par Dan Peleschuk
KYIV, 26 novembre (Reuters) - L'Ukraine a accusé samedi
la Russie de recourir aux mêmes tactiques "génocidaires" que
celles de Joseph Staline alors que le pays commémore la famine
qui a fait des millions de morts durant l'hiver 1932-1933 à la
suite des réquisitions imposées par le dirigeant soviétique.
La journée du souvenir de l'"Holodomor", la famine des
années 1930 en Ukraine, intervient cette année alors que le pays
est confronté par des températures hivernales à de vastes pannes
d'électricité dues aux bombardements russes sur ses
infrastructures énergétiques dans le cadre de ce que Moscou
qualifie d''"opération militaire spéciale", lancée en février.
"Jadis ils ont essayé de nous détruire par la faim,
maintenant par l'obscurité et le froid", a écrit le président
ukrainien Volodimir Zelensky sur la messagerie Telegram. "On ne
peut pas nous briser."
En novembre 1932, Joseph Staline a ordonné la saisie de
toutes les céréales et de tout le bétail dans les fermes
nouvellement collectivisées d'Ukraine, y compris les semences
destinées à la récolte suivante. Dans les mois suivants, des
millions d'Ukrainiens sont morts de faim.
"Les Russes paieront pour toutes les victimes de l'Holodomor
et répondront des crimes d'aujourd'hui", a écrit Andriy Yermak,
chef de l'administration présidentielle ukrainienne, sur la
messagerie Telegram.
Des millions d'Ukrainiens restent privés d'électricité à la
suite des intenses bombardements russes cette semaine, a déclaré
vendredi soir Volodimir Zelensky.
La Russie dément prendre les civils pour cible et a déclaré
jeudi que l'Ukraine pouvait "mettre fin aux souffrances" de sa
population en acceptant ses exigences.
MACRON ACCUSE LA RUSSIE D'"INSTRUMENTALISER LA FAIM"
Le ministère ukrainien des Affaires étrangères a déclaré
samedi dans un communiqué que Moscou ressuscitait les tactiques
des années 1930.
"Au 90e anniversaire de l'Holodomor de 1932-1933 en Ukraine,
la guerre d'agression génocidaire de la Russie poursuit le même
objectif que lors du génocide de 1932-1933 : l'élimination de la
nation ukrainienne et de son Etat", a-t-il dit.
"Le récit politique et idéologique de l'ère stalinienne, en
particulier la présentation d'un soi-disant 'Occident hostile'
et la négation de l'existence de l'Ukraine en tant qu'Etat
indépendant, est activement reproduit aujourd'hui", a-t-il
ajouté.
Le président russe Vladimir Poutine a en partie justifié
l'offensive militaire lancée le 24 février en Ukraine par ce
qu'il considère comme une volonté de l'Occident d'intégrer ce
pays dans son giron, ce qui constituerait selon lui une menace
pour la Russie.
Présent ce samedi à Kyiv en compagnie de son homologue
lituanienne Ingrida Simonyte, le Premier ministre polonais,
Mateusz Morawiecki, a lui aussi effectué un rapprochement
historique entre la situation actuelle et celle de l'Union
soviétique des années 1930, à laquelle appartenait l'Ukraine.
"Aujourd'hui, le monde est confronté à une nouvelle famine
artificielle", a-t-il dit. "Nous oeuvrons ensemble pour garantir
un approvisionnement total de l'Ukraine aux pays d'Afrique et
d'Asie."
Malgré le conflit en cours, l'Ukraine et la Russie sont
parvenues en juillet à un accord sous l'égide de l'Onu et de la
Turquie afin de permettre les exportations de céréales
ukrainiennes via la mer Noire. Cet accord vient d'être reconduit
pour quatre mois.
En présence de Mateusz Morawiecki, d'Ingrida Simonyte, du
Premier ministre belge Alexander de Croo et de la présidente
hongroise Katalin Novak, Volodimir Zelenskiy a organisé ce
samedi à Kyiv un sommet international consacré à la sécurité
alimentaire mondiale et aux exportations agricoles ukrainiennes.
Dans un message vidéo diffusé au cours de ce sommet,
Emmanuel Macron a lui aussi rappelé le souvenir de "l'immense
tragédie" de la famine des années 1930.
"D'hier à aujourd'hui, la nation ukrainienne montre sa
détermination et force notre admiration", a dit le président
français. "La guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine
(...) menace le monde d'une crise alimentaire."
"La Russie continue d'instrumentaliser la faim comme moyen
de pression et l'alimentation comme arme de guerre", a-t-il
accusé.
(Reportage Dan Peleschuk, avec Alan Charlish à Varsovie,
version française Bertrand Boucey)