Limiter la visibilité des instruments à risque
 
L'article 28 de la loi Sapin II vise à interdire les formes électroniques de publicité pour les produits jugés les plus risqués et les plus spéculatifs. Une étude récente de l’AMF a en effet relevé que près de 90% des clients investissant sur Forex et CFD étaient perdants, constat aggravé par l’apparente absence d’effet d’apprentissage (c’est-à-dire que les investisseurs qui traitent le plus en termes de volumes ou de durée ne perdent pas moins que les « novices »).
 
Cette disposition vise à protéger exclusivement les investisseurs non professionnels, qu’ils soient déjà clients ou simples prospects. A contrario, les investisseurs professionnels sont définis par le Code monétaire et financier comme ceux possédant « l’expérience, les connaissances et la compétence nécessaires pour prendre [leurs] propres décisions d’investissement et évaluer correctement les risques encourus ».
A noter que les investisseurs considérés comme non-professionnels peuvent malgré tout demander à être traités comme des clients professionnels, de manière globale ou seulement pour certains produits ou services, à condition toutefois de répondre à deux des critères suivants :
  • détenir un portefeuille d’une valeur supérieure à 500 000 euros ;
  • avoir réalisé en moyenne au moins 10 opérations d’une taille significative par trimestre sur les quatre derniers trimestres ;
  • avoir occupé, pendant au moins un an, un emploi dans le secteur financier exigeant une connaissance de l’investissement en instruments financiers.
 

 
Les CFD, le Forex et les options binaires dans le collimateur
 
Le futur article L. 533-12-1 du Code monétaire et financier définit de manière très générique les instruments dont la publicité sera prohibée, renvoyant à l’AMF le soin de les définir précisément. Sont ainsi visés les « contrats financiers qui ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation, relevant de l'une des catégories de contrats définies par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ».
Le pouvoir d’appréciation de l’AMF est toutefois encadré, seuls étant concernés les produits répondant à l’un des critères suivants :
  • le risque maximal n'est pas connu au moment de la souscription ;
  • le risque de perte est supérieur au montant de l'apport financier initial ;
  • le risque de perte rapporté aux avantages éventuels correspondants n'est pas raisonnablement compréhensible au regard de la nature particulière du contrat financier proposé.
 
Il ne s’agit donc pas d’interdire la publicité pour tous les produits offrant un effet de levier mais uniquement pour ceux dont les autorités estiment qu’ils présentent trop de risques pour les investisseurs non avertis. Sont ainsi seuls concernés les instruments qui présentent un double risque : un effet de levier conséquent, cumulé à une absence de cotation. Car c’est là que le bât blesse : dès lors que les instruments ne sont pas négociés sur un marché réglementé, l’investisseur ne bénéficie plus des garanties de transparence et de sécurité offertes par les marchés régulés. Il n’a alors comme seule protection que celle résultant des règles imposées à son courtier, règles définies par l’autorité de marché de l’Etat d’origine du prestataire. Or, malgré l’harmonisation au niveau européen, les autorités de marché n’ont pas toutes le même niveau d’exigence. L’autorité de marché chypriote est ainsi réputée pour être moins exigeante que les autres autorités européennes. De fait, en 2014, la quasi-totalité des dossiers de médiation reçus par l’AMF pour des investissements sur devises ou options binaires concernaient des prestataires chypriotes.
 
Quatre types d’instruments sont ainsi dans le collimateur :
  • les contrats permettant un investissement sur le Forex, marché de gré à gré jugé ultra spéculatif ;
  • les CFD et autres contrats avec paiement d’un différentiel, présentant un effet de levier trop conséquent ;
  • les options binaires, qui permettent de spéculer sur une très courte durée sur l’évolution d’un titre, avec le risque de perdre l’intégralité du capital initial ;
  • mais également tous les produits atypiques, dont il n’est pas rare qu’il fasse les gros titres (manuscrits, forêts, vins, chevaux de course, etc. ; consulter notre article sur l'affaire Aristophil).
 
Il reviendra à l’AMF de définir, au cas par cas, et de manière concrète les instruments financiers dont la publicité électronique sera interdite. Cela présente un double avantage :
  • permettre aux produits, répondant potentiellement aux critères posés par la loi mais présentant finalement peu de risques, d’être exemptés ;
  • permettre surtout une souplesse et une rapidité d’adaptation, pour parer aux tentatives de contournement des émetteurs d’instruments financiers, dont la liberté et la créativité sont sans limites.
 
 
Interdiction des formes électroniques de publicité pour les prestataires exerçant en France

L’article 28 de la loi Sapin ne prévoit la prohibition que des communications à caractère promotionnel réalisées « par voie électronique ». Sont ainsi concernées avant tout l’ensemble des formes de publicité sur internet (bannière, vidéo, pop-up, etc.), ainsi que les e-mails promotionnels, mais également les publicités diffusées à la télévision ou à la radio, dès lors qu’elles promeuvent des services d’investissement portant sur les instruments exposés ci-dessus. Seules les publicités diffusées par voie de presse écrite ou d’affichage traditionnel resteront donc autorisées.
 
 
 
Extension de l’interdiction au sponsoring
 
Conscients que la promotion des produits et services ne s’opère pas seulement par le biais traditionnel de la publicité, les députés ont voté un amendement visant à créer un nouvel article au sein du Code de la consommation, prohibant toute forme de parrainage ayant pour objet ou pour effet de promouvoir les services d’investissement portant sur les produits risqués, définis par renvoi au Code monétaire et financier. Ce sont donc les mêmes produits qui seront concernés par l’interdiction de la publicité sous forme électronique et par celle du parrainage.
Est ainsi plus particulièrement visé le sponsoring sportif, déjà particulièrement présent puisque cinq clubs de football de Ligue 1 ont actuellement parmi leurs sponsors un courtier spécialisé sur le Forex ou les options binaires.

