Michel Barnier,négociateur en chef.- Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mesdames et Messieurs les députés, avec votre permission, Monsieur le Président, quelques mots en complément de ce que vient de dire le président Juncker.

Les négociateurs britanniques nous ont donc fait part de leurs propositions et avec leur propre équipe, qui est une équipe compétente et professionnelle - je veux le dire - ils s'efforcent de nous expliquer, de clarifier - nous-mêmes, nous posons beaucoup de questions au cours de toutes les réunions techniques qui ont eu lieu depuis quelques jours.

Et pour dire les choses simplement et franchement, avec objectivité, au moment où je vous parle, nous ne sommes pas au point d'envisager et de trouver un accord, comme vous l'avez d'ailleurs vous-même, Monsieur le Président Sassoli, rappelé avec beaucoup de clarté, beaucoup de force - et je vous en remercie au nom du Parlement - hier au premier ministre Johnson.

Et pourtant le temps presse, Mesdames et Messieurs. Nous sommes désormais à une semaine du Conseil européen et à quelques jours de cette date du 31 octobre, qui a été agréée avec le précédent gouvernement pour la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne dans une forme ordonnée qui vaut beaucoup mieux, vous l'avez dit, qu'une sortie désordonnée. Pourquoi nous n'y sommes pas? Parce que les propositions britanniques soulèvent trois problèmes majeurs.

D'abord sur la question de la frontière et du contrôle sur les biens sur l'île d'Irlande. Le premier ministre Johnson a rejeté dès son arrivée - nous le savons - le backstop, qui est une sorte d'assurance ou de filet de sécurité sur lequel nous nous étions entendus avec le gouvernement de Theresa May C'est un fait. Dans le même temps, le premier ministre Johnson reconnaît qu'un alignement réglementaire pour les biens est indispensable entre l'Irlande du Nord et l'Union européenne et nous sommes évidemment d'accord sur ce point.

En revanche, pour résoudre le problème des contrôles douaniers, le Royaume-Uni propose tout simplement que nous prenions ensemble, dans le traité international qui nous liera, un engagement juridique pour éviter, en toute circonstance, des contrôles douaniers ou réglementaires et toute infrastructure physique à la frontière entre l'Irlande et l'Irlande du Nord. Évidemment, nous partageons cet objectif, qui est l'un des objectifs du backstop: qu'il n'y ait pas de frontière, ni d'infrastructure. Mais ce qui nous est demandé, en réalité, c'est d'accepter un système qui n'est pas développé, qui n'est pas testé, de contrôles dispersés sur l'île d'Irlande et cela reposerait largement sur des exemptions, des dérogations au code douanier européen, des technologies qui restent à développer, des changements au droit international qui est prévu par la common transit Conventionet enfin un système de compliancenouveau mais sans les garanties qui sont prévues par le protocole.

Mesdames et Messieurs les députés, nous avons besoin à chacune des limites du marché unique et de notre union douanière, nous avons besoin à chacune de ces limites de contrôles douaniers, de contrôles réglementaires sérieux et rigoureux partout, à l'extérieur, à la frontière externe de ce marché unique. En Irlande, comme partout ailleurs, nous avons besoin de contrôles opérationnels, de contrôles réels, de contrôles crédibles. C'est la crédibilité du marché unique qui est en cause et donc la crédibilité vis-à-vis des consommateurs, des entreprises et aussi, nous ne les oublions pas, des pays tiers avec lesquels nous négocions des accords. Voilà le premier point de désaccord.

Le deuxième point concerne l'exigence qui nous paraît légitime de trouver des solutions juridiquement opérationnelles. Avec le protocole, nous avons établi un filet de sécurité qui clarifie le régime applicable sur l'île d'Irlande et ce filet de sécurité est juridiquement opérationnel puisqu'il s'appliquerait jusqu'à ce que nous trouvions until and unlessune solution alternative. En proposant de supprimer ce filet de sécurité, de supprimer le backstopet de chercher des solutions alternatives pendant la période de transition, c'est-à-dire plus tard, la proposition britannique ne nous donne pas la sécurité du protocole.

Un exemple: il n'y a pas dans ces propositions britanniques de solution réelle pour les petites et moyennes entreprises, sauf de proposer une dérogation générale.

Deuxième exemple: que se passerait-il si le joint committee, auquel les Britanniques veulent renvoyer toutes les questions sans réponse pour l'instant, ne trouvait pas d'accord pendant la transition? Selon les projections britanniques, la solution dépendrait alors de l'adoption de mesures unilatérales à prendre par le Royaume-Uni ou par l'Union européenne. Il y aurait alors, évidemment, un risque significatif pour l'intégrité du marché unique, puisque les propositions britanniques nous engageraient en même temps à ne jamais prévoir de contrôle à la frontière entre l'Irlande et l'Irlande du Nord, qui deviendront deux juridictions différentes.

Le troisième point de désaccord, au moment où je vous parle, c'est évidemment celui de la proposition britannique sur le consent. Nous avons toujours regretté l'absence de Stormont depuis deux ans et demi pour donner une voix solide et forte nord-irlandaise dans nos négociations. Dans le protocole existant, nous avons prévu avec les Britanniques, des mécanismes qui permettent la représentation de l'Irlande du Nord. Nous sommes prêts à examiner à nouveau des idées nouvelles pour un rôle plus important pour les institutions nord-irlandaises dans la mise en œuvre du protocole dans le respect du Good Friday Belfast agreement.

