Dans un contexte de “hausse rapide” des taux de rendement obligataires aux Etats-Unis et dans une moindre mesure en Europe, l’inflation redevient un grand sujet de discussions sur les marchés. Mais qu’est-ce que l’inflation, quels sont ses déterminants, ses enjeux pour les investisseurs ? Enfin quels sont les arguments des tenants des deux scénarios les plus débattus du moment pour expliquer la réapparition des craintes inflationnistes ? 

  • L’inflation, en bref 

L’inflation constitue une perte de pouvoir d’achat de la monnaie. Ce phénomène se matérialise par une hausse généralisée et durable des prix. Comprenons ici qu’une hausse de prix qui n'affecte que certains biens, pendant une courte période, ne constitue pas un phénomène inflationniste à proprement parler. En plus d’être généralisée et durable, la hausse des prix doit être auto-entretenue, cumulative et mettre en lumière “des interdépendances entre toutes les parties et tous les mécanismes de l'économie” telles que : la détermination et la répartition des revenus, les prix, la production… 

Elle est mesurée par des indicateurs synthétiques, en France l’IPC (Indice des Prix à la Consommation) et pour les pays de la zone euro l’IPCH (Indice des Prix à la Consommation Harmonisé).

  • Les déterminants de l’inflation 

Comme nous l’avons dit plus haut, l’inflation est un phénomène macroéconomique complexe qui peut être entretenu par plusieurs mécanismes et initialement catalysé par un ou plusieurs déterminants à la fois. On a coutume de recenser quatre facteurs explicatifs :

    • L’inflation par la demande : il y a inflation par la demande lorsque les capacités de production de l’économie ne sont pas capables de répondre à la demande agrégée. Cela revient à dire que l’offre agrégée n’augmente pas assez rapidement. Par conséquent, les prix augmentent mécaniquement en vertu de la loi de l’offre et la demande.
    • L’inflation par les coûts : elle est observable lorsque les entreprises répercutent sur leurs prix de vente la hausse de leurs coûts de production. En général, ce type d’inflation a un effet cumulatif et chaque agent répercute sur ses prix de ventes (entreprises) ou revenus (ménages) les surcoûts auxquels il doit faire face à cause de l’augmentation des prix. Chacun en vient à anticiper une nouvelle hausse et ce faisant participe de l’accomplissement d’une “prophétie autoréalisatrice”. 
    • L’inflation par la monnaie : l’idée est que pour un volume de production donné (Y) et une vitesse de circulation de la monnaie constante (v), l’inflation (augmentation du niveau général des prix) est générée par un accroissement de la masse monétaire trop important. Elle est résumée par l'équation d’Irving Fisher ci-dessous :

M.v = P.Y ou M.v = P.T 

Avec : 

M est la masse monétaire

v est la vitesse de circulation de la monnaie

P est le niveau général des prix

Y est le volume de production (ou de transaction T)

    • L’inflation par les structures : elle a lieu lorsque l’économie passe d’une régulation des prix concurrentielle à une régulation monopoliste. Dans cet environnement, le niveau général des prix a tendance à augmenter. Ici, quand on parle de régulation il ne s’agit pas nécessairement de législation mais de la manière dont se structure l’économie de façon plus ou moins spontanée. La fixation des salaires qui ne se fait pas par les mécanismes de marché peut également jouer un rôle dans le déclenchement de l’inflation.

On l’aura compris, l’inflation ne dépend pas d'une mécanique sous-jacente unique dont il suffirait de supprimer le principal facteur causal pour que le processus cesse. Un des quatre déterminants cités plus haut peut jouer le rôle de catalyseur et ensuite interagir avec plusieurs autres induisant un effet boule de neige auto-entretenu et rendant le phénomène difficile à juguler pour les banques centrales. À titre d’exemple, si l’inflation est déclenchée par une création monétaire trop importante pour un niveau de production donné il y aura alors inflation par la monnaie. Les salariés, s’ils sont en position de négocier pourront faire augmenter leur salaire, ce qui peut avoir le double effet d’occasionner une inflation par les coûts et par la demande et ainsi de suite. On peut aussi imaginer que le processus soit initié par une demande globale trop importante par rapport à l’offre de biens potentiels. Si les facteurs de production sont pleinement employés et que la demande globale est plus importante que la capacité des facteurs, alors les entreprises augmenteront leurs prix. Les salariés s’ils anticipent l’inflation reverrons leurs exigences salariales à la hausse et induiront par la même une augmentation des coûts de productions des entreprises qui les répercuteront sur leurs prix de ventes … Et ainsi de suite !

