"Quels commentaires vous inspirent les résultats semestriels des quatre groupes français cotés ?
Les résultats se sont révélés solides, quelque peu supérieurs aux attentes. Nous avons pu observer une bonne reprise de l’activité de crédit à la fois en France et à l’international. Les provisions sont ressorties notablement en dessous des attentes, vraisemblablement du fait de la légère amélioration de la conjoncture économique, notamment en Europe. Les couts ont été assez bien maitrisés, sans grande surprise.
Le niveau de solvabilité traduit par le ratio core Tier1, surveillé de près par les investisseurs, a réservé de bonnes surprises, particulièrement pour BNP, Société Générale et Natixis. Il est apparu que ces trois banques ont rattrapé leur retard par rapport à leurs homologues européennes. La barre fatidique des 10% a été confortablement dépassée.

Pourquoi cette barre des 10% est-elle fatidique ?

En dessous de 10%, une incertitude pèse a propos d’une éventuelle augmentation de capital qui serait dilutive pour les actionnaires.

La donne est quelque peu différente pour Crédit Agricole ?

Bien que l’activité ait été dynamique, l’évolution du ratio de solvabilité s’est avérée décevante. Singulièrement, les investisseurs ont été désenchantés par la non validation du plan de restructuration de la gouvernance du groupe. Celle-ci était clairement anticipée par le marché.

Quelle analyse faites-vous de la chute du cours de bourse de Natixis ?

L’effondrement du cours de bourse de Natixis a conduit à une baisse de capitalisation boursière inférieure à la variation de valeur de la part détenue au sein de la Coface.
La sortie de la Coface rapporte 0,6% au ratio de solvabilité de Natixis. Cette opération n’a pas en soi un caractère déterminant sachant que la société génère un montant significatif d’excédent de capital chaque année.
Par ailleurs, il ne s’agit pas pour l’heure pour Natixis de ne pas sortir de la Coface, mais de reporter son retrait à un prix probablement inférieur à celui initialement escompté.
Enfin, nous pouvons admettre que les différentes activités de Natixis devraient permettre de renforcer le ratio de capital dans les trimestres à venir.

Suite aux annonces des résultats semestriels, avez-vous procédé à des ajustements dans votre allocation d’actifs ?
Nous avons réduit notre exposition à Crédit Agricole et Natixis.

La visibilité vous semble-t-elle suffisamment bonne pour envisager les perspectives pour le second semestre ?
La visibilité sur les résultats parait bonne.
Dans la banque de détail en France, l’activité se redresse, et la collecte d’actifs en dehors de l’activité pure de la banque de détail, gestion d’actifs et assurance est très positive.
Les provisions devraient par ailleurs demeurer limitées. La croissance s’élevant quelque peu, nous devrions avoir moins de défaillances de crédit des ménages et des entreprises.
La diminution du taux du livret A constitue un autre support pour les résultats des banques françaises au cours des prochains mois. Ce taux sert de référent pour l’ensemble des taux de collecte. Ainsi moins ces taux sont importants, plus les économies réalisées sont importantes.

Au-delà de la banque de détail et de la banque d’épargne, que pensez-vous des autres activités des banques françaises ?

La SG est confrontée à un problème épineux en Russie. Un processus de réorganisation, avec des licenciements, a été lancé. Il me semble que la banque a connu le pire par rapport à sa présence dans ce pays. Les estimations de pertes avancées sont très significatives et paraissent prudentes.
Par ailleurs, dans les autres pays d’Europe de l’est, la situation a l’air de se rétablir graduellement.

Diriez-vous que la Russie constitue le principal risque pour SG ?

Oui. Des objectifs ambitieux étaient mis en avant sur l’évolution de l’activité de la banque en Russie. La prévision du taux de rentabilité dans le pays était de 15%. Des pertes ont dernièrement été actées.
Les perturbations que connait le Kremlin présentement, a priori durables, éteignent indéniablement un des moteurs du redressement de la rentabilité future.
Le point faible de SG en Russie est de ne pas être seulement lié aux grandes entreprises russes à caractère stratégique, comme Gazprom, pour lesquels il est quasi impossible d’envisager un défaut, mais de présenter également une exposition à la banque de détail et au crédit à la consommation auprès des particuliers. Dans un pays en récession, on peut imaginer que tous les clients particuliers de SG sont ou vont être en souffrance et auront du mal à honorer leurs engagements. Par rapport à ce risque de fréquence, une remontée du taux de défaut sur ce segment de crédit plus rapide et plus profond est à attendre que sur le segment du crédit accordé aux grandes entreprises.

