Londres (awp/afp) - Les montants astronomiques d'argent sale qui circulent à travers les plus grandes banques du monde, mis en lumière par l'enquête internationale des "FinCEN files", montrent qu'un arsenal de sanctions plus dissuasives est nécessaire pour lutter contre ce fléau, estiment les experts.

Si les affaires de blanchiment sont légion, de Danske Bank au "lavomatic russe" en passant par l'affaire du fonds souverain malaisien 1MDB et les Luanda Leaks, les sommes évoquées dans l'enquête "sont sidérantes", estime Nienke Palstra, de l'association anti-corruption Global Witness.

Les "FinCEN files" dévoilés ce week-end par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) analysent des milliers de rapports d'activités suspectes (SAR) transmis par les banques aux autorités financières américaines: ils totalisent 2000 milliards de dollars entre 1997 et 2017.

Ce qui prouve, selon Mme Palstra, l'échec des diverses législations et instances mises en place pour lutter contre les flux d'argent sale ces dernières années, que ce soit en Europe, aux Etats-Unis ou ailleurs.

D'autant que pour l'ICIJ, ces sommes déjà vertigineuses ne représentent qu'une goutte d'eau dans l'océan qui circule dans le système bancaire international.

Manque d'action et de moyens

Les experts fustigent notamment un manque d'action des autorités, qui manquent cruellement de moyens face aux flux à endiguer, et trop peu de poursuites.

Mais "la plus grande part de responsabilité revient sans aucun doute aux banques parce qu'elles poursuivent les transactions même lorsqu'il y a de fortes suspicions d'argent sale", relève Mme Palstra, interrogée par l'AFP. Pour elle, le problème est que "les punitions sont bien moins impressionnantes que les profits en jeu".

Car, souligne Clothilde Champeyrache, économiste au Conservatoire national des Arts et Métiers, spécialisée en criminologie, ces banques ont les moyens d'encaisser les amendes et se contentent de les provisionner, comme le montrent leurs réserves de milliards de dollars pour frais juridiques.

Elle donne l'exemple de JPMorgan Chase qui a provisionné en 2014 23 milliards de dollars pour d'éventuels contentieux.

Au Royaume-Uni, Mme Palstra évoque aussi le problème d'une certaine connivence entre les banques, la City de Londres, et les autorités financières, qui collaborent au sein d'un groupe de travail (Joint Money Laundering Intelligence Taskforce): "cette instance nous préoccupe, avec les banques et le gouvernement réunis sans regard extérieur".

Ce groupe, lancé en 2015, revendique 130 arrestations mais seulement 13 millions de livres saisies ou bloquées, selon le site de la National Crime Agency.

Les grandes banques telles que HSBC répondent pour leur part qu'elles respectent la loi, affirmant que l'enquête de l'ICIJ porte sur de vieilles transactions, que depuis, la législation s'est renforcée et que leurs pratiques se sont assainies.

L'association qui représente les intérêts de la finance britannique, UK Finance, parle de "priorité absolue" pour le secteur qui "dépense plus de 5 milliards de livres par an pour lutter contre les délits économiques, en recourant à la détection avancée, des technologie de surveillance, et du partage d'information".

Les banques relèvent également qu'un SAR ne veut pas dire qu'un crime financier a été commis et qu'une petite minorité seulement des rapports d'activités suspectes soumis aux autorités entraîneront des actions plus poussées des autorités financières.

Responsabilité personnelle

Mais pour Mme Champeyrache, auteure de "La face cachée de l'économie. Néolibéralisme et criminalités", il est "naïf" de "faire reposer la lutte contre le blanchiment sur la bonne volonté des banques" que ce soit pour les SAR ou l'obligation de vérifier l'identité des clients.

"Toutes les grandes banques ont dans leur organigramme une cellule soi-disant chargée de vérifier que les clients sont propres, mais quels sont les moyens attribués à ces cellules?", interroge Mme Champeyrache.

Les associations comme Transparency International clament que "les solutions existent": principalement, accroître le poids financier et pénal de la responsabilité des banques et de leur échec à faire respecter leurs obligations dans la lutte contre l'argent sale.

Nienke Palstra recommande notamment "une responsabilité personnelle pour les banquiers".

Mais les gouvernements traînent des pieds, selon Mme Champeyrache, parce que les grosses institutions financières, comme lors de la crise de 2008, restent "too big to jail" - trop grosses pour aller en prison, trop grosses pour faire faillite.

"Ces grosses banques ont un rôle très important dans l'économie. C'est elles qui ont le pouvoir".

Quant aux personnalités à l'origine des transactions douteuses, elles ont souvent de l'influence et de gros moyens. Sans compter les procès tentaculaires et très coûteux qui peuvent en découler, à l'instar des interminables poursuites liées au fonds 1MDB.

afp/ol