Jeronimo Martins est un groupe de grande distribution dont les origines remontent à 1792 avec l’ouverture d’une boutique par un jeune Galicien du nom de l’entreprise actuelle. La véritable expansion du groupe démarre en 1921 avec la reprise de la petite entreprise par Francisco Manuel dos Santos. Fils, petit-fils et aujourd’hui arrière petit-fils se sont transmis les rênes de la société et la famille détient encore aujourd’hui 56,14 % du capital. A noter que le fonds français Comgest détient 1,68 % des titres. 

Le groupe est surtout actif dans trois pays. En Pologne, son premier marché, il est le leader incontesté, avec la présence de deux filiales. La première, Biedronka, est le moteur du groupe, contribuant à hauteur de 71,1 % du chiffre d'affaires et 83,1 % de l'EBITDA. Cette filiale gère un réseau de 3400 magasins à travers le pays. La seconde, Hébé, est une enseigne spécialisée dans les domaines de la santé et de la beauté. Elle ne génère néanmoins que 1,4 % des ventes. Elle opère aussi en République tchèque et en Slovaquie grâce à sa boutique en ligne. Au Portugal, Jeronimo Martins opère à travers Pingo Doce, 15,6 % des revenus et qui gère 470 magasins. Cette enseigne est le leader national dans le segment des supermarchés. En outre, le groupe exploite Recheio, qui, avec ses 39 magasins et ses 4 plates-formes de distribution, est le chef de file dans le secteur du cash & carry, c'est-à-dire la distribution en gros. Recheio représente 4,4 % des ventes. Enfin, en Colombie, Jeronimo Martins possède Ara, une chaîne de magasins d'alimentation de proximité, qui contribue pour 7,5 % du chiffre d'affaires total. Cette chaîne est principalement implantée dans les quartiers résidentiels.

Répartition et évolution des ventes du groupe selon les enseignes (source : Jeronimo Martins)

Un stratégie axée sur l’expansion et la rénovation

Jeronimo Martins a initié un vaste programme de modernisation de ses magasins actuels, avec une attention particulière portée à sa filiale polonaise, Biedronka. Au cours du premier semestre, la filiale polonaise a réalisé 164 rénovations, et sur l’ensemble du précédent exercice, 367 rénovations ont eu lieu (sur un total de 3400 magasins, c’est colossal !).

Il mise aussi beaucoup sur les ouvertures de nouveaux magasins. C’est particulièrement le cas pour la filiale colombienne, Ara. Elle est bien implantée dans le pays sud-américain et sa marge de progression est importante. Ara a ainsi ouvert 110 nouvelles enseignes au premier semestre de cette année et 275 sur l’ensemble de l’année dernière. C’est presque 500 % de magasins en plus par rapport à 2021. 

Evolution des nouvelles ouvertures et des rénovations au premier semestre 2023 (source : Jeronimo Martins)

Cette stratégie permet à Jeronimo Martins de croître plus vite que la moyenne du secteur. Et c’est une bonne chose pour évoluer dans un marché aussi concurrentiel. D'après le rapport "Global Powers of Retailing Top 250" de Deloitte, qui classe les principales chaînes de distribution mondiales, Jeronimo Martins a progressé de la 76e place en 2013 à la 46e place en 2023. Cette avancée est alimentée par une forte augmentation des revenus, qui ont plus que doublé depuis 2013 en passant de 11,8 Mds€ à 25,4 Mds€ l’an dernier. Cette croissance a surtout été financée par les free cash flow. Depuis 2013, ce sont 5,3 Mds€ qui ont pu être déployés pour financer la croissance et verser un dividende aux actionnaires. Enfin, le bilan est sain. La somme des emprunts ne représentent que 552 M€ (243 M€ à court terme et 309 M€ à long terme), un montant faible qui représente moins d’une année d’EBITDA. 

La grande distribution n’est pas magique 

Malgré ces aspects positifs, il est crucial de garder à l'esprit que le groupe portugais opère dans l'un des marchés les plus complexes qui soient. Certes, les résultats connaissent une croissance supérieure à la moyenne du secteur, ce qui témoigne d’une gestion attentive des coûts et d'une analyse minutieuse des états financiers. L’industrie de la grande distribution est très concurrentiel. Néanmoins, le groupe réalise d'importants investissements dans les magasins de proximité, qui se révèlent plus profitables et en croissance contrairement aux hypermarchés, de vastes complexes commerciaux en périphérie des villes, qui perdent en popularité. En outre, le groupe parvient à surpasser le secteur en termes de marges, malgré sa taille qui ne le classe pas parmi les géants. Enfin, Jeronimo Martins occupe des positions de leader dans ses deux principales régions d'implantation, tandis que son expansion en Colombie s'avère être la plus rapide.

Une inflation à surveiller 

A court terme, le principal défi de la société est la hausse des prix. En Colombie, l’inflation des produits alimentaires a atteint 25% en 2022 tandis qu’en Pologne, la hausse des prix fut nettement supérieure à la moyenne de l’Union Européenne. La situation est en train de s’apaiser, les mesures de hausses de taux faisant leurs effets. Par ailleurs, le groupe a impressionné en 2022 par sa capacité à faire preuve de résilience dans un environnement complexe. Il a réussi à maintenir des marges proches de ses standards des années précédentes. La marge d’exploitation est ressortie à 4,22 %. C’est environ 1,4 point de plus que Carrefour, l’un de ses principaux concurrents en Pologne. C’est d’autant mieux que le groupe parvient à maintenir ce différentiel de rentabilité sur une longue période : depuis 2013, les marges de l'entreprise portugaise ont constamment surpassé celles de son homologue français. Ces solides éléments justifient une valorisation élevée par rapport au secteur, à hauteur de 20,4 fois les bénéfices pour l'année en cours.

Solide et résilient

Dans l’ensemble, on appréciera Jeronimo Martins pour le respect des fondamentaux indus à une entreprise bien gérée : croissance robuste, endettement maîtrisé, marges respectables, actionnariat continuel. Le groupe a pris les bonnes mesures face à l’inflation subie dans ses marchés. Sa stratégie d’expansion de ses filiales dans les magasins de proximité est prometteuse, d’autant plus que les positions concurrentielles du groupe sont bonnes. Les perspectives sont encourageantes, d’autant que les analystes anticipent une forte croissance sur les trois prochains exercices. La société se paye respectivement 18,9 fois et 17 fois ses profits 2024 et 2025, un niveau nettement inférieur à l’historique. Jeronimo Martins est un bon atout pour jouer la grande distribution à l'échelle régionale, en dehors des mastodontes du secteur qui nous ont habitués à une certaine monotonie ces dernières années.