La manière de relancer une entreprise sous-performante - dont la valeur boursière a chuté de 27% rien que cette année - et l'avenir de ses réseaux de téléphonie fixe sont au coeur du bras de fer entre le fonds activiste et le groupe français de médias Vivendi, premier actionnaire de Telecom Italia avec 24% du capital.

L'issue de la bataille décidera à la fois de l'avenir de TIM et de la capacité de l'Italie à surmonter la fracture numérique qui la sépare des autres grandes économies européennes.

Le nouvel administrateur délégué, soutenu par Elliott, a été désigné dimanche soir à la majorité du conseil d'administration. Vivendi a voté contre, comme il s'était opposé à la révocation sans ménagement, mardi, de son homme de confiance Amos Genish qu'il avait placé l'an dernier à la tête du groupe.

Elliott, qui a pris le contrôle du conseil en mai dernier, a préconisé la scission des lignes fixes de l'opérateur (NetCo) et la vente d'autres actifs. Amos Genish, qui reste administrateur de TIM, souhaitait que le groupe garde le contrôle du réseau, jugé stratégique à la fois pour le déploiement de services mobiles de cinquième génération (5G) et pour la survie des activités dans les services.

Elliott a un allié dans le gouvernement italien issu des élections de juin, qui a donné la priorité à la création d'un réseau à haut débit unique pour que l'Italie rattrape son retard numérique.

Un nouveau projet d'amendement à un décret fiscal gouvernemental, consulté par Reuters vendredi, vise à faire avancer le projet via des incitations à jumeler le réseau de TIM avec son concurrent plus petit Open Fiber.

"Toutes les planètes sont alignées, il s'agit d'un énorme projet et il faut le poursuivre, on ne peut pas dire qu'on ne le fera pas car il y a des risques", a déclaré à propos d'Amos Genish une source au fait du dossier.

Amos Genish, qui est favorable à l'idée d'un réseau unique à condition que TIM contrôle l'entité fusionnée, a dit à Reuters qu'il resterait au conseil d'administration "pour se battre et défendre" les droits des actionnaires.

Il a déclaré dimanche qu'il chercherait des soutiens pour que les actionnaires soient convoqués en assemblée générale dès que possible afin de se prononcer sur la stratégie qu'ils préfèrent : la sienne, axée sur la croissance organique, ou une stratégie qui, selon lui, entraînerait un "démantèlement de TIM".

"ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL DYSFONCTIONNEL"

Ancien dirigeant de l'opérateur télécoms Wind et aujourd'hui commissaire désigné par l'Etat au sein de la compagnie aérienne en difficultés Alitalia, Luigi Gubitosi siégeait déjà au conseil de TIM comme administrateur indépendant sur proposition du fonds Elliott. Il était de ce fait bien placé pour négocier avec Rome une éventuelle scission de TIM et une fusion avec Open Fiber.

A l'issue de la réunion du conseil d'administration qui a scellé sa nomination, il a fait valoir que TIM jouissait d'une grande histoire et d'une grande expertise qui lui permettraient de "remporter les défis du marché, de doper la génération de trésorerie, de réduire la dette et d'étudier avec soin et célérité le projet de création d'un réseau unique".

Mais, comme en témoignent les turbulences qui secouent le conseil depuis six mois, il ne sera pas facile de faire lui faire approuver la scission du réseau et la fusion avec son concurrent.

Amos Genish décrit l'environnement de travail au sein de TIM comme "totalement dysfonctionnel", ajoutant que plusieurs administrateurs ont fait campagne contre lui depuis le premier jour.

"C'était totalement contreproductif et il existait une incertitude permanente vis-à-vis de ma position", a-t-il déclaré à Reuters.

Amos Genish était engagé dans la mise en oeuvre d'un plan stratégique à trois ans, approuvé par Elliott et Vivendi en mai, visant à se concentrer sur la transformation numérique de l'opérateur et sur l'assainissement de ses finances.

Certains administrateurs préféraient cependant le projet d'Elliott, estimant que celui d'Amos Genish était "obsolète", a déclaré une source.

Le nouvel administrateur délégué de TIM a fait campagne pour obtenir le poste contre un autre directeur soutenu par Elliott, selon trois sources, signe qu'il pourrait subsister des rivalités en interne. Sollicité, Luigi Gubitosi n'a pas répondu à une demande de commentaire à ce sujet.

Le projet d'amendement du gouvernement stipule que la création d'une seule infrastructure fixe devra se faire sur une base consensuelle. Cela signifie que Vivendi devra donner son accord.

Le président du directoire de Vivendi, Arnaud de Puyfontaine estimait cependant, avant que Rome ne dévoile son projet, qu'une scission complète du réseau serait de la "folie".

Le groupe français a déclaré cette semaine qu'il n'avait aucune intention de céder sa participation dans TIM. La bataille avec Elliott devrait donc s'intensifier dans les mois à venir.

ACTIF PARFAIT?

NetCo, l'entité qui regroupe les réseaux de TIM, est valorisée jusqu'à 15 milliards de dollars, selon les estimations des analystes.

Elliott estime qu'une scission de cette entité permettrait de dégager jusqu'à sept milliards d'euros, d'attirer de nouveaux investisseurs et de favoriser une réévaluation du titre. Cela permettrait à TIM de réduire en partie son énorme dette de 25 milliards d'euros.

Avec un réseau unique, l'Italie envisage de mettre en place un mécanisme de rétribution sur les investissements réalisés, baptisé base d'actifs régulés (RAB).

"Cette importante modification fait de NetCo le meilleur actif en matière d'infrastructure que les investisseurs adorent", a déclaré une source, ajoutant qu'un RAB permettrait à Netco de se traiter à un multiple de 10-12 fois son Ebitda, comme Snam ou Terna, alors que TIM est actuellement valorisé à seulement 4,6 fois, selon Refinitiv.

Faute de modèles de réseaux réglementés par le RAB en Europe, la mise en place d'un tel cadre pourrait prendre au moins 18 mois, fait valoir un opposant au projet, ajoutant que la fragilité de la coalition au pouvoir en Italie pourrait compliquer encore sa mise en oeuvre.

L'Italie se classe au 25e rang des 28 Etats membres de l'UE en termes d'adoption de l'internet ultra rapide, ce qui suscite des interrogations sur la rentabilité d'un déploiement massif du haut débit.

La direction de TIM a expliqué que les calculs d'Elliott concernant les flux de trésorerie et les dividendes des services aux opérateurs étaient trop optimistes et qu'une scission de NetCo risquait de déboucher sur un groupe affaibli, sans les avantages financiers dont bénéficient les opérateurs télécoms à intégration verticale, mettant potentiellement en danger des milliers d'emplois.

"Ils n'ont aucune idée de ce à quoi ils sont confrontés. Si ce n'est pas bien fait, ce sera un suicide financier", a prévenu une source.

Une source du secteur a déclaré qu'un opérateur de réseau unique avait du sens d'un point de vue industriel et financier, mais que les intérêts opposés d'Elliot, de Vivendi et de l'Etat rendaient la situation très complexe.

(Dominique Rodriguez et Claude Chendjou pour le service français, édité par Catherine Mallebay-Vacqueur et Benoît Van Overstraeten)

par Agnieszka Flak

Valeurs citées dans l'article : Vivendi, Enel, Snam, Telecom Italia, Terna, Samsung Electronics Co Ltd