(Répétition sans changement d'une dépêche transmise vendredi)

* La menace d'inversion de la courbe des taux fait peur

* Interrogations sur un virage de politique monétaire de la Fed

* La BCE à un tournant de sa politique

* Le vote sur le Brexit mardi laissera des questions sans réponse

par Marc Angrand

PARIS, 10 décembre (Reuters) - Ni trêve, ni rebond: à un peu plus de deux semaines de Noël, l'ambiance est encore loin d'être festive sur les marchés financiers face à la conjonction des menaces commerciales, des risques politiques et des incertitudes monétaires, un cocktail amer qui rend les investisseurs nerveux.

Ces derniers ont d'abord vu cette semaine se rapprocher dangereusement l'une de leurs pires craintes: celle de l'inversion de la courbe des rendements obligataires américains.

Le basculement des rendements des emprunts à court terme au-dessus de ceux des obligations à long terme, à l'inverse du principe selon lequel les échéances plus longues se paient par un rendement plus élevé, est en effet considéré comme un signal avant-coureur de récession.

L'inversion ne concerne pour l'instant que certaines parties de la courbe des rendements des "Treasuries", comme la fourchette de deux à cinq ans, mais les investisseurs surveillent avec anxiété l'évolution de l'écart de rendement entre les titres à deux ans et à dix ans, considéré par certains comme le plus important.

Ce "spread", qui dépassait 50 points de base il y a un an, est tombé cette semaine sous 12 points de base, pénalisé par les interrogations croissantes sur le rythme de la remontée des taux d'intérêt de la Réserve fédérale.

En effet, une partie des investisseurs n'excluent plus désormais que la Fed soit amenée à interrompre le relèvement de son principal taux d'intérêt l'an prochain, voire qu'elle soit amenée à l'abaisser face à un ralentissement de l'économie. Un flou qui complique un peu plus encore le décodage de la courbe des taux.

"L'élément rassurant, c'est que le meilleur indicateur de récession n'est pas la courbe dix ans-deux ans mais celle du dix ans-trois mois", estime Olivier Raingeard, directeur des investissements de Neuflize OBC. "Et on voit qu'on a un peu de marge: on est plutôt sur un spread de 60 à 70 points."

"L'élément beaucoup moins rassurant, ajoute-t-il cependant, c'est que l'ajustement de la courbe dix ans-trois mois peut être extrêmement violent. En 2000, la courbe s'était inversée en quelques semaines, de manière ultra-rapide; et même chose en 2006-2007: alors qu'on était autour de 50 points en juin 2006, en octobre-novembre, on était à -50 points."

A la fébrilité autour de la courbe des rendements s'est ajouté ces derniers jours un regain inattendu de tension sur le commerce, avec à la clé des plus bas de deux ans jeudi pour les marchés boursiers européens, qui ont porté au-delà de 10% leur repli sur 2018 avant d'amorcer un rebond vendredi.

Alors que la trêve conclue à Buenos Aires le 1er décembre par le président américain, Donald Trump, et le chinois Xi Jinping était censée donner trois mois de répit aux deux camps pour négocier un accord durable, l'arrestation de la directrice financière du très stratégique groupe chinois Huawei menace de faire capoter ce scénario.

Avant même ce rebondissement, Donald Trump avait surpris mardi en mettant en doute sur Twitter la possibilité d'un "véritable" accord avec la Chine et en rappelant: "Je suis Monsieur Tarifs douaniers!"

La réaction des marchés à ces péripéties a d'ailleurs été si forte (-3,24% pour le Standard & Poor's 500 mardi) que certains y voient surtout l'impact de dégagements massifs des "hedge funds" (HF) américains.

"Typiquement, l'investisseur a le droit de reprendre tout ou partie de ses apports en fin de trimestre mais il doit notifier son retrait 30 à 45 jours avant", expliquent les stratèges de LBPAM Stéphane Déo et Hervé Goulletquer. "Les grands fonds institutionnels qui veulent changer leur allocation pour 2019 ont donc dû notifier leur souhait de retrait aux HF mi-novembre. Les HF doivent donc solder leurs positions début décembre, soit maintenant !"

Tout en dressant un constat similaire, Nomura voit dans les mouvements des derniers jours un début d'adaptation à de possibles "risques déflationnistes", encouragé entre autres par les résultats décevants de la réunion de l'Opep, peu propices à un rebond des prix pétroliers. De ce point de vue, les chiffres des prix à la production (mardi) et à la consommation (mercredi) aux Etats-Unis seront à étudier de près.

LA FED MARQUERA UNE PAUSE, MAIS QUAND ?

Quelle qu'en soit la cause, la nervosité ambiante ne facilitera évidemment pas la tâche de la Réserve fédérale américaine lors de sa réunion de politique monétaire des 18 et 19 décembre, à l'issue de laquelle le marché anticipe un nouveau relèvement de taux d'un quart de point.

Au-delà de cette décision, les investisseurs attendent de la Fed et de son président, Jerome Powell, des précisions sur ses intentions pour 2019 en terme de nombre de hausses de taux à attendre l'an prochain.

Pour la Banque centrale européenne (BCE), c'est dès jeudi que se posera la question du positionnement à adopter face aux turbulences des marchés et aux signes de ralentissement économique dans la zone euro.

L'agenda est chargé pour le Conseil des gouverneurs, qui doit se prononcer sur l'arrêt définitif des achats de titres sur les marchés, les modalités du réinvestissement de son portefeuille d'obligations dans les prochains mois et les nouvelles prévisions économiques, qui risquent d'être revues en baisse.

"La BCE doit être aussi pragmatique que Powell", résume Gregori Volokhine, président de Meeschaert Financial Services. "Vu l'état de nervosité des marchés et la situation politique en Europe, pour le moins anxiogène, la BCE ne peut pas se permettre d'avoir un discours inquiétant au niveau d'un resserrement monétaire. Ce serait une très grosse erreur politique."

LE VOTE SUR LE BREXIT DIFFICILE À PRÉVOIR, SON IMPACT AUSSI

Deux jours avant le vote des gouverneurs de la BCE, c'est vers la Chambre des communes britannique que seront tournés tous les regards mardi, pour le vote sur le projet d'accord de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Le début du débat parlementaire a surtout mis en évidence la fragilité de la position de la Première ministre, Theresa May, très affaiblie par les dissensions au sein de sa majorité.

Le résultat du vote de mardi est donc particulièrement difficile à prévoir, les hypothèses allant de l'adoption de justesse, peu probable mais qui serait favorable aux actions et à la livre selon Barclays, à un rejet massif qui se traduirait sans doute par un pic de volatilité.

Paradoxalement, poursuit la banque, c'est le scénario intermédiaire, celui du "maybe, maybe not" ("peut-être, peut-être pas"), c'est à dire d'un rejet par une majorité confortable mais pas massive, qui pourrait provoquer un choc sur les marchés.

* LE POINT sur les perspectives de marché 2019 des gérants et stratèges

* 3 QUESTIONS À Meeschaert-Le cas Huawei, premier signe d'une guerre technologique

* GESTION-Dégagements sur toutes les classes d'actifs-BAML

(Edité par Blandine Hénault)