Quelques rappels pour démarrer. La question de l'encadrement de la vente à découvert est une problématique récurrente pour les régulateurs. La crise des subprimes et ses ramifications ont entraîné la mise en place d'une trame commune en Europe, fondée sur des obligations de transparence plus que sur des mesures restrictives. Cela n'a pas toujours été le cas sur la période récente. On se souvient que quatre gendarmes boursiers (en France, Italie, Espagne et Belgique) avaient, à l'été 2011, interdit de concert la vente à découvert de certaines valeurs financières*, pour tenter de limiter les effets de contagion de la crise de la dette grecque. Salutaire pour certains, contreproductive et démagogique pour d'autres, cette décision n'avait laissé personne indifférent. Elle était restée en vigueur d'août 2011 à février 2012 dans l'hexagone, une époque de forte tension financière et politique (l'occasion de se souvenir que François Baroin a été Ministre de l'Economie sous Nicolas Sarkozy pendant 10 mois, à cette période justement).

Explosion des déclarations

Le débat n'est pas près de s'éteindre. D'un côté, les pourfendeurs de ce qu'ils estiment être de la spéculation pure. De l'autre, les défenseurs d'un procédé qu'ils disent indispensable pour gommer les aberrations du marché. Depuis le 1er novembre 2012, une directive européenne régit la vente à découvert (l'AMF disposait déjà à cette date d'un arsenal à peu près identique). Pour les actions admises aux négociations en Europe, le droit européen impose la déclaration des positions courtes nettes égales ou supérieures à 0,2%, 0,3%, ou 0,4% du capital d'une société dans un délai d'un jour de négociation, et sa publication sur le site de l'AMF si elle dépasse 0,5% du capital ou en cas de franchissement à la hausse d'un des seuils successifs supplémentaires fixés par palier de 0,1% et en cas de franchissement à la baisse d'un des seuils précédemment mentionnés. A titre indicatif, il y a eu 1 226 déclarations de positions courtes nettes sur le site de l'AMF entre le 1er janvier et le 14 août 2018, mais seulement 396 en 2017 et 168 en 2016.

Dark VADeur

Pour illustrer mon propos, je vais me servir de Casino, une action qui a dégringolé de près de 40% cette année en bourse mais qui est malmenée depuis plus longtemps, fin 2015 précisément, lorsque l'investisseur activiste Carson Block (Muddy Waters) était parti en croisade contre la dette du distributeur. Sur l'année 2016 du reste, 20,8% des déclarations de positions courtes nettes publiées sur le site de l'AMF (35 sur 168) concernaient Casino. Ce taux recule à 11,3% en 2017 et à 7,5% depuis le début de l'année. Mais le groupe est toujours la cible préférée des VADeurs, surtout depuis que Bernstein a émis, la semaine dernière, des doutes sur l'impact financier des accords de franchise en France. Si le distributeur a contesté vigoureusement l'analyse, cela n'a pas empéché l'action de décrocher… ni les vendeurs à découvert de se renforcer. Mais comment le savoir ?

Je vous propose deux méthodes, même si je sais pertinemment laquelle vous utiliserez par la suite.

A l'ancienne

La première consiste à remonter directement à la source via l'austère formulaire de recherche du site de l'AMF, pas toujours évident à manipuler. Il convient de :
1. cocher la case "Seuils, pactes, dérogations & examens"
2. renseigner la raison sociale "Casino" (Casino Guichard-Perrachon, en l'espèce)
3. sélectionner "déclaration de positions courtes nettes" dans "type de document",
4. cliquer sur "lancer la recherche", ce qui permet d'accéder à la liste des déclarations en PDF.

On y trouve toutes les déclarations de positions courtes nettes depuis qu'elles sont publiées, qui permet de jauger du poids des vendeurs à découvert sur un dossier. L'interface de l'AMF est malheureusement brute de décoffrage et nécessite des allers et retours fastidieux pour disposer d'une vision synthétique. Au fait, elle permet aussi de trouver les fonds qui sont positionnés sur le dossier, mais pas à la vente cette fois. Il suffit de remplacer "déclaration de positions courtes nettes" par "déclaration de participations, de franchissement de seuil…" à l'étape 3. Même principe si vous cherchez à savoir si les "insiders" ont acheté ou vendu (en cochant la case "déclaration des dirigeants" plutôt que "seuils, pactes, dérogations & examens" à l'étape 1.

Netherlands Style

Certains sites permettent une agrégation de données plus efficace. C'est le cas du néerlandais shortsell.nl, qui propose ce type de représentation pour le dossier Casino et qui rassemble un palmarès de la VAD en France. En date du 14 août et sur la base des déclarations de la veille, on constate que Casino est la valeur qui supporte le plus de positions courtes nettes (13,54% selon shortsell.nl), devant Technicolor (12,02%) et Vallourec (11,86%). Le site permet aussi de visualiser les modifications récentes : dans le cas qui nous occupe, la polémique qui a suivi la diffusion de l'étude de Bernstein a, c'est visible, entraîné un renforcement des positions vendeuses. Mon expérience personnelle montre que ce site paraît fiable même s'il ne peut recenser que les positions que les fonds sont légalement tenus de déclarer (cf. le second paragraphe ci-dessus).

Il faut noter que l'AMF propose depuis le 25 juillet dernier une "consolidation des publications de vente à découvert" depuis le 1er novembre 2012, au format XLS, mis à jour le dernier jour ouvré de chaque mois.


En France, April, AXA, BNP Paribas, CIC, CNP Assurances, Crédit agricole, Euler Hermès, Natixis, Scor et Société générale. CIC et Euler Hermès ont depuis quitté la cote.