Mais aujourd'hui, la proposition britannique, telle qu'elle est sur la table, consiste simplement à conditionner la mise en œuvre du protocole à une décision unilatérale des institutions d'Irlande du Nord, qui pourraient alors décider unilatéralement, dès le départ, au lendemain de la ratification par votre assemblée et par la Chambre des communes de l'accord de retrait, de ne pas activer du tout la solution proposée pour l'Irlande du Nord. Et puis, si elle était quand même activée, les autorités nord-irlandaises pourraient décider tous les quatre ans de la remettre en cause.

Mesdames et Messieurs les députés, la proposition du gouvernement britannique aujourd'hui telle qu'elle est - et que nous ne pouvons pas accepter - remplacerait une solution opérationnelle, pratique, légale, par une solution hypothétique et provisoire.

Enfin, il y a un quatrième point qui nous pose réellement des problèmes, qui ne concerne pas l'accord de retrait mais la déclaration politique, qui est à côté de l'accord de retrait et qui est très importante, parce qu'elle décrit ce qui va se passer après le Brexit, avec un accord, je l'espère, et même sans accord, ce n'est pas une destination, il faudra bien reconstruire avec le Royaume-Uni, tout ce qui aura été détricoté - 44 années d'intégration et de coopération -, il faudra reconstruire une relation dans tous les domaines: du commerce, de la sécurité, des universités, de la pêche, de l'aviation, de la coopération policière et judiciaire, de la défense et de la sécurité. Et nous décrivons avec le gouvernement britannique le cadre de cette future relation dans cette déclaration politique.

Aujourd'hui, M. Johnson nous demande de nous concentrer pour l'avenir de notre relation économique seulement sur un accord de libre-échange basique et pas sur d'autres options, que nous avions laissées ouvertes dans la déclaration politique. Il nous demande aussi de supprimer les références agréées avec Theresa May sur un point très important qui est le level playing field, c'est-à-dire une règle du jeu de base, un socle de loyauté et de règles du jeu en matière fiscale, d'aides d'État, de droits sociaux, de droits environnementaux, de droits des consommateurs. Voilà et donc, nous sommes face à cette demande.

(Applaudissements)

Nous sommes face à cette demande, qui laisse entrevoir le risque pour nous, avec un accord de libre-échange basique, d'avoir à faire face à une compétition réglementaire, voire même à un risque de dumping fiscal, social ou environnemental, que nous n'accepterons pas. Voilà pourquoi je dis, sur ce point, que l'ambition et le niveau de notre futur accord de libre-échange avec le Royaume-Uni - parce qu'il y aura un accord de libre-échange - seront proportionnels au niveau des engagements pris par les autorités britanniques durablement pour une règle du jeu commune.

Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le Président, personne à Londres ou ailleurs ne doit s'étonner que l'Union européenne s'attache, dans cet accord de retrait, à obtenir des solutions opérationnelles juridiquement solides et durables. Pourquoi? Pour une raison extrêmement simple, c'est que le Brexit, lorsqu'il se produira, sera durable. Parce que le Brexit aujourd'hui crée - nous le savons bien et je le dis depuis trois ans - des problèmes concrets, précis, graves, notamment, et d'abord en Irlande et par rapport à des problèmes concrets, précis, graves, immédiats que crée le Brexit, nous avons besoin aujourd'hui et pas demain de solutions opérationnelles légalement contraignantes pour les deux parties et qui soient précises.

Dans le moment grave et important où nous sommes, nous resterons, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, - comme nous l'avons toujours été - calmes, vigilants et constructifs en même temps que nous resterons, nous, respectueux du Royaume-Uni et de ceux qui le dirigent. C'est dans cette attitude-là et avec cette attitude-là des deux côtés que nous pouvons avoir l'ambition d'aboutir à un accord qui fonctionne pour les deux côtés.

Nous resterons donc avec notre équipe, qui est votre équipe, en permanente coopération avec le Parlement européen, avec le Brexit steering group- et je remercie ses membres et notamment Guy Verhofstadt -, avec l'ensemble des États membres, nous resterons disponibles 24 heures sur 24, dans les jours qui viennent, pour parvenir à un accord. C'est dans cet esprit que je rencontrerai demain à nouveau le ministre britannique Steve Barclay.

Je veux simplement dire que, dans le respect scrupuleux du mandat qui nous a été confié par le Conseil européen, dans le respect des résolutions - vous avez vous-même parlé de votre dernière résolution, Monsieur le Président -, celles du Parlement européen, qui sont très importantes pour moi, nous allons continuer à travailler. Je pense pouvoir dire aujourd'hui que, même si c'est très difficile - pour les raisons que je viens d'indiquer -, s'il y a une bonne volonté des deux côtés, un accord reste possible avec les Britanniques.

(Applaudissements)

La Sté Parlement Européen a publié ce contenu, le 20 décembre 2019, et est seule responsable des informations qui y sont renfermées.
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