Si beaucoup d’entre nous auraient fait profil bas à la place Sam Bankman-Fried, l'ex-multimilliardaire en a décidé autrement. Bankman-Fried a accordé une interview aux heures de grande écoute au DealBook Summit organisé par le New York Times, et ce, contre l'avis de ses avocats. 

A titre indicatif, avant l'interview en direct de Bankman-Fried, Andrew Ross Sorkin, chroniqueur du Times, s'est entretenu avec un panel de personnalités notables et de chefs d'entreprise respectés, notamment le PDG de Meta Mark Zuckerberg, la secrétaire au Trésor américain Janet Yellen, Larry Fink de BlackRock ou encore le PDG de Netflix, Reed Hastings. Autrement dit, l’interview de Bankman-Fried ne s’est pas effectuée dans un petit cercle fermé d'aficionados de la cryptosphère.

"Nous avons foiré”, a-t-il dit, tremblant régulièrement, sirotant dans une tasse et en regardant le sol pendant qu'il parlait. "J'étais responsable, en fin de compte." Bankman-Fried a assumé la responsabilité d'un manque de surveillance qui, selon lui, a conduit à une divergence concernant les prises positions risquées sur le marché qu'Alameda Research, sa société de trading, détenait avec FTX, la plateforme d’échange de cryptomonnaies en ruine. SBF a indiqué que ces positions risquées n'étaient pas affichées sur les tableaux de bord - ah bah mince alors - à partir desquels l'ancien PDG avait travaillé pour évaluer la solvabilité des deux entreprises. 

Lorsqu'on lui a demandé s'il avait ou non commis une fraude en toute connaissance de cause et mélangé illégalement des actifs de clients pour soutenir Alameda, Bankman-Fried a catégoriquement nié tout acte répréhensible délibéré. "Je n'ai jamais essayé de commettre une fraude", a-t-il déclaré, ajoutant qu'un mois auparavant, il était "excité par les perspectives" de FTX. 

En plus, SBF a semblé anticiper son exposition devant le tribunal civil en révélant qu'il n'avait plus que 100 000 dollars à son nom, sur son compte bancaire. Un renversement radical par rapport à la valeur nette estimée à 20 milliards de dollars qui l'a propulsé sous le feu des projecteurs quelques mois plus tôt. 

Rappelons qu’il n'a pas encore, officiellement, été accusé de quoi que ce soit, il a donc l’air d’essayer de devancer d'éventuelles poursuites pénales et de blanchir sa réputation autrefois héroïque. A-t-il dit la vérité ? Enfin sa vérité ? Qui sait. Pour Bill Ackman, l'investisseur milliardaire et PDG de Pershing Square Capital Management, SBF dit la vérité. Du moins c’est ce qu’il a explicitement dit sur Tweeter “Traitez-moi de fou, mais je pense que SBF dit la vérité".

"Écoutez, j'ai eu un mauvais mois", a déclaré SBF au public qui a fourni un éclat de rire digne d'une sitcom lors de l'événement du Times. D’ailleurs, pour la petite anecdote, l'ancien milliardaire de 30 ans, qui est apparu à l'écran dans son t-shirt noir signature, a déclaré qu'il n'avait bu sa première gorgée d'alcool qu'après son 21e anniversaire. Le public bondé à New York a ri. 

En revanche, pour les sociétés de capital-risque, les institutions et les entreprises de Wall Street qui avaient précédemment ouvert les robinets de capitaux en direction de la crypto-monnaie - sans parler de toutes les contreparties et de tous les clients de FTX - le rire a été jaune au moment du bilan des pertes. Pour en citer que deux, sur 100 000 créanciers, le célèbre fonds d’investissement Sequoia Capital y laisse 150 millions de dollars, et le géant BlackRock 24 millions de dollars investis dans FTX avant la faillite. 

Pour son rôle dans la gestion des risques de l’entreprise, Bankman-Fried a déclaré qu'il n'avait pas activement géré Alameda pour éviter tout conflit d'intérêts potentiel et qu'il n'avait pas nommé de personnel administratif pour gérer les risques. Il a dit la même chose de son incapacité à mettre quelqu'un en charge du risque positionnel des clients FTX. 

L'allégation d'une mauvaise gestion des risques comme excuse crédible ne semble pas suffire pour certains. En réalité, Bankman-Fried a nié être impliqué dans une fraude délibérée et a essayé de peindre l’image de ce fiasco en tant que mauvaise gestion des risques plutôt qu’en tant que véritable escroquerie 3.0. 

Dans une interview accordée à Stephanopoulos pour ABC News, SBF indique que la consécration de sa vie a FTX “a rendu assez difficile d'avoir de vraies amitiés ou relations étroites parce que … c'était vraiment difficile pour moi de trouver des occasions de parler aux gens en tant que pairs où ils seraient à l'aise et détendus autour de moi, où personne n'avait rien à prouver. J'ai eu très peu de véritables amitiés".

A-t-il dit la vérité ? Enfin sa vérité ? Qui sait. Mais à l’écouter oui. A la fin de l’interview, Bankman-Fried a affirmé avoir dit la vérité durant cet échange “j'étais aussi véridique que moi, comme, vous savez, je sais l'être", a-t-il déclaré. De notre côté, nous pouvons en douter. Cela permet surtout, que ce soit vrai ou faux, d’attirer l’empathie du public. Pour le PDG de Galaxy Digital, Mike Novogratz, “Sam délire à propos de ce qui s'est passé et de sa culpabilité et passera du temps en prison“. 

Aujourd'hui, Bankman-Fried a déclaré qu'il se concentrait sur les processus réglementaires et juridiques et "essayait de se concentrer sur ce que je pouvais faire pour être utile". À l'avenir, il a dit qu'il espérait pouvoir dire qu'il s'était réconcilié avec tous ceux qui avaient été blessés. Nous continuerons dans les prochaines semaines à décortiquer les dommages collatéraux engendrés par la chute de FTX, et décrypterons les rebondissements croustillants qui gravitent autour de Sam Bankman-Fried.

Vous trouverez ci-dessous les deux principales interviews qu’a donné l’ancien patron de FTX cette semaine : 

Interview 1 : DealBook Summit du New York Times

Interview 2 : ABC News

L’évolution du Top 20 des cryptomonnaies en termes de capitalisation sur une semaine.
(Cliquez sur la heatmap ci-dessous pour mieux visualiser les variations)

Heatmap Crypto 
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Lectures :

L’altruisme efficace pousse une marque dangereuse de “sécurité et l’IA” (Wired, en anglais)

Le programme nucléaire de la Corée du Nord est financé par une cryptomonnaies volée. Pourrait-il s’effondrer maintenant que FTX l’a fait ?  (The Conversation, en anglais).

Les investisseurs noirs qui ont été brûlés par Bitcoin (The Atlantic, en anglais).

Crypto survivra-t-il ? (Project Syndicate, en anglais)