AMAFI / 19-99 15 octobre 2019

CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DU RETRAIT

OBLIGATOIRE

ET L'EXPERTISE INDEPENDANTE

DANS LE CADRE DES OFFRES PUBLIQUES

CONSULTATION PUBLIQUE SUR LES MODIFICATIONS

DE LA REGLEMENTATION AMF A LA SUITE DU RAPPORT

DU GROUPE DE TRAVAIL DE L'AUTORITE

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Observations AMAFI

Dans le prolongement de la modification de l'article L. 433-4 du Code monétaire et financier (Comofi) par la loi PACTE1 et à la suite du rapport du groupe du travail de l'AMF sur les conditions de mise en œuvre du retrait obligatoire et l'expertise indépendante dans le cadre des offres publiques en date du 16 septembre 2019, l'AMF a proposé de réviser et d'adapter sa réglementation et sa doctrine.

C'est dans ce contexte que l'AMAFI a formulé les commentaires et propositions qui suivent, dont les lignes directrices sont :

Conformité à l'intention du législateur : il résulte de l'exposé des motifs attachés à l'article 22 de la loi PACTE et des discussions parlementaires y afférentes, que l'intention du législateur réside dans une démarche de simplification du droit des sociétés cotées afin, notamment, de renforcer l'attractivité de la place financière de Paris.

L'idée est de faciliter les sorties de cote, de façon à ne pas décourager les projets d'introduction en bourse et de financement par le marché. La perspective d'être exposé dans le cadre d'une volonté de retrait, à une procédure longue (voire dilatoire), complexe, nécessitant de mobiliser des moyens chronophages et couteux pour répondre à des contestations de minoritaires, voire d'ultra minoritaires ou d'actionnaires opportunistes, est en effet pour le moins décourageante.

Or, plusieurs propositions formulées par le groupe de travail, en particulier la 2ème, visant à introduire une sorte de phase précontentieuse au profit des actionnaires minoritaires au stade de l'examen de la conformité de l'offre publique déposée avec une intention de procéder au retrait obligatoire, auraient pour conséquences non seulement d'allonger les délais d'instruction de telles offres, mais également de créer des risques juridiques supplémentaires aussi bien pour l'initiateur de l'offre que pour les organes sociaux de la société visée, le tout en contradiction directe avec les objectifs poursuivis par le législateur dans le cadre de la loi PACTE.

Le nouveau calendrier proposé donne un véritable levier de contestation aux minoritaires en amont de toute procédure contentieuse devant les tribunaux et aboutit à conférer à l'AMF un rôle quasi- juridictionnel puisque le débat pourrait effectivement porter sur des questions ressortant de la compétence du juge.

Il a pourtant été clarifié très tôt que l'autorité de marché « n'est pas une juridiction soumise au principe général de la contradiction des débats. » 2 3

  1. Loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.
  2. Cour d'appel de Paris, 13 Juillet 1988, Arrêt Holophane.
  3. Cour d'appel de Paris, 10 mars 1992, Affaire Pinault-Printemps.

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La proposition du groupe de travail, qui semble amorcer un véritable tournant sur la manière dont l'AMF assure sa mission, et sur la répartition du rôle entre cette autorité et le juge du contentieux boursier, pourrait venir en contradiction (mais comment serait-ce possible ?) avec les conclusions de la Cour d'appel de Paris.

Inadéquation du régime du retrait de la cote pour les petites et moyennes entreprises (PME), et celles de taille intermédiaire (ETI) : force est de constater que plusieurs suggestions du groupe de travail, à l'image de la 1ère, n'ont été conçues et dimensionnées que pour des émetteurs sophistiqués disposant des moyens techniques, humains et matériels appropriés. A contrario, ces suggestions ne semblent que très peu adaptées aux structures existantes des PME et ETI. Or, cette insuffisante prise en compte de leurs spécificités est regrettable au regard des efforts considérables mis en œuvre et des initiatives engagées par le Gouvernement, les régulateurs - y compris l'AMF - ainsi que par l'ensemble des parties prenantes, pour encourager le financement de ces entreprises par le marché.

