Après son envolée de plus de 13% d'hier, Carrefour est reparti en nette baisse: avec un repli de 2,88% à 17,04 euros, le distributeur reste lanterne rouge du CAC 40. Il pâtit ainsi de prises de bénéfices, mais aussi et surtout de l'opposition du gouvernement français au projet de rachat divulgué hier par le canadien Alimentation Couche-Tard. Bruno Le Maire et Elisabeth Borne, respectivement ministre de l'Economie et du Travail, se sont tous les deux prononcés en défaveur de ce projet, invoquant principalement la sécurité alimentaire nationale.

Bruno Le Maire a, dès hier, exprimé sa réticence: sur l'antenne de France 5, il avait déclaré que "ce qui est en jeu, c'est la souveraineté alimentaire des Français, donc, de ce point de vue là, a priori, je n'y suis pas favorable".

Des propos que le ministre de l'Economie a réitéré ce matin au cours de la conférence Reuters Next: "que Carrefour se fasse racheter par une entreprise étrangère serait une difficulté majeure pour nous tous", a-t-il déclaré. "La sécurité alimentaire est au coeur des défis stratégiques de tous les pays développés".

"Je n'ai rien contre cette grande entreprise canadienne, a jouté Bruno Le maire, je pense que Carrefour est une entreprise très solide et je lui fais pleinement confiance pour améliorer son modèle et développer un nouveau mode de distribution".

Plus tôt dans la journée, Elisabeth Borne avait elle aussi déclaré son opposition au projet de rachat sur l'antenne d'Europe 1. Selon la ministre du Travail, qui s'est déclarée "favorable à ce qu'il n'y ait pas de remise en cause de l'actionnariat actuel de Carrefour pour qu'il puisse poursuivre sa stratégie", il en va de la sécurité des chaînes d'approvisionnement alimentaires en France.

Rappelons que Couche-Tard a dévoilé hier une offre de rachat à 20 euros par action Carrefour, coupon attaché, et que la rémunération proposée devrait être en "grande majorité en numéraire".

Beaucoup d'analystes estiment qu'il est encore trop tôt pour dire si un accord sera bel et bien conclu. Ils se sont toutefois étonnés des propos des ministres français alors que les discutions n'en sont qu'à un stade "très préliminaire".

De son côté, Invest Securities s'est interrogé sur la pertinence de ce rapprochement, les deux acteurs étant positionnés sur des canaux de distribution, des produits et des philosophies d'entreprise très différents: "Nous avouons une certaine méfiance, et en tout cas plus que du scepticisme dans ce rapprochement très éloigné à bien des égards de l'approche conceptuelle de Carrefour et de ses valeurs (le bio, le bien manger, le on line et l'omnicanal). Difficile de statuer en vérité, mais l'éventualité d'une fusion absorption de Carrefour n'a rien de spécialement valorisant en termes d'image..."

L'analyste a également insisté sur le risque social, les salariés étant déjà très sollicités en cette période de crise. Il ajoute que cette opération reviendrait "à une capitulation en 'rase campagne' " du management, "dont le semi échec en matière de résultats et de performances boursières porte une part de responsabilité dans une éventuelle perte d'intégrité du groupe et à tout le moins une perte d'indépendance".