LONDRES (Reuters) - Les espoirs du monde émergent sur un accord entre les pays les plus riches et la Chine sur le tortueux processus de restructuration de dette souveraine sont de nouveau déçus.

En avril, des discussions ont eu lieu visant à renforcer le "cadre commun" du G20, un processus censé accélérer et simplifier les négociations de restructuration pour les pays émergents surendettés.

Or, bien que la situation en Zambie, en défaut de paiement depuis près de trois ans, semble faire quelques progrès, les problèmes au coeur des critiques contre le cadre commun subsistent.

L'un d'eux est de savoir comment la Chine, désormais le principal prêteur bilatéral aux pays émergents, peut absorber des pertes.

Une autre question est celle du montant de la dette que les pays les plus pauvres peuvent soutenir dans un environnement de taux d'intérêts plus élevés.

Le résultat est que les pays cherchant à restructurer leur dette en sont réduits à négocier des accords sur mesure, comme avant.

"Les parties prenantes espéraient un accord rapide", explique Eswar Prasad, professeur à l'université de Cornell et ancien directeur de la division Chine du FMI, en faisant référence au redémarrage des discussions sur le cadre commun en avril, "un optimisme qui s'est avéré injustifié".

Et alors même que les créanciers publics de la Zambie sont prêts à proposer un accord de restructuration de la dette, cela est "peu susceptible de signaler une avancée dans les négociations sur un cadre plus large de restructuration de la dette", a déclaré Eswar Prasad.

Les pays du G20 ont lancé le "cadre commun" en 2020, dans un contexte de crise de la dette déclenchée par la pandémie, mais près de trois ans plus tard, alors que la Zambie, le Tchad, l'Éthiopie et le Ghana ont intégré le dispositif, celui-ci est loin d'avoir fait ses preuves.

La principale difficulté a été de déterminer le montant de la dette que les pays doivent annuler et d'amener la Chine à participer à des négociations qu'elle considère aux mains des puissances occidentales.

Lors de la tentative de réforme du cadre commun en avril, le FMI a promis de partager davantage d'informations, sur la viabilité de la dette notamment, et d'accorder aux pays en difficulté davantage de financements à des conditions préférentielles.

L'espoir était qu'en échange, la Chine renonce à exiger des prêteurs multilatéraux qu'ils assouplissent leur "statut de créancier privilégié" et qu'ils supportent une partie des pertes liées aux restructurations.

Selon certains observateurs, la Chine est pourtant loin d'avoir renoncé à ses exigences, en particulier celle que les institutions multilatérales subissent aussi des pertes sur leurs prêts.

Ni la banque centrale chinoise, ni le ministère chinois des finances n'ont répondu aux demandes de commentaires.

"Parler d'une avancée dans les négociations a certainement été une exagération", estime Kevin Gallagher, directeur du Global Development Policy Center de l'université de Boston, ajoutant que le montant des prêts concessionnels que les institutions multilatérales peuvent accorder était aussi un point de contentieux.

Dans une note publiée au début du mois, les analystes de JPMorgan écrivent qu'en dépit des "changements progressifs" apportés au cadre commun, les blocages se portaient toujours sur les mêmes questions, ce qui rendait les pays endettés réticents à déclencher le processus de restructuration.

Selon les analystes, la dette cotée de 21 pays, d'une valeur combinée de 240 milliards de dollars (219,85 milliards d'euros), traitent actuellement à des niveaux indicateurs d'inquiétudes sur la capacité de remboursement des emprunteurs (distressed levels).

AFFRONTEMENTS ENTRE CRÉANCIERS

Intégrer la Chine au "Club de Paris" des créanciers publics, un groupe traditionnellement dirigé par l'Occident, et dans le "Club de Londres" des créanciers privés, a suscité d'énormes difficultés.

Ces frictions très médiatisées ont même conduit la secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen, à accuser publiquement la Chine de faire obstacle à la conclusion d'accords de restructuration.

Cette situation a amplifié les difficultés budgétaires de pays comme la Zambie, en défaut de paiement depuis 2020.

"Je pense que ces pays en ont tous un peu marre car ils ont l'impression d'être pris dans un conflit qui les dépasse", déclare Thys Louw, gérant marchés émergents chez Ninety One.

Pékin a émis 138 milliards de dollars de nouveaux prêts entre 2010 et 2021, selon la Banque mondiale, ce qui rend sa participation aux accords de restructuration essentielle pour débloquer les fonds du FMI.

La Zambie doit à la Chine quelque 5,9 milliards de dollars, soit environ 23% de son PIB et près de la moitié des 12,8 milliards de dollars de dette extérieure qu'elle tente de restructurer.

La Zambie a même demandé au président français Emmanuel Macron d'user de son influence pour l'aider.

DES PROGRÈS "TANGIBLES"

Le FMI, la Banque mondiale et le G20 ont mis en place une table ronde sur la dette souveraine (Global Sovereign Debt Roundtable - GSDR) en début d'année, afin d'améliorer le cadre commun et d'accélérer les processus de restructuration de dette.

Le FMI a déclaré ce mois-ci qu'il s'attendait à des progrès "tangibles" lors des réunions du GSDR en juin.

Thys Louw estime que l'accord pris au niveau des équipes du FMI sur la dette ghanéenne et l'amélioration de la situation zambienne sont des signes positifs.

Mais tant qu'un cadre largement accepté n'aura pas été mis en place, les pays endettés resteront dans une situation incertaine.

Certains observateurs rappellent que le Ghana doit encore faire accepter les nouveaux termes de l'accord à ses créanciers, un exercice compliqué.

"Très souvent, les acteurs impliqués dans ces discussions laissent leur optimisme prendre le pas sur les faits (...) ; et lorsqu'il est question de savoir qui va subir quelle décote, tout se délite", résume Eswar Prasad.

(Reportage Libby George, Joe Cash, vesrsion française Corentin Chappron, édité par Blandine Hénault)