Interdépendances à l’oeuvre lors des périodes inflationnistes

Source : l’Inflation : de quoi parlons nous ? (Gaston Olive)
  • Mais l’inflation à petite dose peut être bénéfique 

Un faible taux d’inflation peut s’avérer bénéfique pour le dynamisme de l’économie réelle. En effet, il peut doper la demande. Un agent économique préférant acheter maintenant ce qui coûtera plus cher demain. De plus, comme nous le verrons plus bas, la charge de la dette peut diminuer pour les ménages dopant par la même occasion la demande globale, ajoutant à l’activité productive potentielle. Enfin, elle favorise l’emprunt pour les entreprises en bonne santé financière en faisant diminuer les intérêts réels. Toutefois, tout cela participe d’un phénomène redistributif et peut s’avérer néfaste pour les investisseurs.

  • Pour la BCE, ce qu’il faut éviter, c’est la spirale déflationniste

Le mandat de la banque centrale consiste à maintenir la stabilité des prix. En effet, une baisse généralisée des prix est mauvaise car elle entraîne ce que l’on appelle une spirale déflationniste. Le processus est le suivant : la baisse des prix fait reporter leurs achats aux entreprises et aux ménages (pourquoi dépenser maintenant pour quelque chose qui coûtera moins cher dans le futur ?) ce qui entraîne une baisse de la production et une augmentation du chômage puis une baisse généralisée des salaires à cause de l’afflux de demande de travail sur le marché, ce qui entraîne à son tour une baisse de la demande globale. Cette baisse de la demande globale conduit à une nouvelle baisse des prix et le cycle infernal perdure.

Illustration du processus de spirale déflationniste

Tout l'enjeu pour les banques centrales est donc d’éviter que ce genre de cycle s’enclenche. Ainsi, en Europe, la BCE a un taux d’inflation cible de 2%. En effet, si elle visait une inflation strictement nulle, elle se priverait des effets bénéfiques d’une inflation modérée d’une part, mais elle prendrait également le risque d’enclencher la spirale compte tenu de la marge d’erreur inévitable lors des calculs des prévisions d’inflation. De plus, c’est dans l’ensemble de la zone euro que l’institution européenne est responsable de la stabilité des prix. Ainsi, un taux cible proche de mais inférieur à 2% offre une marge de manœuvre en cas de divergence trop importante des économies. “Un objectif supérieur à zéro contribue à éviter que certains pays ou certaines régions ne soient soumis à des taux d’inflation excessivement faibles, voire négatifs, pour contrebalancer les taux d’inflation plus élevés que peuvent présenter d’autres pays” peut-on lire sur le site de la BCE. Enfin, l’indice IPCH de par son mode de calcul est susceptible d’être légèrement surestimé. Cela est vrai quand le lien entre la variation du prix et l’amélioration de la qualité du produit n’est pas bien pris en compte dans le calcul de l’indice. Dans ce cas de figure, les chiffres affichent une inflation plus importante qu’elle ne l’est réellement.
  • Les enjeux pour l’investisseur quand l’inflation est trop importante ? Préserver la valeur de son capital ! 

L’inflation fait des gagnants et des perdants. Pour faire simple, dans un environnement inflationniste, la préservation du patrimoine s’apparente à une course de vitesse et ceux dont la valeur du capital augmente plus rapidement que le niveau général des prix s’en tireront à bon compte. Il est coutume de dire que l’inflation fait baisser la valeur des actifs financiers, notamment des titres de créance et cela s’explique de la manière suivante : imaginons que vous êtes un créancier et que votre débiteur vous ait emprunté une certaine somme à un taux fixe R. Si le taux d’inflation G est supérieur à R alors vous perdez de l’argent. Le débiteur en revanche voit la charge de sa dette diminuer (toutes choses égales par ailleurs). Toutefois, si nous considérons que vous êtes capable d’anticiper l’inflation et de la répercuter dans les taux d’intérêts nominaux, alors vous parviendrez à conserver la valeur réelle de votre titre de dette.

