Vous pouvez retrouver l’introduction de cette chronique "Ces valeurs qui cotent moins de 4x l’Ebitda" ici

 Cours au 31/8/2020 – données brutes avant retraitements - source : Zonebourse, S&P Global Market Intelligence

Nous nous intéressons donc aujourd’hui à TF1. Quelle que soit la façon dont l’on aborde sa valorisation (actualisation des flux de trésorerie, multiples de valeur d’entreprise, de capitalisation boursière, rendement, comparaisons historiques ou sectorielles...) cette filiale du groupe Bouygues affiche une décote. Une décote qui déjà s’explique par la situation actionnariale (contrôle à 43,6% et >50% si l’on ajoute l’actionnariat salarié) bloquée. En effet, toute évolution du tour de table dans un sens (rachat significatif de minoritaires) ou dans l’autre (cession) est très improbable chez TF1. Bouygues tient à TF1 qui représente, malheureusement pour l’actionnaire minoritaire, un atout plus politique qu’un placement juteux géré de façon optimale.

Rappelons que la participation de Bouygues dans le n°1 du PAF remonte à la privatisation de la chaîne en 1987. Depuis, le monde de la télévision française a subi sa révolution avec l’arrivée de la TNT (2005) et des plateformes de vidéo à la demande comme Netflix (2014).

Autant la première révolution a été assez bien gérée (rachat de chaînes TNT pour limiter l’érosion sur les chaînes gratuites de 32% à 27% en 2019), autant la seconde constitue une telle menace qu’il n’y a guerre plus que les investisseurs « value » pour s’intéresser à TF1.  Pas des moindres d’ailleurs puisque le français DNCA et l’américain Harris Associate, de gros acteurs de la gestion value, pointent à plus de 5% et que la star française des actions décotées William Higgons a pris position il y a peu sur le titre via son fonds Indépendance et Expansion.

En ne voulant plus entendre parler de TF1, on passe pourtant à côté de certaines réalités. Le n°1 de la TV française résiste mieux que prévu à la crise sanitaire (1) et plus fondamentalement, la TV n’est pas morte (2) et TF1 n’est pas qu’un diffuseur de flux linéaires (3).

Une crise sanitaire pas si dramatique pour les grandes chaînes françaises

C’est bien connu, les budgets publicitaires sont les premiers à être coupés quand une crise survient. Oui, mais c’est sans compter sur l’inertie de certaines campagnes publicitaires au long cours qu’il faut mener à terme pour en tirer tous les fruits, la hausse de l’audience TV pendant le confinement, et la capacité du groupe à compenser 50% de la baisse des revenus publicitaires par des économies sur les coûts des programmes. Au global, l’impact de la crise sanitaire et ses conséquences sur les performances du Groupe au cours du premier semestre s’est traduit par une perte d’opportunité de chiffre d’affaires de l’ordre de 250 M€ (10% du CA 2019) et un impact sur le résultat opérationnel courant de l’ordre de 100 M€ (39% du ROC 2019). De sorte que les analystes ont commencé à revoir en hausse leurs prévisions d’atterrissage de l’exercice 2020 ces dernières semaines (cf. ci-dessous). Le ratio de VE/EBE 2020 de TF1 de l’ordre de 3x est donc très bas malgré une année qui constituera probablement un creux dans l’historique de résultats du groupe de médias.

La TV n’est pas morte

« La TV n’est pas morte », c’est le titre d’une étude fort intéressante réalisée par le concurrent M6 dont je recommande vivement la lecture à ceux qui s’intéressent au secteur. La sélection des quelques visuels ci-dessous vaut mieux que 1000 mots.

Source : M6

La TV, en tête sur de nombreux critères d’efficacité. Source : M6

TF1, ce n’est pas que de la diffusion TV en linéaire

En réaction aux menaces, TF1 s’est diversifié, pas toujours avec un grand succès certes, mais il ne faut pas ignorer la valeur des contenus produits par le groupe (notamment par la filiale Newen) et sa présence sur internet (pôle digital « Unify » qui rassemble le groupe auféminin, Doctissimo, etc.). Ces deux sources de revenus, certes moins margées que la diffusion, totalisent 23% du CA consolidé. A noter que l’offre de contenus non linéaire sur MYTF1 a enregistré 961 millions de vidéos vues sur le premier semestre, soit +16% sur un an. D’après Jérôme Bodin, en charge du suivi du secteur depuis de nombreuses années chez Oddo, les contenus constituent « la priorité stratégique » via le développement de Newen et de « nouvelles acquisitions à l’international » sont attendues.

Source : TF1

Dans une note datée du 31 août qui fait suite à un roadshow avec le groupe, l’analyste motive son opinion Achat sur le titre non seulement par les tendances publicitaires favorables en cette rentrée mais également par des évolutions réglementaires favorables aux chaînes TV françaises : décrêts sur les jours interdits de cinéma (films dorénavant diffusés les mercredi, vendredi et samedi), autorisation de la publicité pour le cinéma et autorisation de la publicité ciblée. Le momentum n’est donc pas si affreux sur TF1

Alors certes, cela ne suffira peut-être pas aux investisseurs pour arbitrer Netflix et Apple au profit des diffuseurs européens mais il nous semble excessif d’enterrer TF1. Et quand on regarde la valorisation des comparables des grands pays voisins, TF1 figure en très bonne place, devant M6, société très bien gérée il est vrai. Et s’il y avait un acteur européen à regarder également de plus près, ce serait Mediaset Espana. La dimension spéculative en plus, cet acteur étant au cœur du conflit qui oppose Sylvio Berlusconi (Mediaset) et Vincent Bolloré (Vivendi).

Comparaison des multiples de valeur d’entreprise de diffuseurs (secteur « broadcasting ») européens (Source : Alphavalue)

En noir, la longue glissade du cours de Bourse de TF1, très comparable à ses pairs européens.

Chiffres clés de TF1, clôture au 31 décembre

  (source Zonebourse, S&P Global Market Intelligence)