Avec les hésitations que nous connaissons aujourd'hui sur les équilibres à retrouver en sortie de crise, une question plus fondamentale, et à plus long terme, se pose autour des indicateurs à retenir pour évaluer les trajectoires macro-économiques des nations.

Ainsi toutes nos analyses, évaluations et commentaires, quelles que soient leurs directions, se fondent sur des critères, des indicateurs statistiques, des ratios souvent macro-économiques qui constituent un tableau de bord des engagements et des dynamiques des nations. Ces indicateurs sont importants car ils permettent d'abord des analyses sur tendance longue, historique, mais surtout des analyses comparatives entre nations. Ils constituent une « force de rappel » sur les Gouvernements, permettent au débat démocratique d'avancer mais ne nous disent pas tout !

Ils n'intègrent ainsi pas toutes les évolutions récentes – par exemple l'essor de « l'économie de l'internet » – ou ne permettent pas de saisir une image fine, plus micro-économique dirons-nous, des logiques sous-jacentes à chaque nation… Ou ils ne tiennent pas compte de facteurs plus exogènes à l'analyse économique, qui constituent le socle économique et social des nations : attractivité culturelle ou infrastructurelle, espace naturels, dynamiques environnementales ou croissance verte (place de l'agriculture biologique par exemple), …

Prenons quelques exemples : le premier concernant la « Richesse des Nations » et a été déjà abordé, en particulier la Commission Stiglitz, autour de « la mesure des performances économiques et du progrès social ». Au-delà des résultats de cette Commission, le PIB et PIB/habitant pourraient être complétés par des indicateurs de « bien-être », comme l'Indice du Bien-Etre Economique (IBEE de Andrew Sharpe et Lars Osberg intégrant les flux de consommation courante, d'investissement (en particulier R&D et environnement), inégalité de revenus, degré de sécurité et insécurité économique) ou l'Indicateur de Développement Humain (IDH) qui intègre des paramètres sur la santé, l'éducation et le niveau de vie. Il semblerait judicieux d'y intégrer un composant fort « environnemental », à moins que cela ne soit en cours. Sur ce point, la question du « greening indicators » devrait animer la recherche dans les laboratoires dans les années à venir. Evidemment un consensus international sur ce point doit d'abord émerger.

Le second exemple concerne le dynamisme de la net-économie. Comment refléter aujourd'hui le dynamisme de la créativité sur « internet », en particulier des jeunes, la profusion d'innovations et de création de micro-entreprises, de projets, souvent très « virtuels » mais agissant comme des réseaux de croissance ? Et pourtant, une véritable richesse apparaît là, ouverte évidemment sur le monde comme l'est le réseau internet, avec des logiques d'auto renforcement et de structuration sociale implicite. Car derrière l'essor de la net-économie, c'est évidemment une nouvelle structuration sociale qui semble émerger. Est-il prise en compte dans l'évaluation macro-économique des nations ?

Enfin, la vie sociale évolue. La question de la prise en compte par les statistiques des nouvelles dynamiques sociétales, des nouvelles formes de consommation – en réseaux par exemple – ou de nouveaux modes de production se pose. L'hebdomadaire The Economist propose de développer de nouveaux indicateurs, par exemple « un indicateur de beauté » autour des achats de biens cosmétiques ou de rouges à lèvres – le fameux « lipstick index » - ou « indice rouge à lèvres » – du fondateur d'Estée Lauder, Leonard Lauder qui avait observé en 2001 une relation inversement proportionnelle entre ventes de rouges à lèvres, en hausse, et baisse de l'activité économique. Bref, une envie de faire mentir les mauvaises nouvelles et de se redonner des couleurs !

Laurent Guihéry