Pékin (awp/afp) - Une énorme opération sino-russe vient de faire naufrage: la reprise par CEFC de 14% du géant pétrolier russe Rosneft a capoté après le placement sous enquête de l'énigmatique patron du conglomérat chinois, stoppé net dans son ascension météorique.

Cela devait être une consécration pour CEFC China Energy: le groupe privé, peu connu sur la scène mondiale, concluait en septembre un accord pour racheter une partie du capital de Rosneft pour 9 milliards de dollars.

Une opportunité précieuse pour le colosse semi-public russe, en butte aux sanctions occidentales depuis la crise ukrainienne.

Mais CEFC s'est enfoncé dans la tourmente, pâtissant d'une enquête visant son président Ye Jianming et de spéculations sur la capacité du conglomérat à financer son onéreuse acquisition.

Vendredi, le négociant suisse Glencore et le fonds souverain du Qatar QIA, qui devaient céder une participation commune de 14,16% dans Rosneft au chinois, ont finalement annulé la transaction.

Le consortium "a envoyé une notification à CEFC pour résilier l'accord", a indiqué Glencore dans un communiqué. Celui-ci vendra finalement ses parts à QIA, qui deviendra le 3e actionnaire de Rosneft.

De son côté, le pétrolier russe a indiqué dans un communiqué distinct "n'avoir rien à voir" avec cette décision, tout en approuvant l'opération.

Pour CEFC China Energy, qui n'a pas répondu lundi aux sollicitations de l'AFP, ce capotage conclut plusieurs mois de déboires qui ont sabordé sa fulgurante montée en puissance.

- 'Débâcle' -

Groupe privé basé à Shanghai, CEFC fait figure d'exception en Chine, où le secteur énergétique est dominé par les géants publics Sinopec et CNPC.

Etabli en 2002, il a multiplié les rachats de terminaux, raffineries et champs pétrolifères jusqu'à devenir un mastodonte affichant 34 milliards d'euros de revenus en 2015.

Après quelque percées en Afrique, il a investi massivement en 2016 en République tchèque, dans des médias, le transport aérien et... le club de football Slavia Prague, à l'occasion d'une visite du président Xi Jinping dans le pays.

Le fondateur et patron du groupe Ye Jianming avait été alors nommé... conseiller du président tchèque Milos Zeman.

Ces succès tous azimuts ont attisé les spéculations sur les liens de M. Ye, homme au parcours nébuleux, avec les autorités communistes et l'armée.

Début mars, coup de tonnerre: l'influent magazine financier chinois Caixin révèle, sans détails, que Ye Jianming est placé "sous enquête" par les autorités chinoises et que les banques étatiques renâclent à avancer des fonds pour finaliser l'opération Rosneft.

CEFC dénonce alors des informations "sans fondement", mais la présidence tchèque confirme trois semaines plus tard avoir été informée que M. Ye faisait l'objet en Chine "d'une enquête pour soupçon de violation des lois".

En détresse, sa filiale CEFC Europe voit entrer dans son capital, à 49%, le groupe étatique chinois CITIC.

Parallèlement, aux Etats-Unis, une enquête anticorruption attire depuis novembre l'attention sur l'expansion africaine de CEFC China Energy. Deux hommes inculpés --dont un ex-politicien hongkongais lié à CEFC-- sont accusés d'avoir versé des pots-de-vin à des dirigeants africains afin d'avantager une firme énergétique chinoise...

- 'Marché stratégique' -

"L'opération Rosneft-CEFC s'est terminée en débâcle, laissant toutes les parties meurtries", observe Christian Boermel, analyste énergie de Wood Mackenzie.

D'autres conglomérats privés chinois sont dans le viseur de Pékin pour leur endettement colossal et leurs acquisitions internationales "irrationnelles".

Mais les investissements dans le pétrole, dont la Chine est le premier importateur mondial, restent traditionnellement préservés, même si l'Etat n'est pas venu au secours de CEFC pour racheter les parts de Rosneft.

Soucieux de sécuriser ses approvisionnements, Pékin lorgne pourtant sur les abondantes ressources énergétiques russes.

Il a conclu en 2014 un mégacontrat de fourniture de gaz russe; un contrat similaire --avec CEFC!-- a été dévoilé l'an dernier, pour un approvisionnement de 60 millions de tonnes de pétrole sur cinq ans.

Une aubaine pour Moscou, qui mise sur la Chine pour contrer l'effet des sanctions occidentales et le repli des cours: un nouvel oléoduc relie depuis janvier la Sibérie orientale à la Chine, et un gazoduc géant doit démarrer l'an prochain.

"Le marché chinois reste et sera stratégique pour le développement des activités commerciales du groupe", assurait Rosneft vendredi.

Mais dans l'immédiat, "le pivot (énergétique) de la Russie vers l'Orient ressemble davantage à un pivot vers le Moyen-Orient, avec le Qatar à la rescousse", insiste M. Boermel.

afp/rp