 
 
 
"L’escroquerie au bout du clic"
 
En l’état, le texte proposé aux députés était imparfait et risquait de conduire à l’effet inverse à celui recherché. Ne sont en effet soumis à l’interdiction prévue par le projet que les prestataires de services d’investissement exerçant valablement leur activité en France, à savoir d’une part les prestataires établis et régulés en France et d’autre part les prestataires établis et régulés dans un autre Etat membre de l’Union Européenne (notamment les courtiers chypriotes, nombreux sur ce secteur) mais exerçant en France au titre du passeport européen. En interdisant aux prestataires légaux d’être présents sur internet, le projet de loi laissait ainsi les investisseurs à la merci des seuls prestataires illégaux !

Le projet de loi résolvait donc le problème des risques encourus par les investisseurs non avertis, sans combattre le problème non moins important des entités proposant illégalement leurs services. A l’heure où nous écrivons ces lignes, ce sont en effet plus de 370 sites illégaux qui sont référencés par l’AMF sur ses listes noires.

C’est la raison pour laquelle le Rapporteur a déposé plusieurs amendements, adoptés par la Commission des lois, introduisant deux mesures essentielles :
  • Interdiction générale, pour quiconque, de faire de la publicité, par voie électronique, pour les services portant sur les produits risqués. Cette disposition complémentaire, qui sera intégrée au Code de la consommation et sera d’ordre public, permet d’une part de mettre les prestataires illégaux sur le même plan que les prestataires légaux, et d’autre part d’impliquer les professionnels de la publicité et les intermédiaires dans la lutte contre les publicités interdites, les annonceurs diffusant ou faisant diffuser une publicité interdite encourant en effet une amende de 100 000 euros.
  • Simplification de la procédure de fermeture des sites illégaux à la demande de l’AMF. Il s’agit là de permettre une plus grande réactivité de l’autorité de marché française, afin de lutter efficacement contre les nombreux sites illégaux. Aujourd’hui, la procédure est en effet longue et coûteuse : constat d’huissier, détermination de l’hébergeur réel du site, mise en demeure en plusieurs langues de l’opérateur et des hébergeurs apparent comme réel du site illégal, information des fournisseurs d’accès à internet un mois avant la saisine du Président du TGI, nouveau constat d’huissier, assignation… autant d’étapes au cours desquelles le site reste accessible aux investisseurs !
 
 
Prohibition de la publicité, pas des produits eux-mêmes… pour le moment
 
La loi Sapin II prohibe donc simplement la publicité électronique promouvant les services portant sur les instruments jugés à risque, sans interdire les instruments eux-mêmes. Les débats à l’Assemblée Nationale font cependant ressortir que cette interdiction de commercialisation fait partie des projets du Gouvernement.

Cela ne pourrait toutefois intervenir dans l’immédiat. Ce sont en effet la MIFID II et le règlement MIFIR qui l’accompagne, qui permettront à chaque Etat membre de prendre des mesures exceptionnelles d’interdiction de commercialisation, dans des conditions encadrées (risque avéré, proportionnalité de la mesure, inefficacité des règles existantes, etc.) et après information des autorités de marché des autres Etats membres et de l’Autorité Européenne des marchés financiers. Ces textes, déjà entrés en vigueur, ne s’appliqueront cependant qu’à compter du 3 janvier 2018. Du fait de l’applicabilité directe des règlements européens, il n’est pas possible de prendre, par anticipation, des mesures similaires à celles prévues par un règlement entré en vigueur, même si son applicabilité est reportée.
Les investisseurs comme les courtiers ont donc l’assurance que la commercialisation des CFD, options binaires et contrats Forex ne pourra être remise en cause avant 2018.

 
 
 
Un texte à parfaire
 
Face à cette situation, qui remet sérieusement en question la pérennité financière de leurs activités, les courtiers CFD et Forex s’organisent et tentent de trouver des solutions.  En effet, bien que le projet de loi Sapin II ne les empêche pas de continuer à fournir leurs services à leurs clients, qu’ils soient d’ailleurs avertis ou non, il va sans aucun doute les empêcher d’en prospecter de nouveaux. La bonne nouvelle pour eux est qu’ils pourront toujours diffuser de la publicité pour leurs autres services, si tant est qu’ils en fournissent.

L’une des pistes, soulevée par certains députés, serait d’interdire effectivement la publicité électronique pour les produits risqués de manière globale, tout en réservant le cas des courtiers jugés fiables. Le principe serait donc inversé par rapport à l’existant : plutôt que de faire la chasse aux prestataires illégaux, qui se multiplient à un rythme effréné et changent sans grandes difficultés de site et/ou de nom, l’AMF établirait la liste blanche des courtiers fiables, qui seuls seraient autorisés à faire de la publicité pour leurs services. Cette proposition, fort pertinente, présente toutefois l’inconvénient de ne pas solutionner le problème de la protection des investisseurs non avertis contre les risques, certes élevés, inhérents au trading sur Forex, CFD, options binaires et produits atypiques. Le projet de loi est donc encore à parfaire sur ce point.

De leur côté, les investisseurs habitués à traiter ces instruments s’inquiètent, se demandant par quoi remplacer ces instruments « hautement risqués » s’ils venaient à disparaître.

L’effervescence est telle que l’espace participatif mis à disposition des citoyens pour recueillir leur avis sur l’ensemble du texte est temporairement fermé.