Les coups de boutoir de Carson Block, le patron de Muddy Waters, ont eu d'importantes conséquences pour Casino. Le groupe a dû accélérer son désendettement pour démontrer que l'architecture de contrôle complexe qui le caractérise ne masquait pas un risque de crédit. L'argumentaire de Block peut se résumer ainsi : le groupe coté Casino est une vache à lait qui sert à alimenter, via ses dividendes, le service de la dette de la cascade de holdings qui le domine (Rallye, Foncière Euris, Finatis). Malgré les cessions opérées, le bilan reste lourd et Muddy Waters a continué à tourmenter la société, qui est à ce jour la valeur française la plus vendue à découvert de la cote.
 

L'organisation capitalistique globale du groupe (Source : Document de référence Finatis)

Muddy Waters, que l'on peut traduire par "Eaux Troubles" en anglais, porte bien son nom. Le fonds a mis le doigt sur d'indéniables dysfonctionnements au sein de l'entreprise, mais il en a aussi été le principal bénéficiaire : plus les nouvelles étaient mauvaises, plus ses positions vendeuses étaient gagnantes. D'aucuns rétorqueraient que c'est la situation de Casino qui est la cause de tout ça. C'est vrai. D'ailleurs, le groupe s'est montré particulièrement maladroit en plusieurs occasions, contribuant à transformer les attaques de Muddy Waters en prophéties autoréalisatrices. La dernière en date, qui a provoqué le retour de la spéculation baissière sur le dossier vendredi dernier, est tout à fait symptomatique : le groupe n'a pas déposé dans les délais légaux les comptes 2017 de Casino Finance (il avait jusqu'au 31 août pour le faire en théorie : 7 mois légaux plus un bonus d'un mois pour le dépôt en ligne). Pris en flagrant délit par un Muddy Waters trop content de l'aubaine, les dirigeants ont piteusement et dans l'urgence procédé au dépôt le lendemain : ce n'est pas très grave en soi, mais ce n'est pas sérieux et cela alimente la longue liste de griefs du marché envers l'entreprise.

Difficile pour l'AMF

Pour autant, notre vendeur à découvert amateur d'eaux troubles est à la frontière du droit. Attention, on ne dit pas qu'il est du mauvais côté. Mais il est parfaitement au fait de la puissance qu'il a acquise sur le dossier Casino. Il a d'ailleurs contribué à mettre vendredi le feu aux poudres en un seul tweet sur l'absence de dépôt des comptes sur Infogreffe, même si le titre avait déjà commencé à corriger un peu plus tôt. L'Autorité des marchés financiers est bien embêtée. Au point qu'elle a dû se fendre hier d'un communiqué de rappel de "certaines dispositions applicables aux situations de spéculation baissière", notamment l'interdiction de diffuser via internet des indications fausses ou trompeuses voire non circonstanciées et donc susceptibles d'induire l'investisseur en erreur. La problématique de l'information instantanée est un véritable défi pour la communication financière et l'on souhaite bien du plaisir au régulateur français pour percer l'enchaînement qui a conduit à la chute récente de Casino. Pour tenter un parallèle transatlantique, si la relation entre les tweets hauts en couleurs d'Elon Musk et la réaction de l'action Tesla est claire comme de l'eau de roche pour la SEC, L'AMF nage en eaux nettement plus troubles.