Francfort (awp/afp) - La Banque centrale européenne pourrait recommencer à baisser ses taux d'intérêt après plus trois ans de stagnation, a indiqué son président Mario Draghi mardi, une possibilité déjà évoquée mais qui fait bondir Donald Trump.

M. Draghi "vient d'annoncer que de nouvelles mesures pourraient venir stimuler l'économie, ce qui a immédiatement fait chuter l'euro par rapport au dollar, leur donnant un avantage injuste pour concurrencer les Etats-Unis", a dénoncé le bouillant président américain sur Twitter.

Les Européens "le font impunément depuis des années, avec la Chine et d'autres", a ajouté M. Trump, accusant une nouvelle fois ses partenaires internationaux de manipuler leurs taux de change.

Mario Draghi s'est pourtant borné à répéter ses propos tenus début juin, lors de la traditionnelle réunion de la BCE, mais dans un climat de spéculation devenu intense autour des politiques monétaires en zone euro et aux Etats-Unis.

"De nouvelles réductions des taux directeurs et des mesures d'atténuation visant à en limiter les effets secondaires font toujours partie de nos outils", a déclaré M. Draghi en ouverture du séminaire annuel de l'institut à Sintra, au Portugal.

La deuxième évocation de cette piste, en l'espace de quelques semaines, a fait spectaculairement bondir les places boursières, tout en ramenant l'euro autour de 1,12 dollar, et détendu le marché obligataire. Le taux d'emprunt à dix ans de la France est passé pour la première fois en territoire négatif mardi, y rejoignant le taux d'emprunt allemand de même échéance.

Retournement

"C'est l'indication la plus claire, jusqu'à présent, que la Banque centrale va réduire les taux d'intérêt et relancer son programme d'achats d'actifs dans les prochains mois" si l'inflation ne redécolle pas, estime Andrew Kenningham, de Capital Economics.

Pour Frederik Ducrozet, stratégiste chez Pictet Wealth Management, "l'ouverture de Draghi à des baisses des taux" est aussi liée à de possibles mouvements de change provoqués par la politique monétaire aux Etats-Unis.

Or, la Réserve fédérale américaine se réunit ce mercredi, et les investisseurs attendent "des indications qu'une baisse des taux est désormais dans les tuyaux ou presque", décrypte Tangi Le Liboux, stratégiste du courtier Aurel BGC.

Ces spéculations marquent un retournement des attentes de part et d'autre de l'Atlantique: jusqu'à ces derniers mois, la principale question était de savoir quand et à quel point les deux banques centrales allaient relever leurs taux.

Mais la dégradation de la conjoncture mondiale, combinée aux tensions commerciales entre Washington, Pékin et Bruxelles, a poussé les instituts à adoucir nettement leur discours.

Ainsi, en juin, la BCE ne s'est pas contentée de repousser une nouvelle fois l'horizon d'un possible tour de vis monétaire, qui n'interviendra pas avant "mi-2020", soit six mois de plus que la précédente échéance.

Nouveau 'QE' ?

A la question de savoir si son prochain mouvement sur les taux serait forcément à la hausse, Mario Draghi a laconiquement répondu "Non".

Avec la confirmation de mardi, la cause semble désormais entendue: selon Capital Economics, la BCE pourrait réduire "en décembre prochain" son "taux de dépôt", à -0,50%, tandis que le principal taux commandant les conditions de crédit restera à zéro.

Comme le taux de dépôt est déjà à -0,40% depuis mars 2016, ce qui oblige les banques à rémunérer la BCE en lui confiant leurs liquidités en surplus, une telle éventualité relancerait le débat sur un système de "paliers" pour les établissements financiers, déjà pratiqué notamment en Suède et en Suisse.

Et ce n'est pas tout, puisque M. Draghi a estimé que l'institut disposait encore "d'une marge importante" pour relancer son programme de rachats nets d'actifs, baptisé "assouplissement quantitatif" ou "QE", mené pour 2.600 milliards d'euros entre 2015 et fin 2018.

La BCE pourrait par exemple "se libérer des marges de manoeuvre pour deux ans environ" en modifiant les conditions techniques de ce programme, par exemple en relevant de 33% à 50% la limite de détention d'une même émission de dette, ajoute Frederik Ducrozet.

afp/rp