Une caractéristique commune aux quatre banques françaises est la banque d’affaires...

Oui. Même pour CA SA, la banque d’affaires constitue un tiers des fonds propres.
Il est dit souvent que la volatilité des marchés est source de profits. Cela multiplie le nombre de transactions. Les opérateurs souhaitent se couvrir. Ceci étant, nous pourrions avoir un trimestre d’activité clientèle performant, spécialement dans le pôle des dérivés actions de SG.
Avec tous les chocs récents (flash krach du lundi 24 août, soubresauts des devises et des taux), nous ne sommes pas à l’abri d’accidents. Si nous n’avons pas d’incident dans les mois à venir, cela confirmerait le fait que les banques procèdent à moins de transactions pour compte propre, ce qui n’est pas encore évident.

Pensez-vous que la volonté affichée de BNP de développer sa banque d’affaires en Asie constitue une menace ?

Je ne pense pas que ce soit le cas. Les grands acteurs financiers ne se trouvent pas essentiellement en Chine. La chute de la Bourse de Shanghai impacte BNP dans la mesure où elle fait ralentir les arrivées de capitaux dans les pays connexes à la Chine, comme Hong Kong.
Les effets induits par la dépréciation des devises asiatiques se retrouvent au niveau de la translation des comptes. Cela ne remet pas en cause le potentiel d’expansion à long terme des marchés financiers dans cette région et donc la stratégie de développement de BNP.

Quel est la principale source de danger pour Natixis ?

Le risque principal est lié à l’évolution des marchés financiers. La banque a généré d’abondants revenus sur son métier asset management grâce au rallye des actions américaines et au fort repli des taux. Le taux de progression se situe entre 10% et 15% par an. En cas de chute des marchés actions américaines et d’une remontée violente des taux américains, cela aura indéniablement un effet de contagion dans d’autres compartiments du monde, et affectera le pôle gestion d’actifs de Natixis.

Quelle perception avez-vous de son intention de développer son activité d’asset management dans les pays émergents ?
Avant de se développer dans les pays émergents, Natixis affiche le désir d’avoir un produit émergent. Aujourd’hui la firme se remarque par sa performance dans sa gestion des actions et obligations américaines et européennes. L’intégration de DNCA ne fait qu’accentuer ce savoir faire.
Il leur manque une gamme de fonds émergents. Il y a une prise de conscience pour s’aventurer sur ce terrain.
A présent, la décision prise par Natixis de chercher à vendre davantage ses fonds performants présentement reconnus à des investisseurs des pays émergents ne parait pas une mauvaise idée en soi. C’est pour eux une manière de diversifier leur clientèle.

La qualité du capital constitue-t-elle la principale fragilité de CASA ?

Le plan de réorganisation avait vocation de rendre caduque tout le débat défavorable sur la qualité du capital de la banque cotée. Si on retire toutes les spécificités prévues dans le capital actuel, notamment le fait qu’il y a peu de fonds propres mis en face de l’activité d’assurances, le ratio affiché par CASA s’avère assez modeste.
Le plan était censé remplir les caisses selon certaines estimations de 3 milliards.
Ceci étant, le groupe Crédit Agricole est très bien armé et ne soulève aucune interrogation ni en termes de qualité ni en termes de quantité de fonds propres. Le Régulateur semble surtout intéressé par l’ensemble de l’entité et non seulement par la structure cotée. Cependant la visibilité sur les fonds propres logés dans l’ensemble du groupe n’est pas très bonne.

Quelle analyse faites-vous de la non validation de ce plan de réorganisation par le Régulateur ?

Je pense que ce qui pose problème à la BCE c’est d’approuver le plan de réorganisation alors que le capital comprend un important impact du compromis danois, qui concerne le traitement comptable de la solvabilité de la filiale d’assurances. Je suis d’avis que la BCE voulait remettre en cause ce compromis pour nettoyer le capital de CASA. Cette dernière n’était pas prête à le faire.

Est-il envisageable que CASA trouve un autre moyen que ce plan de réorganisation pour améliorer la qualité de son capital ?

Pas rapidement. La génération de capital devrait continuer à être assez marginale. Je ne vois pas d’autres mécanismes rapides à implémenter qui permettrait à CASA d’augmenter la qualité de son capital.

Y a-t-il matière à craindre l’exposition des banques françaises à la Chine ?

