Ce phénomène de fuite des clients est apparu alors que certaines des plus grandes banques de la région dévoilaient un début d'année très profitable, mais marqué par de significatifs retraits de liquidités. Ces établissements n'ont pas hésité, après une période quasi nulle au niveau des taux, à facturer plus cher les prêts lorsque les taux d'intérêt ont rapidement augmenté l'année dernière, sans pour autant accroître leurs taux de dépôt pour la plupart. Cet écart a été une aubaine pour les profits de nombreuses grandes banques, mais également une source de mécontentement pour les épargnants, qui s'interrogent désormais sur la stabilité à long terme du secteur.

Décider entre rentabilité et fidélisation

"Les banques traditionnelles doivent décider si elles veulent maximiser leur rentabilité en maintenant des taux de dépôt aussi bas que possible, ou privilégier leur liquidité et leur stabilité en augmentant les taux et en fidélisant les clients", explique Nicola Marinelli, professeur adjoint de finance à l'Université Regent's de Londres. Les fonds monétaires offrent ainsi une alternative attractive pour les épargnants en quête de rendement face à un niveau d'inflation élevé.

Ces dernières années, les rendements de ces fonds n'ont que légèrement surpassé les taux de dépôt bancaire, mais l'indice Money Market Fund, Crane, libellé en sterling, a récemment annoncé un rendement annualisé de 4,12% sur une échelle de 7 jours au 25 avril, contre des taux d'intérêt bancaires parfois inférieurs à 1%. L'équivalent en euros était de 2,81%.

Des données de Refinitiv Lipper montrent que plus de 34 milliards d'euros de flux nets ont été investis dans les fonds monétaires européens en mars, ce qui en a fait le type d'actif le plus prisé ce mois-là. La classe d'actifs pesait déjà plus de 1 400 milliards d'euros fin 2021, mais reste insignifiante en comparaison des sommes déposées sur les comptes courants bancaires de la zone euro, qui atteignaient quant à elles 9 450 milliards d'euros. Fidelity International a également enregistré une hausse de 8% des flux annuels vers les fonds monétaires sur sa plateforme d'investissement entre le 1er janvier et le 26 avril.

Les banques face à la perte de dépôts

Certains dirigeants bancaires minimisent la menace que représente la baisse des dépôts, estimant que les consommateurs sont souvent plus enclins à changer de conjoint plutôt que de banque (!). Interrogé sur la baisse de 1,6% des dépôts au premier trimestre, le PDG d'UniCredit, Andrea Orcel, a déclaré que la banque disposait d'un tel niveau de liquidités – avec un ratio de couverture de 163% – qu'elle pouvait se permettre de privilégier la rentabilité dans la gestion de ses dépôts.

Cette baisse générale des dépôts pourrait également aider les banques à équilibrer leurs passifs et leurs actifs, à mesure que la demande de prêts montre des signes de ralentissement. Cependant, les établissements doivent également veiller à disposer de liquidités et de capitaux suffisants pour couvrir les prêts qui peuvent subitement devenir mauvais. La plupart des banques affichent des niveaux de liquidité et de capitaux bien au-dessus des exigences réglementaires, mais les mésaventures de la banque américaine Silicon Valley Bank et de la suisse Credit Suisse illustrent les risques encourus lorsque les clients se détournent des prêteurs à un rythme plus rapide.

Les retraits s'accélèrent

Au Royaume-Uni, les clients de NatWest ont retiré 11,1 milliard de livres lors des trois premiers mois de l'année, tandis que n'incluant pas les flux exceptionnels, les dépôts de HSBC ont diminué de 10 milliards de dollars pour atteindre 1 600 milliards de dollars. Barclays et Lloyds Banking Group ont enregistré des baisses respectives de 5 milliards et 2,2 milliards de livres.

En Allemagne, les données de la Bundesbank montrent que les dépôts des ménages ont baissé de près de 8% par rapport à l'année précédente, Deutsche Bank, attribuant en partie sa propre baisse de 4,7% au premier trimestre à la contagion de la crise bancaire aux États-Unis et en Suisse. Le directeur financier James von Moltke a reconnu que la concurrence et le départ de certains dépôts sensibles aux prix vers des alternatives plus rémunératrices, telles que les fonds monétaires, ont également joué un rôle.

BNP Paribas en France a également signalé une légère baisse des dépôts au premier trimestre, tandis que la banque espagnole Banco Santander est le seul poids lourd européen à avoir enregistré une hausse de 6% sur la même période. Certains législateurs ont critiqué les banques pour l'écart entre ce qu'elles facturent aux emprunteurs et les taux d'intérêt offerts aux épargnants.

''N'est-ce pas pour préserver vos propres profits ?' ' a demandé la parlementaire britannique Angela Eagle aux dirigeants des banques lors d'une audition parlementaire au Royaume-Uni en février. Le PDG d'HSBC, Noel Quinn, a qualifié la perte de dépôts de sa banque d'' 'insignifiante' ', tandis qu'Andy Halford, directeur financier de Standard Chartered, a déclaré à Reuters qu'il pensait que les épargnants finiraient par privilégier la sécurité à la rémunération de leurs dépôts. "Nous verrons les gens placer leur argent là où il est en sécurité", a-t-il déclaré.