Risque de forum shopping : il est à noter que dans d'autres places financières européennes, la procédure attachée aux offres publiques est empreinte de plus de souplesse. Tel est le cas de l'Allemagne, ou encore du Royaume-Uni où le retrait obligatoire peut être organisé par la voie statutaire, ce qui ne suppose pas l'intervention du Takeover Panel. La perspective d'une instruction longue et périlleuse pourrait encourager le forum shopping par un déplacement du siège social vers les pays permettant une radiation de la cote dans des conditions suffisamment souples. Cette possibilité est particulièrement regrettable et préoccupante et cela d'autant plus dans le contexte du Brexit induisant de facto une concurrence accrue entre Paris et Londres et aux vues de la désaffection croissante constatée des émetteurs pour la cotation en bourse dont l'une des motivations évidentes est liée aux importantes difficultés pour en sortir.

Il est donc impératif que le dispositif qui sera mis en place permette, sans léser les investisseurs minoritaires, de simplifier et d'alléger la procédure de retrait de la cote.

Proposition n°1 - Mieux garantir le suivi de l'offre par les administrateurs

En cas d'offre publique, un comité d'administrateurs ad hoc constitué majoritairement d'administrateurs indépendants devrait être chargé par l'organe social compétent de la société visée de choisir et superviser les travaux de l'expert indépendant.

En l'absence d'administrateurs indépendants ou lorsque leur nombre est insuffisant pour former un comité ad hoc, la société visée par l'offre publique devrait soumettre à l'AMF, pour agrément, l'expert indépendant qu'elle entend désigner au regard des moyens matériels et humains (notamment la composition et la qualification de l'équipe dédiée à la mission) dont il dispose et du programme de travail établi, lequel inclurait également le nombre d'heures et le montant des honoraires demandés.

Pour rappel, depuis la modification de l'article 261-1 du RG AMF en 2006, conforme sur ce point aux recommandations formulées par le rapport relatif au renforcement de l'évaluation financière indépendante dans le cadre des offres publiques et des rapprochements d'entreprises cotées, il appartient à la société visée par une offre publique ou qui envisage un retrait obligatoire de nommer un expert indépendant.

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Auparavant, celui-ci était désigné par l'AMF dans le cadre d'une procédure administrative d'agrément.

Si le premier paragraphe de la proposition n°1 s'insère dans une logique et des principes de bonne gouvernance, le second encourt la critique dans la mesure où il constitue un retour en arrière regrettable :

Calendrier: la rédaction proposée de l'article 261-1, III du RG AMF enferme la procédure d'agrément de l'expert indépendant, lorsque la société visée ne dispose pas d'un comité ad hoc composé d'administrateurs indépendants, dans un délai de 15 jours de négociation, trop long eu égard aux contraintes de temps inhérentes aux offres publiques, notamment de prise de contrôle.

  • Offres publiques de prise de contrôle: toutes les offres publiques de prise de contrôle supposent le respect d'un calendrier extrêmement serré.
  • Offres publiques de fermeture: les offres publiques de fermeture peuvent être animées par des motivations diverses et variées qu'il convient d'envisager ci-après, sans pourtant en fournir de liste exhaustive. D'abord, un certain nombre d'offres publiques de fermeture sanctionnent le faible volume d'échange des actions de la société visée sur une période donnée et donc, l'insuffisance de liquidité desdites actions - laquelle pourrait conduire à une sous-évaluation des actions concernées; néanmoins, il ne s'agit pas d'une règle invariable. Ensuite, selon une logique de coût, la société peut décider de s'émanciper de la cotation compte tenu d'une part, de la sous-utilisation du marché dans sa politique de financement et d'autre part, des coûts induits par la cotation. De la même façon, une offre publique de fermeture est susceptible d'intervenir dans un contexte de restructuration interne du groupe ou afin de permettre à la société de bénéficier du régime de l'intégration fiscale. En fonction des objectifs spécifiques poursuivis par l'initiateur de l'offre publique de fermeture, le calendrier peut ainsi se révéler déterminant au succès de ladite offre.

Dès lors, l'extension de la durée de la procédure est contestable tant s'agissant des offres publiques de prise de contrôle que des offres publiques de fermeture. C'est donc vers un délai extrêmement court qu'il convient de tendre.

Proposition de rédaction

Article 261-1-1-III du RG AMF

  1. - Dans les cas visés aux I et II du présent article, l'AMF peut, le cas échéant, s'opposer à la désignation de l'expert indépendant, dans un délai de 152 jours de négociation, lorsqu'elle a des motifs raisonnables de considérer que l'expert ne présente pas les compétences ou garanties suffisantes, notamment d'indépendance, pour assurer sa mission.

