Alors que les places européennes sont en territoire négatif en 2018, est-il bien raisonnable de se positionner sur une valeur notoirement instable et soumise à l'aléa politique, qui a battu à plate couture les indices depuis le 1er janvier ? Ce n'est pas l'envie qui manque de répondre non, mais ce serait mettre un peu vite le point final à notre propos. Heureusement, Jefferies répond par l'affirmative, ce qui nous donne l'occasion de développer ses arguments.

Le carbone, ça cartonne

Bref rappel d'abord. Les gains 2018 d'Electricité de France sont à mettre au crédit de la remontée des prix sur le marché européen des quotas d'émission de CO2, des progrès opérationnels accomplis par l'entreprise et de la levée progressive des griefs de l'ASN concernant les pièces de centrales nucléaires forgées au Creusot. Ces éléments devraient continuer à jouer en faveur du dossier, estime Jefferies. Les dernières tendances de production sont elles aussi positives, après plusieurs trimestres de déception. L'équipe de recherche pense que l'énergéticien sera en mesure de produire 401 TWh avec ses centrales nucléaires, au vu des dernières données publiées par RTE, tandis que la tendance porteuse constatée au premier trimestre pour la génération hydroélectrique ne devrait pas s'inverser au second.

Mais ce qui intéresse surtout Jefferies, c'est le levier offert par la restructuration profonde de l'entreprise sur laquelle planche le gouvernement français, lequel a tout intérêt à proposer un projet ambitieux. Pour d'évidentes raisons de politique énergétique d'abord, mais aussi par pur intérêt financier, car l'Etat contrôle 83,66% du capital. La valeur de marché actuelle de ce bloc avoisine 30 milliards d'euros (sur la base d'un cours de 12 euros). Il y a un peu plus d'un an, lorsque l'action EDF avait plongé à 7,33 euros, elle ne valait que 18 millions d'euros. On ignore si l'Etat a des projets concernant le tour de table (a priori, ce n'est pas le cas), mais il vaut mieux dans tous les cas une capitalisation élevée pour mener à bien la transformation. 

Un scénario de scission qui séduit... en dehors de l'entreprise

Le bureau d'études a pris acte des nombreuses rumeurs qui ont émergé sur une possible division de l'entreprise en deux entités, avec d'un côté les actifs les plus dynamiques et de l'autre les moyens de production traditionnels, dont le nucléaire. Jefferies voit au moins trois avantages à un tel scénario. D'abord, il permettrait aux modèles économiques de gagner en efficacité en étant plus spécialisés. Ensuite, la gouvernance serait améliorée. Enfin, le dossier (ou les dossiers) seraient mieux valorisés. Le gouvernement français s'est montré pragmatique jusqu'ici et a prouvé qu'il était prêt à engager des réformes (SNCF notamment). Les planètes paraissent donc alignées, même si le spécialiste souligne que les bouleversements pourraient être compliqués à mettre en œuvre politiquement, car ils provoqueront une levée de boucliers syndicale.

Jefferies a remis au goût du jour son analyse sur la scission éventuelle, qui datait de novembre dernier. Le tableau ci-dessous illustre le périmètre financier des deux entités qui pourraient être mises en place : NukeCo (actifs nucléaires) et RumpCo (renouvelables, réseau, distribution…). En appliquant un ratio de valorisation 2020 de 10 fois l'EV/EBITDA à RumpCo et de 5 fois à NukeCo, le dossier pourrait s'afficher entre 14,60 et 17,60 euros par action, soit un potentiel de 22 à 47% par rapport aux niveaux actuels. Voilà le fameux levier évoqué par Jefferies.
 

Les deux EDF proposés par Jefferies dans son étude parue ce matin