par Parisa Hafezi, John Irish, Tom Balmforth et Jonathan Landay

DUBAÏ, 21 février (Reuters) - L'Iran a fourni à la Russie des centaines de puissants missiles balistiques sol-sol, ont déclaré six sources à Reuters, mettant en exergue le renforcement de la coopération militaire entre Téhéran et Moscou, tous deux ciblés par des sanctions imposées par les Etats-Unis.

Selon trois sources iraniennes, environ 400 missiles ont été fournis par Téhéran, dont principalement des missiles à courte portée de la famille du Fateh-110, tels que le Zolfaghar - un missile transportable par la route et capable d'atteindre des cibles à une distance comprise entre 300 et 700 kilomètres.

Le ministère iranien de la Défense et le corps des Gardiens de la Révolution iranienne, unité d'élite de l'armée qui supervise le programme balistique iranien, ont décliné des demandes de commentaire.

D'après l'une des sources iraniennes, les livraisons vers la Russie ont commencé début janvier, à la suite d'un accord finalisé en fin d'année dernière lors de réunions organisées à Téhéran et Moscou entre représentants militaires et sécuritaires des deux pays.

Un représentant de l'armée iranienne, s'exprimant sous couvert d'anonymat, a indiqué qu'il y a eu au moins quatre livraisons de missiles et que des livraisons supplémentaires seraient effectuées au cours des prochaines semaines. Il a refusé de donner davantage de détails.

Certains des missiles ont été transportés par bateau, via la mer Caspienne, et d'autres par avion, a déclaré un autre représentant iranien de haut rang.

"Il y aura des livraisons supplémentaires. Il n'y a aucune raison de cacher cela. Nous sommes autorisés à exporter des armes à tout pays selon nos souhaits", a dit l'un des représentants.

ARMES DE PRÉCISION

Les restrictions imposées par le Conseil de sécurité des Nations unies à l'Iran pour l'exportation de certains de ses missiles, drones et d'autres technologies, ont expiré en octobre dernier.

Toutefois, les Etats-Unis et l'Union européenne ont maintenu des sanctions contre le programme balistique de l'Iran du fait de craintes à l'égard d'exportations d'armes vers les milices alliées à Téhéran au Moyen-Orient et vers la Russie.

Une quatrième source au fait de la question a confirmé que la Russie avait récemment reçu des missiles en provenance d'Iran, sans fournir de précisions.

Aucun commentaire n'a été obtenu dans l'immédiat auprès du ministère russe de la Défense.

Début janvier, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison blanche, John Kirby, a déclaré que les Etats-Unis étaient préoccupés par le fait que la Russie était proche d'acquérir des missiles balistiques à courte portée auprès de l'Iran, en plus des missiles déjà obtenus par Moscou auprès de la Corée du Nord.

Un responsable américain a déclaré à Reuters que Washington avait constaté que les négociations progressaient activement, mais que rien n'indiquait encore que des livraisons avaient eu lieu.

Le Pentagone n'a pas répondu dans l'immédiat à une demande de commentaire sur les livraisons de missiles.

Si les missiles balistiques fournis par Pyongyang se sont avérés peu fiables, selon le procureur général ukrainien, qui a indiqué vendredi que seuls deux missiles sur 24 avaient atteint leurs cibles, un expert a déclaré que les missiles iraniens de la famille du Fateh-110 et le Zolfaghar étaient en revanche des armes de précision.

La Russie et la Corée du Nord nient toute livraison de missiles nord-coréens à Moscou.

"Ils sont utilisés pour cibler des choses de grande valeur et nécessitant des dégâts précis", a déclaré Jeffrey Lewis, expert du Middlebury Institute of International Studies, basé à Monterey en Californie. Des dégâts considérables peuvent être causés par 400 munitions de ce type, a-t-il ajouté.