Composition du comité ad hoc: pourquoi un comité ad hoc composé 3 personnes au moins ? Par définition, lorsque l'offre est lancée par un majoritaire, les administrateurs indépendants peuvent être en nombre restreint (la cible de gouvernance étant d'au moins 1/3). Lorsque le choix des actionnaires est celui d'un conseil resserré avec un faible nombre d'administrateurs (7 ou 8 par exemple), pourquoi un comité ad hoc formé de deux administrateurs indépendants ne conviendrait-il pas ? Pour quelles raisons la mission de sélection ou de supervision ne pourrait-elle pas être confiée à un seul administrateur indépendant ? Est-ce le nombre qui garantit l'indépendance et la capacité de l'administrateur à jouer pleinement son rôle ?

Ainsi, c'est seulement en l'absence d'indépendants ou, à défaut, de membres qui ne sont pas en situation de conflit d'intérêts (v. infra), qu'une intervention de l'AMF se justifierait.

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Membre qui n'est pas en situation de conflit d'intérêts: si les sociétés dites « large cap » disposent des outils techniques, matériels et humains pour doter leur organe social compétent d'un nombre de membres indépendants suffisant afin de constituer un comité ad hoc, il n'en est pas de même pour des sociétés dites « small » ou « mid cap ». Dès lors, il serait nécessairement complexe, voire impossible, pour ces sociétés de constituer un comité ad hoc, rétablissant ainsi, en pratique, à tout le moins pour ces sociétés, une procédure d'agrément auprès de l'AMF quasi-systématique.Ceci est d'autant plus regrettable que cela va à contre-courantdes initiatives engagées par le Gouvernement et les régulateurs, y compris l'AMF, ainsi que par les différents acteurs concernés, visant à renforcer l'attractivité des marchés financiers notamment, au profit des PME et des ETI. Cette recherche d'attractivité repose certes sur l'amélioration des conditions d'accès aux marchés financiers mais également - et nécessairement - sur la simplification des modalités de sortie de la cote. Or, la généralisation de la procédure d'agrément pour les sociétés « small » ou « mid cap » qu'engendrerait inévitablement la présente réforme, est de nature à sensiblement alourdir les modalités de retrait de la cote. Cet alourdissement viendrait alors accélérer le ralentissement, structurel depuis plusieurs années, du nombre annuel d'introductions en bourse.

Dans ce contexte, le recours au concept de membre qui n'est pas en situation de conflit d'intérêts, à défaut d'un nombre suffisant d'administrateurs indépendants, constitue une solution appropriée, un arbitrage raisonnable pour préserver, autant que faire se peut, les intérêts en présence dans la mesure où elle n'a pas d'impacts négatifs sur la situation des actionnaires minoritaires de la société visée.

Propositions de rédaction

Article 261-1-III du RG AMF

  1. - L'expert indépendant est désigné, dans les conditions fixées par une instruction de l'AMF, par l'organe social compétent de la société visée sur proposition d'un comité ad hoc comportant une majorité de membres indépendants ou, à défaut, de membres qui ne sont pas dans une situation de conflit d'intérêts. Dans l'hypothèse où l'organe social compétent adopte un avis motivé qui s'écarte des termes proposés par le comité ad hoc, il en fait connaître les raisons dans son avis motivé prévu à l'article 231-19, 4°.

Article 231-19-4° in fine du RG AMF

Lorsqu'au sein de l'organe social compétent, a été constitué dans le cadre de l'offre un comité ad hoc comprenant une majorité de membres indépendants ou, à défaut, de membres qui ne sont pas dans une situation de conflit d'intérêts, celui-ci propose la nomination de l'expert indépendant, assure le suivi de ses travaux et prépare les termes de l'avis motivé. Dans l'hypothèse où l'organe social compétent adopte un avis motivé qui s'écarte des termes proposés par le comité ad hoc, il en fait connaître les raisons dans cet avis.

Recommandation additionnelle: afin de permettre aux sociétés visées de bénéficier de la flexibilité dont elles ont besoin, il serait préférable de supprimer les articles 261-1-III,261-1-1,261-1-2 et 231- 19-4°in fine du RG AMF et de les reproduire, tels que modifiés dans le cadre de la présente réponse, dans la Recommandation n°2006-15 relative à l'expertise indépendante dans le cadre des opérations financières. En effet, les contraintes de temps et les exigences de confidentialité qui conditionnent, bien souvent, la réussite d'une offre publique implique un minimum de flexibilité afin de permettre aux sociétés visées de s'éloigner, dans la limite du respect de la loi et des principes généraux du droit, du mode de désignation « normal » d'un expert indépendant.

