope, et 33% dans Banijay (société de production). Les participations de 100% dans Gameloft (éditeur de jeux vidéos), Dailymotion (hébergeur de vidéos), Vivendi Village (qui détient la salle de spectacle Olympia, un réseau de cinémas, ainsi que la plateforme de billetterie See Tickets) devraient également y être logées. 

Des gains potentiels pour chacune des parties prenantes 

L'opération est d'abord un soulagement pour les investisseurs, qui se plaignaient depuis plusieurs années du manque de cohésion et de synergies entre les différentes activités. La décote du conglomérat (estimée à entre 40 et 50% par les analystes) ayant par ailleurs limité ses capacités à mener des fusions et acquisitions externes. 

Elle devrait ensuite se révéler une source de gains financiers faciles, car la séparation permettrait à chacune des filiales de libérer pleinement leur potentiel de croissance et de procéder à des opérations de fusac, le tout sans risquer de se voir taxer d'entraveà la concurrence. UBS estime par exemple le potentiel de hausse des actions Canal+ et Havas à 30% à moyen terme. Ce même bureau d'analyse estimait en décembre que la capitalisation combinée des trois entités pourrait être supérieure d'environ 40% à la capitalisation du conglomérat. Le succès en bourse d'UMG, autrefois l'entité la plus précieuse de Vivendi, atteste, selon les analystes du bien fondé de la scission. 

Enfin, elle devrait également permettre à la holding familiale Bolloré d'augmenter plus facilement sa participation dans chacune des quatre nouvelles entités. 

Ce matin, le FT estimait la valeur de Canal+ à 5 milliards d'euros (en se basant sur une évaluation de 6 fois son EBITDA - comme l'est son homologue britannique ITV -) et celle d'Havas à 3 milliards d'euros (en se basant sur une évaluation de 7 fois son EBITDA, comme celle de ses pairs Publicis et Interpublic). 

Quelques questions épineuses à résoudre

Quelle sera la valeur de la holding d'investissement et que contiendra-t-elle réellement ? Sera-t-elle aussi victime de sa dispersion ? Vous noterez qu'il y a peu de lien entre un opérateur télécom italien et les droits musicaux de stars américaines du R'n'B. 

La répartition de la trésorerie du conglomérat (1.9 milliards d'euros au S2 2023) devrait, elle aussi, comporter des désavantages. Quels seront alors les moyens financiers, à court terme, de Canal+ et d'Havas pour enclencher leur renouveau ? 

Et enfin, quelles seront les conséquences fiscales pour chacune des divisions et pour la holding familiale, qui restera un actionnaire clé des entités distinctes ?  

 

L'essentiel des réponses à ces questions devrait être fourni aux marchés le 7 mars prochain. A l'occasion de la publication des résultats annuels 2023, Vivendi tiendra une nouvelle réunion sur cette scission, en y ajoutant des précisions, qui devront ensuite être approuvées par les détenteurs d'obligations, les actionnaires, les créanciers, les autorités de régulation et obtenir l'aval des représentants des salariés.