Dans cette mise en examen conforme aux réquisitions du parquet, les juges d'instruction ont également retenu la violation d'un embargo et la mise en danger de la vie d'autrui.

Lafarge SA est placée sous contrôle judiciaire, ce qui comporte une obligation de cautionnement, fixé à 30 millions d'euros, ajoute-t-on de même source.

Le groupe LafargeHolcim , né de la fusion en 2015 du cimentier français et du suisse Holcim, a fait savoir qu'il en prenait acte mais charge les anciens dirigeants de Lafarge et annonce qu'il fera appel des infractions reprochées.

La justice enquête sur les conditions dans lesquelles, avant son absorption par Holcim, le cimentier français, a maintenu en activité son usine de Jalabiya en 2013-2014 dans une région du nord de la Syrie sous contrôle du groupe Etat islamique (EI).

Elle s'intéresse notamment aux versements effectués par Lafarge, par le biais d'intermédiaires, à des organisations armées, notamment à l'EI, pour permettre le fonctionnement de l'usine, la circulation des salariés et des marchandises.

Elle s'intéresse également à l'achat éventuel de matières premières à des intermédiaires proches de ces groupes.

Au total, les sommes concernées sont évaluées à près de 13 millions d'euros et le parquet de Paris a ouvert en juin 2017 une information judiciaire pour financement d'entreprise terroriste et mise en danger de la vie d'autrui.

Huit anciens dirigeants et cadres de Lafarge, dont son ex-PDG Bruno Lafont, ont déjà été mis en examen.

Deux ONG à l'origine de l'information judiciaire, Sherpa et le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR), demandaient que Lafarge SA soit aussi mis en examen pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie.

"ERREURS INDIVIDUELLES"

Elles jugent "historique" la décision des juges et estiment que cela devrait amener Lafarge à ouvrir un fonds indépendant d'indemnisation pour les anciens employés de Lafarge Cement Syria (LCS), sa filiale syrienne, et leurs familles.

"C'est la première fois dans le monde qu'une entreprise est mise en examen pour complicité de crimes contre l'humanité, ce qui marque un pas décisif dans la lutte contre l'impunité des multinationales opérant dans des zones de conflits armés", déclarent ces deux ONG dans un communiqué.

Lafarge et ses dirigeants "ne pouvaient ignorer qu'ils contribuaient aux crimes contre l'humanité commis par l'EI en Syrie (...) mais aussi dans le reste du monde", expliquaient-elles dans un communiqué publié le 15 mai.

Pour Sherpa et l'ECCHR, l'hypothèse que les sommes versées en Syrie à des groupes armés aient pu aussi servir à financer des attentats en Europe, dont ceux du 13 novembre 2015 à Paris et du 22 mars 2016 à Bruxelles, ne peut pas être écartée.

LafargeHolcim reconnaît une "violation sans précédent des règlements" par "quelques personnes qui ont quitté le groupe".

"A plusieurs reprises, y compris aujourd'hui devant les juges d'instruction, la société Lafarge SA a confirmé que des erreurs individuelles inacceptables ont été commises en Syrie jusqu'à l'évacuation du site en septembre 2014, ce qu'elle regrette et condamne avec la plus grande fermeté", lit-on dans le communiqué groupe.

Cependant, "l'entreprise fera appel des infractions reprochées, qui ne reflètent pas équitablement les responsabilités de Lafarge SA", prévient LafargeHolcim.

Lafarge SA était représentée devant les juges par le président du conseil d'administration de LafargeHolcim, Beat Hess, et non par la nouvelle présidente de la holding, Magali Anderson, précise-t-on de source proche du dossier.

Une première convocation, le 5 juin, avait été reportée en raison de la démission du président de la holding, Saad Sebbar, apparemment soucieux de ne pas voir son nom mêlé à ce qui est désormais "l'affaire Lafarge".

Un nouveau conseil d'administration et Magali Anderson ont été désignés vendredi dernier lors d'une assemblée générale.

(Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)

par Emmanuel Jarry