  • Les arguments en faveur du retour de l’inflation 

Compte tenu de ce que nous venons de dire au paragraphe précédent, une première hypothèse vraisemblable est que, forts de leur capacité à anticiper l’inflation, les marchés financiers répercutent ces anticipations dans les taux de rendement obligataires qu’ils demandent aux Etats afin de ne pas être perdants à la fin de l’histoire. Cette hypothèse semble majoritaire aujourd’hui, compte tenu des pressions inflationnistes que connaît l’économie mondiale. Ainsi, Radu Vranceanu et Marc Guyot, professeurs d’économie à l'ESSEC, s'ils écartent à court terme un retour de l’inflation par la monnaie, affirment que des tensions existent tant du point de vue de la demande globale que de la hausse des coûts de production. Pour ce qui est de l’inflation par la demande, l’argument principal est le taux d’épargne des ménages qui a augmenté de manière très significative en 2020 suite aux mesures de confinement. Ils ajoutent que “la crise sanitaire de la Covid-19 a drastiquement réduit les capacités productives de l’économie mondiale” et que les coûts de production ont fortement augmenté dans la plupart des secteurs d’activité. De plus, les mesures de lutte anti-covid ont procédé d’une “désorganisation des chaînes mondiales de production et distribution, pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs, pénuries de produits intermédiaires (composants électroniques) et une explosion des coûts de transport maritime”. Dans le même registre, Agnès Bénassy-Quéré, chef économiste du Trésor, attire notre attention sur le fait que “Ce serait une grave erreur de raisonner à production potentielle inchangée”.

Augmentation du taux d’épargne en 2020 : l’exemple de la France

Source : Statista
  • Deuxième explication possible : la hausse des taux est due à un retour à la normale de la situation économique

Dans une économie stable est saine, on peut considérer qu’une courbe de rendement est croissante et concave (voir ci-dessous). En effet, plus l’échéance est longue et plus les risques de défauts causés par un événement inattendu sont grands. Toutefois, l’hypothèse à long terme que l’Etat émetteur devienne insolvable (20 ans, 30 ans) apparaît (historiquement) peu probable d’où une pente de moins en moins importante à mesure que les échéances deviennent plus longues.

Source : lafinancepourtous.com 

Si l’on suppose que les campagnes vaccinales feront leur office rapidement, qu’elles seront suivies par un fort rebond économique et que la production potentielle des facteurs de production demeurera inchangée, alors la hausse des taux d’intérêts peut être considérée comme un retour à une situation normalisée. D’autant que si la remontée des taux s’est faite à un rythme soutenu au mois de février, ils demeurent toujours historiquement bas s’ils sont comparés à leur valeur moyenne sur longue période.

Source : fredstlouisfrd.com

Ainsi, W. Bradford McMillan, directeur des investissements chez Commonwealth Financial Network a déclaré : “une économie normale exige des taux normaux” et que “si l'on considère les dix dernières années, les taux pourraient grimper jusqu'à 2-2,5 % et rester normaux. Jusqu'à présent, l'augmentation ressemble davantage à une réaction financière saine qu'à quelque chose de pire. Il ne faut donc pas s'attendre à une hausse de l'inflation. Elle est restée faible au cours de la dernière décennie, même si les taux étaient plus élevés qu'ils ne le sont aujourd'hui”.

  • Pour conclure 

Deux scénarios principaux se profilent sur les marchés en ce qui concerne le retour de l’inflation. Le premier anticipe un retour de cette dernière par le biais d’une augmentation soudaine de la demande globale auxquelles les entreprises ne seraient pas capables de répondre. Le second scénario en revanche anticipe qu’il n’y a pas de risque d’inflation. L’afflux de demande qui aura lieu lorsque les ménages diminueront leur taux d’épargne pourra être supporté par les entreprises. Par conséquent, cela ne devrait pas conduire à une hausse de l’inflation.