(Répétition sans changement d'une dépêche diffusée vendredi)

* Les marchés passent d'un extrême à l'autre en un mois

* Le coronavirus balaye les certitudes des investisseurs

* Les "bazookas" monétaires n'offrent qu'un fragile rebond

* L'action des banques centrales nécessaire pour la suite

par Patrick Vignal

PARIS, 23 mars (Reuters) - En un mois, les marchés financiers ont dégringolé de sommets historiques et perdu leurs illusions pour vivre des heures aussi sombres que le plumage d'un "cygne noir" baptisé Covid-19.

Le 19 février dernier, le S&P-500 et le Dow Jones inscrivaient des records absolus et les investisseurs considéraient encore avec une certaine complaisance une épidémie qui avait pourtant déjà commencé à se propager hors de son berceau de Chine continentale.

En quelques semaines, ce "cygne noir", ainsi que l'on désigne un jargon financier un choc externe imprévu et dévastateur, allait tout balayer sur son passage.

Le cataclysme entrera dans les annales aux côtés du "krach" boursier de 1987 et de la grande crise financière de 2008-2009, sans parler de la crise de 1929, qui devrait garder sa première place dans la liste des catastrophes économiques de l'histoire contemporaine.

Le S&P-500 avait en effet alors perdu 86%, le produit intérieur brut (PIB) des Etats-Unis s'était contracté de 27% et la récession s'était étalée sur 43 mois, selon des chiffres fournis par Pictet Asset Management qui ne seront sans doute pas égalés dans un avenir proche.

La comparaison avec la crise de 2008-2009 est plus pertinente puisque l'indice de référence des gérants américains avait alors cédé 33%, contre plus de 25% à la clôture de jeudi.

Très différente de la crise amorcée par la chute de Lehman Brothers, qui avait ébranlé un secteur bancaire fragile avec des actifs toxiques dans le rôle de détonateur, la crise actuelle, sanitaire avant d'être économique, n'a donc rien à lui envier en termes d'ampleur.

UNE CRISE D'UN GENRE NOUVEAU

Avec un choc d'offre provoqué par la rupture des chaînes d'approvisionnement et un choc de demande résultant des mesures de confinement et de leurs effets sur les modes de consommation, l'épidémie entraîne l'économie mondiale vers la récession, semant sur les marchés financiers un vent de panique que nul n'avait vu venir.

Des marchés illiquides vivent des "krachs" à répétition et les indicateurs macroéconomiques se dégradent à une vitesse stupéfiante, en attendant les faillites qui ne manqueront pas de survenir malgré les mesures mises en oeuvre un peu partout pour tenter de protéger les entreprises les plus vulnérables.

"Historiquement, le choc macroéconomique, la correction des marchés financiers et la crise de liquidité sont dissociés dans le temps et dans leur relation de causalité", explique Guilhem Savry, responsable de la gestion économique pour Unigestion.

"La crise actuelle est d'un type inédit car ces trois phases interviennent dans un espace-temps commun et avec une interaction plus large que dans les crises précédentes."

Dans ce contexte, les "bazookas" monétaires n'ont certainement d'autre but que de favoriser le rebond que tout le monde espère une fois que l'épidémie, saisonnière par nature, sera enfin enrayée.

Ainsi, si l'annonce par la BCE d'un plan d'urgence d'achats d'obligations pour 750 milliards d'euros, baptisé Programme d'achats d'urgence pandémique (PEPP), a apaisé pour un temps les marchés d'actions ainsi que les tensions sur les rendements obligataires de la zone euro, elle n'apporte certainement pas de remède à la crise, pas plus que les mesures que ne cesse de prendre la Réserve fédérale, dont les taux d'intérêt ont fondu en quelques jours pour se rapprocher de zéro.

"Les économies des pays développés sont sous cloche, irriguées par les octrois de liquidité des banques centrales, et perfusées par les soutiens massifs des Etats, qui ont tous la volonté d'éviter les faillites en cascade", écrit dans une note Franck Dixmier, directeur des gestions obligataires chez Allianz GI.

Le fameux "whatever it takes" (quoi qu'il en coûte) prononcé par Mario Draghi, alors président de la BCE, le 26 juillet 2012, au plus fort de la crise de la dette dans la zone euro, est en effet redevenu à la mode dans le discours des banquiers centraux comme des politiciens.

"Nous sommmes en guerre", a répété à de nombreuses reprises lors d'une récente allocution le président français Emmanuel Macron, une phrase qui peut s'appliquer aux Etats frappés par le virus mais aussi à l'économie mondiale qu'il convient de sauvegarder à grands coups d'injections massives de liquidités.

LES MARCHÉS NE FONCTIONNENT PLUS

A l'origine d'un rebond fragile sur les marchés, l'action des banques centrales n'apportera pas de remède à une crise sanitaire dont personne ne peut prédire la fin mais elle était nécessaire pour poser les bases d'un rebond durable, une fois passé le cap de l'épidémie, dit à Reuters William de Vijlder, chef économiste de BNP Paribas.

"Il y a lieu d'être serein concernant le rebond qui suivra, parce que le choc est de nature non économique et aussi en raison des mesures qui sont mises en place pour garantir le financement des agents économiques", dit-il.

Le rebond boursier des dernières séances, qui n'efface qu'une infime partie de pertes considérables, ne lève pas en revanche les doutes sur le fonctionnement des marchés, qui paraissent déréglés au point que certains se demandent s'il ne vaudrait pas mieux les fermer.

Une telle mesure a déjà été appliquée pendant quelques séances aux Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001 mais également très récemment en Chine, lorsque la fermeture des marchés pour le nouvel an lunaire a été prolongée au plus fort des mesures de confinement liées au Covid-19, rappelle Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d'investissement pour Pictet Asset Management.

"C'est un instrument qui fait partie de l'arsenal des autorités au moment où elles pensent que les marchés financiers ne remplissent pas leur mission consistant à fournir du financement aux entreprises, fournir des véhicules d'investissement et d'épargne aux entreprises, aux institutions et aux particuliers et à trouver le juste prix des actifs en fonction de l'évolution économique", dit-il.

L'épidémie entraîne également la fermeture des frontières et fait réfléchir, comme la guerre commerciale avant elle, sur l'organisation du capitalisme dans le monde et notamment sur la complexité des chaînes d'approvisionnement globales.

Il faudra voir comment les investisseurs intègrent le fait qu'une entreprise diversifie ses chaînes d'approvisionnement par rapport à celles qui ne le font pas, dit William de Vijlder.

"La diversification est plus coûteuse que la concentration mais elle est moins risquée. Cela va contribuer tout de même, je pense, à revoir les chaînes de valeur."

Ces débats sont nécessaires mais peuvent paraître futils au moment où l'Italie mobilise son armée face aux cadavres qui s'accumulent, pour ne retenir qu'une image parmi celles qui rappellent que l'épidémie a tué près de 10.000 personnes dans le monde. (édité par Blandine Hénault)