Je crois surtout que beaucoup de ces "dégénérés" ont la tête sur les épaules et que, quoi qu'ils en pensent, ils finissent exactement par faire ce qu'ils reprochent aux autres : chercher à convaincre qu'ils ont la bonne lecture des choses pour gagner de l'argent. C'est à la hausse pour l'instant, donc avec une image plus constructive que celle d'un hedge fund baissier. Mais j'imagine qu'ils pourraient aussi s'attaquer à des entreprises qui ne leur plaisent pas… comme des vendeurs à découvert ?

En tout cas, la communauté wallstreetbets ne se contente pas de jouer avec la santé mentale des "vadeurs". Elle pousse aussi des titres qui lui plaisent. Exemple avec Nokia, dont l'action a nettement progressé en Europe hier, et dont le titre coté à New York a explosé en hausse, au point d'entraîner des réservations et des suspensions (sans commune mesure toutefois avec Gamestop ou AMC Entertainment) Sur Reddit, les argumentaires en faveur de l'investissement dans le finlandais sont très structurés et ne souffrent pas vraiment de la comparaison avec les études des professionnels de la finance. Je connais même quelques analystes qui doivent être au bord de la crise de nerf : ils essaient sans succès de convaincre le monde depuis des années que Nokia est sous-valorisée, et l'action bouge comme jamais sous l'effet d'une horde d'amateurs.

Pas encore au niveau, Nokia

Pas encore au niveau, Nokia

D'ailleurs, les réactions officielles sont amusantes parce qu'elles restent d'une rigidité absolue et se gardent de mentionner la source des mouvements, alors que tout le monde la connaît : on ne sort pas facilement du carcan de la communication financière. Chez Nokia, le communiqué publié hier soir est ainsi libellé "Nokia n'a connaissance d'aucun fait nouveau important et non divulgué concernant l'entreprise, ni d'aucun changement important dans son activité ou ses affaires qui n'aurait pas été rendu public et qui expliquerait la récente augmentation du cours ou du volume de négociation de ses actions". Le son de cloche est identique du côté de la SEC, du moins en ce qui concerne le formalisme : "Nous sommes conscients de la volatilité actuelle des marchés des options et des actions et nous la surveillons activement. Conformément à notre mission de protection des investisseurs et de maintien de marchés équitables, ordonnés et efficaces, nous travaillons avec nos collègues régulateurs pour évaluer la situation et examiner les activités des entités réglementées, des intermédiaires financiers et des autres participants au marché".

Même si la SEC n'appelle pas un chat un chat, elle est au fait de la situation et prépare forcément une riposte. Quand on connaît la complexité de la régulation des réseaux sociaux, on lui souhaite bien du plaisir. Mais le fait est pourtant qu'en étant grisée par le succès, la communauté des investisseurs qui officie sur Reddit s'est placée sous le feu des projecteurs et qu'elle ne peut plus opérer sous couverture comme elle était habituée à le faire. Je sais d'ailleurs de source sûre que plusieurs établissements financiers ont des "infiltrés" qui ont démarré une veille active, histoire de ne pas manquer un train ou peut-être, à l'avenir, de ne pas se faire piéger sur une valeur qui s'attirerait les foudres des néo-investisseurs.

Le premier confinement avait marqué le début de l'ère de l'investissement-spectacle, avec Hertz, avec Tesla, avec d'autres encore. Moins d'un an après, un nouveau palier a été franchi. Voilà peut-être une façon de démocratiser l'investissement. Mais probablement par celle que les gardiens du temple financier avaient imaginée.