Finalement, les valeurs pétrolières ne résistent pas si mal que cela à l’invraisemblable chute des cours du baril. A Paris, Total ne cède que 3,4% tandis qu'à Londres, BP et Shell perdaient, en fin d'après-midi, 4,7% environ. Certes, le secteur a connu des jours meilleurs, mais eu égard à la crise, l'hémorragie apparaît contenue. Hier, le cours du baril de WTI livrable en mai a en effet clôturé à -37,6 dollars le baril, en chute de 55,9 dollars en une séance. Ce soir il rebondit... à + 1,68 dollar.

Alors que la demande s'est effondrée avec une rapidité inouïe, les producteurs pétroliers américains sont prêts à payer pour qu'on les débarrasse de leur production.

Cette situation témoigne de l'extraordinaire crise que traverse le secteur pétrolier. Pour autant, son invraisemblable ampleur s’explique par les contraintes techniques liées au marché des futures. Pour ne pas recevoir physiquement de barils dès le mois prochain, les traders doivent dénouer leurs positions d'ici ce soir (dernier jour d'échéance du contrat) alors que la capacité de stockage du brut aux Etats-Unis devrait être saturée d'ici la mi-mai.

Si la situation est grave pour le pétrole, elle n'est pas désespérée. N'en déplaisent aux automobilistes, le temps où ils seront payés pour faire le plein n'est pas encore venu. Pour preuve, ce soir le baril de WTI livrable en juin plonge, certes, de 25%, mais à 15 dollars. De son côté, le baril de Brent décroche de 22% à 19,70 dollars.

Dans une note publiée ce matin, Goldman Sachs s'attend à ce que cette pression sur le contrat de mai se diffuse sur celui du juin. Mais, la production, notamment aux Etats-Unis, est amenée à se réduire très rapidement, en quelques semaines plutôt qu'en quelques mois. Dans ce cadre, le broker envisage un rééquilibrage du marché dès le mois de juin.

De son côté, John Plassard, spécialiste en investissement chez Mirabaud, rappelle que si de nombreux facteurs rentrent en jeu pour fixer le prix du baril de pétrole (la demande et l'offre, la production, les récessions et turbulences, la nouvelle régulation maritime, la guerre commerciale, les sanctions à l'encontre de l'Iran, la driving season ou encore les futures décisions de la Russie), la Chine reste véritablement le maître du jeu en tant que premier consommateur mondial.

Dans ce cadre estime le spécialiste, un redémarrage de l'activité industrielle chinoise (européenne et américaine dans un deuxième temps) constaté depuis quelques semaines devrait progressivement faire revenir la demande lorsqu'il s'agira de reconstituer ses stocks.

Cet espoir d'un rebond du pétrole explique en grande partie la relative résistances des majors pétrolières. Les investisseurs savent très bien que leur trésorerie pléthorique devrait leur permettre de surmonter cet "avril noir". Par ailleurs, elles ont prouvé avec succès lors de la dernière crise pétrolière, en 2014/2015, leur capacité à s'ajuster à la conjoncture (coupe des dépenses, contrôle des coûts, cessions d'actifs, etc.).

L'objectif partagé est rappelé à chaque road-show : la préservation du cash flow, des dividendes et l'atteinte d'un point mort le plus bas possible. A cet égard, JPMorgan estime ce matin que les majors pourront protéger leurs dividendes au cours des 12 à 18 mois prochains mois.

En réalité, la chute de l'or noir pourrait faire d'autres victimes. En premier lieu, les producteurs de pétrole de schiste aux Etats-Unis, qui perdent de l'argent dès que la baril passe sous les 50 dollars, et un peu plus tard, les sociétés de services pétrolières à la santé fragile. Qui vivra verra.