Les entreprises (non-financières) du Vieux continent, à l'inverse de leurs homologues américaines, ont historiquement renâclé à faire appel au marché pour satisfaire leurs besoins. Mais entre 2006 et 2017, la part des obligations dans l'enveloppe totale de financement est passée de 10 à 16%, a noté Standard & Poor's Global Market Intelligence. Dans le même temps, le recours au financement bancaire a baissé de 56 à 46%. Pas très spectaculaire me direz-vous. Bon ok, je m'incline, mais…


Cocorico

En France, le mouvement de désintermédiation est bien plus marqué. Les travaux de S&P montrent que les entreprises hexagonales (toujours dans le secteur non-financier) sont allées chercher près du tiers (32%) de leurs financements sur le marché obligataire en 2017. Deux fois plus que la moyenne européenne. C'est assez énorme, surtout rapporté aux 14% de l'Allemagne et aux 4% de l'Espagne. "Pour une fois que les Français sont en avance dans le financement de quelque chose", me glisse-t-on côté droit. "Il doit certainement y avoir une carotte fiscale", entends-je à ma gauche. Et bien non, pas du tout. Si les entreprises françaises font si souvent appel à la dette obligataire, nous révèle S&P, c'est que le marché des capitaux hexagonal est ancien et bien développé et qu'il accueille une part importante de grandes entreprises, lesquelles ont plus de facilité que dans le reste de la zone euro à aller taper à la porte du marché et des investisseurs (c'est aussi dû à leur qualité de crédit).
 

Les obligations en pourcentage du PIB en zone euro (source étude S&P GMI)

A l'Est, rien de nouveau

Pour donner une représentation tout à fait exacte de la réalité, il ne faut pas omettre de rappeler que le marché des obligations corporate français était déjà bien plus dynamique que la moyenne avant la crise, pour les raisons évoquées ci-dessus, et qu'il a bénéficié d'un effet d'aubaine vu la situation du secteur bancaire au plus fort du "credit crunch". En Europe du Sud, le scénario était assez différent. Le marché des capitaux en Espagne ou en Italie est bien moins développé qu'en France, même s'il est sur une pente ascendante. Il n'a donc pas pris le relais dans les mêmes proportions quand les banques locales ont vacillé. A cela s'ajoute une propension naturelle aux augmentations de capital dans ces deux pays. Enfin, le cas allemand est atypique, avec peu de variations d'une période à l'autre, ce que S&P explique par une reprise économique plus rapide qui a permis aux entreprises de s'autofinancer plutôt que d'aller chercher les fonds auprès du marché ou des banques.
 

Part du financement obligataire dans le financement total, par pays (source S&P GMI)

La hausse des taux ne devrait pas peser

Avec la perspective du démarrage d'un nouveau cycle de resserrement monétaire en Europe, la question se pose de savoir si la tendance initiée il y a plus de dix ans va se poursuivre. S&P Global Market Intelligence pense qu'il n'y aura pas d'inversion. Le système financier devrait continuer à être largement irrigué dans les années à venir, malgré la fin du QE. Les conditions de crédit vont nécessairement se durcir, mais de façon progressive. Elles affecteront avant tout les sociétés classées en catégorie spéculative. En parallèle, un véritable marché de capitaux pourrait voir le jour à terme à l'échelle européenne, conformément à la volonté exprimée par la Commission. La désintermédiation devrait donc se poursuivre, mais sur un rythme moins elevé.