Paris (awp/afp) - Budgétaires ou monétaires, les injections massives de liquidités pour extraire l'économie de la crise sanitaire ne devraient pas permettre de relancer l'inflation faute de demande suffisamment soutenue, constatent des économistes interrogés par l'AFP.

Une hausse des prix modérée, autour de 2% par an, est pourtant souhaitée par les banques centrales et permettrait de réduire le fardeau de la dette des Etats, qui a explosé pour faire face aux conséquences économiques du nouveau coronavirus.

La stabilité générale des prix (+0,4% sur un an dans la zone euro en juillet) n'empêche certes pas des hausses ponctuelles sur certains produits.

"Il est tout à faire envisageable que certains secteurs puissent augmenter leurs prix parce qu'ils doivent de toute façon réduire la demande", estime Simon Junker, analyste de l'institut de recherches économiques allemand DIW, en prenant l'exemple des restaurants qui doivent réduire le nombre de tables pour préserver les distances physiques entre clients.

"On pourra observer des augmentations très ponctuelles sur certains segments, en particulier dans le secteur alimentaire", note aussi Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste à l'université Panthéon-Sorbonne à Paris.

Mais elle ajoute que d'une manière générale "on est dans une situation plutôt déflationniste".

Même en Allemagne qui a abordé la crise avec le plein emploi et des finances publiques au beau fixe, "il n'y a pas eu d'inflation, en tout cas pas au sens classique d'une hausse des prix à la consommation", relève M. Junker. Et ce malgré une demande intérieure qui a pu être stabilisée grâce à une palette de mesures de soutien, dont la baisse temporaire de 3 points de TVA entre juillet et décembre.

Le comportement des consommateurs dépendra "en premier lieu de l'évolution de l'épidémie et de l'efficacité ainsi que de la disponibilité des vaccins. Plus la crise sanitaire est soudainement résolue, plus il y a de chance que l'inflation augmente", affirme Natacha Postel-Vinay, professeure d'histoire économique à la London School of Economics.

A l'inverse, avec "une épidémie qui ne devient sous contrôle que lentement, le risque inflationniste devient faible", d'autant que les ménages sont contraints dans leurs dépenses par un endettement élevé.

"Cet endettement des ménages est une raison importante de l'absence d'inflation dans les années 2010 malgré l'augmentation de l'activité des banques centrales et de la masse monétaire", rappelle cette économiste.

monnaie hélicoptère

Les mesures prises jusqu'ici ont surtout profité aux marchés et permis aux Etats de s'endetter dans des conditions favorables.

Depuis que le coronavirus a frappé, la Banque centrale européenne (BCE) s'est ainsi engagée à racheter jusqu'à 1350 milliards d'euros (1455 milliards de francs suisses) de dette déjà émise à travers un programme d'urgence.

"L'augmentation de la masse monétaire résultant de l'achat massif de différents types de dette par les banques centrales devrait augmenter le risque d'inflation", estime Mme Postel-Vinay.

Si tel n'est pas le cas, "les mesures des banques centrales se font sentir beaucoup plus au niveau du prix des actifs, c'est-à-dire que les marchés des actions en profitent, tout comme l'immobilier", constate M. Junker.

"Tant que la politique monétaire repose en grande partie sur de l'assouplissement quantitatif (QE), sur des achats d'actifs, il y a peu de raisons que ça puisse accélérer l'inflation, parce que la monnaie émise pour acheter des actifs reste dans la sphère financière et irrigue très peu l'économie réelle", estime aussi Mme Couppey-Soubeyran.

Elle relève que cela soutient le prix des actifs rachetés tout en permettant de maintenir "les taux longs à un niveau très très bas", ce qui devrait soutenir l'investissement. Pourtant "ce n'est pas du tout ce qu'on observe", selon elle.

Dans ces circonstances, elle juge que "la seule manière pour que la politique monétaire puisse augmenter l'inflation et nous extraire de la déflation, ça serait de pratiquer des transferts directs de monnaie".

Cette "monnaie hélicoptère" pourrait être répartie entre entreprises et ménages pour soutenir à la fois l'offre et la demande. Une option qui n'est toutefois pas dans l'ADN de la BCE.

Mais si jamais l'inflation venait à reprendre des couleurs, "les banques centrales seront dans une situation difficile car la tentation d'une augmentation de taux d'intérêt pour la contrôler sera grande", et cette "augmentation signifiera une augmentation du prix du remboursement de dettes de toutes sortes, y compris la dette d'Etat", met en garde Mme Postel-Vinay.

afp/fr