"PERCER LES DÉFENSES AÉRIENNES UKRAINIENNES"

Une source militaire ukrainienne a déclaré à Reuters que Kyiv n'avait pas recensé une quelconque utilisation de missiles balistiques iraniens par les troupes russes.

Le ministère ukrainien de la Défense n'a pas répondu dans l'immédiat à une demande de commentaire.

D'après l'ancien ministre ukrainien de la Défense, Andreï Zagorodnouk, la Russie entend compléter son arsenal militaire en parallèle à l'impasse au Congrès américain sur une nouvelle aide majeure à l'Ukraine, qui fait face à une pénurie de munitions et d'autres équipements.

En l'absence du soutien supplémentaire crucial de Washington, Kyiv "manque de défenses sol-air" et Moscou veut ainsi "accumuler un stock de roquettes et percer les défenses aériennes ukrainiennes", a déclaré Andreï Zagorodnouk, désormais à la tête du Centre pour les stratégies de Défense, un think tank basé à Kyiv qui conseille le gouvernement.

L'Ukraine a régulièrement demandé à l'Iran de ne plus fournir de drones à la Russie, alors que ces engins sont devenus l'une des marques de fabrique des attaques à longue portée menées par Moscou contre des villes et les infrastructures ukrainiennes.

Selon des données de l'armée de l'air ukrainienne communiquées en décembre dernier, la Russie a lancé quelque 3.700 drones Shahed de fabrication iranienne depuis le début de la guerre. Ces drones sont capables de parcourir des centaines de kilomètres et d'exploser à l'impact.

"RELATION TRANSACTIONNELLE"

Après avoir dans un premier temps nié toute livraison de drones à la Russie, l'Iran a déclaré quelques mois plus tard avoir fourni un petit nombre de drones à Moscou avant que celui-ci ne lance son offensive en Ukraine en février 2022.

"Ceux qui accusent l'Iran de fournir des armes à l'un des camps de la guerre en Ukraine le font à des fins politiques", a déclaré lundi le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Nasser Kanaani, en réponse à une question sur les livraisons iraniennes de drones à la Russie. "Nous n'avons donné aucun drone pour participer à cette guerre", a-t-il ajouté.

Le pouvoir clérical iranien s'évertue à renforcer les relations de Téhéran avec la Russie et la Chine, espérant ainsi mieux résister aux sanctions américaines et ne pas être isolé sur la scène internationale.

Il s'agit d'une question encore plus sensible depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, alors que l'Iran soutient de longue date le Hamas palestinien. Téhéran nie toute implication dans l'attaque meurtrière du 7 octobre en Israël et veut éviter une confrontation directe avec l'Etat hébreu au risque que les Etats-Unis entrent aussi en guerre.

Un diplomate occidental au fait de la question a confirmé à Reuters la livraison de missiles balistiques iraniens à la Russie ces dernières semaines, sans en dire davantage.

Il a exprimé la préoccupation des Occidentaux à l'égard de transferts réciproques d'armes entre la Russie et l'Iran qui pourraient renforcer la position de ce dernier en cas de conflit avec les Etats-Unis et Israël.

Téhéran a indiqué en novembre dernier avoir finalisé les détails d'un accord prévoyant que Moscou lui fournisse les avions de chasse russes Su-35, les hélicoptères d'attaque Mi-28 et des simulateurs de vol Yak-130 pour la formation des pilotes.

La Russie est pour l'Iran un allié de circonstances, a déclaré Gregory Brew, analyste du cabinet spécialisé en risque politique Eurasia Group.

"Cette relation est transactionnelle. En échange de drones, l'Iran attend davantage de coopération sécuritaire et d'armements de pointe, en particulier des avions modernes", a-t-il dit. (Reportage Parisa Hafezi à Dubai, John Irish à Paris, Tom Balmforth à Moscou, Jonathan Landay à Washington, avec la contribution de Steve Holland et Phil Stewart à Washington ; version française Jean Terzian, édité par Kate Entringer)