Je ne suis pas d’avis que l’exposition des banques françaises à la Chine soit énorme. Cette exposition concerne surtout des grandes entreprises chinoises. Elle est limitée sur l’immobilier et quasi nulle sur le crédit à la consommation des chinois.
Il est intéressant de se demander si le ralentissement de la Chine coïncide seulement avec le repli des cours des matières premières-aluminium, minerai de fer, cuivre. Tel n’est pas le cas. Cela fait de nombreux trimestres que le ralentissement de la croissance chinoise est observé.
Nous pouvons ensuite chercher à déterminer si ce ralentissement aura des incidences sur la conjoncture mondiale. Les banques sont très liées à travers leur cycle de provisions à l’économie domestique et à l’économie internationale. Si le ralentissement de la Chine est bien plus prononcé que prévu et met à mal la croissance mondiale de façon violente, l’essoufflement de la croissance aux Etats-Unis et en Europe aura inévitablement des retombées sur le rythme de distribution du crédit et sur la hausse des provisions relatives à l’amplification des créances douteuses. Tout cela est à surveiller de près. Pour le moment le FMI ne présage pas un tel scénario obscur.

Quel diagnostic faites-vous des dégâts potentiels causés par le fort repli du cours des matières premières sur les revenus des banques françaises ?

Le fort repli des cours des matières premières reflète dans sa grande généralité l’affaiblissement de la croissance chinoise et de la croissance mondiale. S’agissant du cours du baril, d’autres paramètres entrent en ligne de compte comme la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis, l’éventuelle levée des sanctions sur les exportations pétrolières iraniennes.
Au niveau de l’activité des matières premières des banques françaises doivent être considérés deux facteurs : la baisse des prix qui a un effet défavorable sur l’activité des banques et la hausse de la volatilité qui a, au contraire, un effet favorable. A présent la principale menace si nous avons des cours des matières premières durablement faibles, c’est l’arrêt des projets d’investissements des entreprises du secteur, une hypothétique perte de leur profitabilité qui pourrait aller jusqu’à une mise en défaut. Des dérapages pourraient alors être constatés au niveau des provisions effectuées.
Souvent sont données par les banques les expositions par signature des emprunteurs. On s’aperçoit que la part des crédits octroyés aux emprunteurs les plus vulnérables a drastiquement diminué.

Un assouplissement supplémentaire de la politique monétaire de la BCE pourrait il davantage porter préjudice aux banques françaises ?

C’est un risque. Si le niveau très bas des taux d’intérêt constitue un élément négatif pour les marges des banques, le programme de quantitative easing de la BCE a pour contrecoup de renforcer la confiance et d’inciter les agents économiques à s’endetter pour consommer et investir et soutenir la croissance.
Ainsi les marges sont rognées mais les volumes sont meilleurs. La contraction du revenu net d’intérêt peut ainsi être modérée.

Quelle hiérarchisation des banques françaises feriez-vous actuellement en fonction de leur profil de risque ?
BNP est selon la banque la moins risquée car la plus diversifiée. Je mettrais ensuite CASA, qui a 60% de ses revenus provenant d’activités récurrentes (banque de détail et gestion d’actifs), Natixis et Société Générale.

Vous ne croyez pas à une intensification du mouvement de consolidation ?

Je ne table pas sur une intensification du mouvement de consolidation car il n’y a pas de fongibilité totale des ressources à l’intérieur de l’Europe. Les dépôts d’un pays ne peuvent pas financer les crédits d’un autre. De même les fonds propres amassés dans un pays ne peuvent pas permettre de développer une activité dans un autre pays. Nous avons pu le remarquer par exemple avec Unicredit et sa filiale allemande HVB. Unicredit ne peut pas utiliser les ressources d’HVB ailleurs qu’en Allemagne. Au-delà d’un superviseur unique, nous avons besoin d’un fonds de résolution unique, et d’une garantie unique des dépôts en Europe. Cela pourrait se faire à horizon 2016-2017. La création d’un véritable marché bancaire unique européen aura pour résultat une accélération du mouvement de consolidation.

Les opportunités dans le secteur bancaire sont-elles plus élevées ailleurs en Europe qu’en France ?
Absolument. Globalement le potentiel de revalorisation des banques françaises n’est pas négligeable. Il est particulièrement élevé pour Natixis qui a souffert de la mauvaise nouvelle sur la Coface et de la dépréciation récente du dollar.
Les meilleures opportunités dans le secteur bancaire européen se trouvent à mon sens en Italie où on perçoit une reprise économique, la mise en œuvre de réformes structurelles notamment sur le marché du travail, de faibles tensions politiques, une meilleure discipline des directions bancaires, une consolidation visible.
"