Paris (awp/afp) - Embourbé depuis des mois dans des discussions avec la Commission européenne qui examine sa prise de contrôle de Lagardère, Vivendi dévoilera d'ici mi-mars sa nouvelle --et dernière-- proposition de remèdes pour parvenir à ses fins, a annoncé mercredi le géant français des médias.

Au coeur de ce blocage figure la nécessité de céder sa filiale d'édition Editis, avant de mettre la main sur Hachette Livre.

Pour être autorisée par les autorités européennes de la concurrence à prendre possession du troisième éditeur mondial, propriété de Lagardère, l'entreprise contrôlée par Vincent Bolloré s'est en effet engagée à lâcher son propre pôle d'édition, fort d'une cinquantaine de maisons comme Robert Laffont, Plon, Julliard, Le Robert ou Pocket.

Mais devant les inquiétudes sur le bouleversement de ce marché qui pourrait en découler, et dans une moindre mesure sur celui des magazines people, l'autorité antitrust a lancé à l'automne une enquête approfondie sur la prise de contrôle de Lagardère par Vivendi, déjà monté l'an passé à 57% du capital après une rude bataille actionnariale.

Les libraires, éditeurs et les sociétés d'auteurs craignent notamment qu'Editis n'ait pas les moyens de peser sur le marché français face à Hachette. Ils ont été reçus mercredi à l'Elysée pour "sensibiliser le pouvoir politique sur le dossier", a expliqué à l'AFP leur conseil, Isabelle Wekstein-Steg, du cabinet WAN Avocats.

Le secteur de la presse s'inquiète aussi d'un regroupement de Paris Match avec les magazines people de Vivendi, Gala et Voici.

Dernier épisode en date de ce feuilleton interminable, la Commission européenne a récemment précisé ses griefs dans un long document signé de la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, qui reste hostile au projet présenté par Vivendi, malgré les engagements pris par le groupe en décembre puis en février.

D'après une source proche du dossier, le document "torpille" le projet complexe de cotation-distribution envisagé par Vivendi, qui comporterait de nombreuses incertitudes sur le contrôle effectif d'Editis par son futur acquéreur.

"Nous poursuivons nos échanges constructifs sur les remèdes qui pourraient être proposés" le 15 mars, a déclaré mercredi le président du directoire de Vivendi, Arnaud de Puyfontaine, en marge de la présentation des résultats du groupe. Il s'agirait de l'ultime remède, a-t-il ajouté.

Vers une cession à 100% ?

Le projet de cession envisagé par le groupe consiste à distribuer les actions d'Editis aux actionnaires de Vivendi, en introduisant dans le même temps la société en Bourse à Paris.

Pour le groupe Bolloré, actionnaire de référence de Vivendi avec 29,5% des parts, cette méthode de cotation-distribution a l'avantage de mieux valoriser sa part d'Editis et d'en capter directement le profit, sur le modèle de l'introduction en Bourse d'Universal Music Group en 2021.

Parmi les prétendants au rachat figure un trio formé par les Français Stéphane Courbit (président du géant de la production Banijay), Pierre-Edouard Stérin (investisseur et confondateur des coffrets-cadeaux Smartbox) et le Tchèque Daniel Kretinsky (Czech Media Invest).

D'après La Lettre A et le quotidien Les Échos, les autres candidats sont le groupe de presse français Reworld Media, son rival italien Mondadori et le canadien Québecor (télécoms, médias, culture et divertissement).

Mais ces éventuels repreneurs n'ont pas souhaité surenchérir et "le faible niveau de prix" proposé a contraint Vivendi à dévaluer Editis de 300 millions d'euros par rapport à sa valeur d'acquisition (de 829 millions d'euros en 2019), alourdissant encore sa perte nette qui a dépassé le milliard d'euros l'an passé.

Lors des discussions informelles avec Vivendi, la Commission européenne semblait préférer une cession de 100% d'Editis, un scénario qui risque de peser encore sur la valorisation du groupe mais n'est pas exclu par Vivendi. Le groupe "regarde d'autres options qui, le cas échéant, pourraient être disponibles", selon M. de Puyfontaine.

Les opposants au projet rappellent que, dans ce cas, "cette cession doit être faite dans des conditions qui permettent à Editis d'être complètement autonome, indépendant et fort" face à Hachette, selon Mme Wekstein-Steg.

Contactée par l'AFP, la Commission n'a pour sa part pas souhaité réagir. Sa décision est attendue avant le 23 mai.

afp/rp