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Cette Recommandation n°2006-15 pourrait également contenir des éléments de définition - suffisamment flexibles pour ne pas enfermer la procédure dans un carcan trop rigide - de la notion de conflit d'intérêt appliquée à un membre de l'organe social compétent4.

Proposition n°2 - Mieux garantir le suivi de l'offre par les administrateurs

En cas d'offre de fermeture, la remise par l'expert indépendant de son rapport signé au profit de l'organe social compétent de la société visée, et l'émission par ledit organe de son avis motivé sur l'offre, interviendraient au plus tôt 15 jours de négociation après le dépôt de la note d'information de l'initiateur, pour permettre à l'expert indépendant et à l'organe social compétent de la société visée de prendre connaissance des éventuelles observations écrites provenant des actionnaires minoritaires et de répondreaux principales d'entre elles.

Si la protection des intérêts des actionnaires minoritaires est évidemment un sujet important et sensible, la proposition n°2 n'est pas satisfaisante puisqu'elle s'éloigne sensiblement de l'esprit du législateur, s'agissant de la Loi PACTE (à savoir, faciliter la radiation de la cote) :

Un débat contradictoire inapproprié à un stade prématuré de l'offre publique de fermeture:

  • Contreproductif: la multiplication des observations est inévitablement de nature à retarder la remise du rapport de l'expert indépendant. Or, le paramètre temporel est une condition importante du bon fonctionnement de l'offre. La pratique actuelle des addenda entre le dépôt et le visa tendait à le préserver.

Il existe en outre un risque important que ce débat contradictoire, dès lors qu'on pourrait l'imaginer lourdement alimenté d'opinions externes dans des situations particulièrement controversées, conduise en quelque sorte à instaurer une situation d'« anti chambre » à un éventuel contentieux

  • à l'occasion de l'examen de la conformité de l'offre publique par le collège de l'AMF.

  • Un débat reposant sur des informations parcellaires: les observations formulées par les actionnaires minoritaires de la société visée ne pourront, par définition, pas s'appuyer sur le rapport de l'expert indépendant. Or, l'introduction d'un débat contradictoire au profit des actionnaires minoritaires peut-ilavoir du sens si ces derniers ne sont pas en mesure de bénéficier l'œil critique et des éclaircissements fournis par l'expert indépendant dans le cadre de son rapport ?
  • Un périmètre aléatoire: cette proposition impose à l'organe social compétent dans le cadre de l'émission de son avis motivé, et à l'expert indépendant de répondre aux « principales observations » écrites formulées par les actionnaires minoritaires. Or, et outre le fait qu'un tel exercice peut se révéler chronophage tant pour la société visée que pour l'expert indépendant, la notion de « principales observations » n'est pas définie, voire n'est pas définissable. Ce concept porte en lui un élément d'appréciation subjectif, source d'insécurité juridique et manifestement incompatible avec le régime des offres publiques, notamment de fermeture. En effet, il pourrait aussi bien faire référence à une observation jugée pertinente par l'expert indépendant (créant ainsi un aléa selon l'expert désigné), et/ou à une observation soulevée de façon récurrente par un certain nombre d'actionnaires minoritaires et cela en dépit de son absence de pertinence et

4 A titre de point de départ de la réflexion, les éléments suivants pourraient être envisagés : Un membre qui n'est pas en situation de conflit d'intérêts désigne un membre de l'organe social compétent d'une société visée par une offre publique qui relève de l'une des situations suivantes : (a) Il n'a pas de lien capitalistique, patrimonial ou extra- patrimonial, directement ou par personne interposée, avec l'une des personnes suivantes : (1) l'initiateur de l'offre publique ou un membre de son groupe ; (2) l'expert indépendant désigné ou dont la désignation est envisagée ; (b) Il n'est pas intéressé à l'issue de l'offre publique ou au retrait obligatoire ; tout en ne fermant pas la porte à d'autres situations dans lesquelles un membre ne serait pas objectivement en situation de conflit d'intérêts (par exemple un représentant des salariés).

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La Sté AMAFI - Association française des marchés financiers a publié ce contenu, le 16 octobre 2019, et est seule responsable des informations qui y sont renfermées.
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