(Actualisé tout du long)

par Nidal al-Mughrabi et Fadi Shana

LE CAIRE/GAZA, 14 décembre (Reuters) - Israël a poursuivi jeudi son pilonnage de la bande de Gaza, tuant des familles entières dans leurs maisons, malgré les appels répétés de la communauté internationale à la protection de la population civile, dont celui des Etats-Unis qui ont dépêché un émissaire à Jérusalem.

Deux semaines après la rupture de la trêve, la guerre est entrée dans une phase intense, avec des combats faisant désormais rage dans toute l'enclave palestinienne et des organisations internationales mettant en garde contre une catastrophe humanitaire totale.

À Rafah, au sud de Gaza, où les déplacés s'entassent sous des tentes de fortune, des femmes et des hommes pleuraient jeudi la mort d'au moins 26 personnes dans un bombardement aérien nocturne qui a rasé plusieurs maisons. Les corps enveloppés dans des linceuls ensanglantés, dont ceux de jeunes enfants, ont été transportés à la morgue de la ville.

Les secours continuaient de s'affairer jeudi matin dans les décombres pour extraire des victimes. Un voisin, Fadel Chabaane, raconte s'être précipité sur place après le bombardement.

"C'était difficile à cause de la poussière et des cris des gens. Nous y sommes allés et nous avons vu notre voisin qui avait dix martyrs dans sa famille. C'est un camp sûr ici, il n'y a rien (comme cible militaire)", a-t-il assuré.

Israël a rejeté tous les appels au cessez-le-feu, notamment une résolution du Conseil de sécurité de l'Onu bloquée par le veto américain la semaine dernière et une autre qui a été adoptée à une écrasante majorité par l'Assemblée générale cette semaine.

Tout en protégeant son allié à l'Onu, Washington s'inquiète de plus en plus vocalement du nombre de civils tués à Gaza, alors que le président Joe Biden a dénoncé cette semaine des bombardements "aveugles" de l'armée israélienne.

ÉMISSAIRE AMÉRICAIN À JÉRUSALEM

Le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jake Sullivan, est arrivé jeudi en Israël, où il devrait rester jusqu'à vendredi pour tenter de convaincre les dirigeants de l'Etat hébreu de la nécessité de mener des frappes plus précises.

Jusqu'à 45% des 29.000 bombes larguées par Israël sur Gaza depuis le 7 octobre n'avaient pas de système de guidage, selon une évaluation des services de renseignement américains rapportée par CNN.

Les critiques américaines ont provoqué la colère de responsables israéliens, comme le ministre de l'Agriculture Avi Dichter, membre du cabinet de sécurité israélien et du parti Likoud du Premier ministre Benjamin Netanyahu.

"Les 'bombes stupides' (non guidées, NDLR) n'existent pas. Certaines bombes sont plus précises, d'autres moins. Ce que nous avons, ce sont surtout des pilotes précis", a-t-il déclaré à la radio militaire. "Il n'y a aucune chance que l'armée de l'air israélienne ou d'autres unités militaires aient tiré sur des cibles qui n'étaient pas des cibles terroristes."

Les représailles menées par Israël depuis le massacre commis par le Hamas le 7 octobre sur le sol israélien ont fait près de 19.000 morts et 51.000 blessés, selon le dernier bilan fourni par le ministère de la Santé de Gaza.

La quasi-totalité des 2,3 millions de Gazaouis ont été forcés de quitter leurs maisons et à fuir de lieu en lieu pour tenter d'échapper aux combats. La nourriture et les médicaments s'épuisent et les organisations humanitaires internationales disent craindre que de nombreux déplacés succombent à la faim et aux maladies.

Malgré sa promesse de préserver davantage la population civile à l'issue de la trêve d'une semaine qui avait permis la libération d'une centaine d'otages ramenés par le Hamas à Gaza, Israël a intensifié ses bombardements, n'épargnant plus aucune partie de la petite enclave.

"OÙ POUVONS-NOUS ALLER MAINTENANT ?"

A Khan Younès, théâtre de violents combats depuis deux semaines, un pâté de maisons entier a été réduit en poussière pendant la nuit par les bombardements. Bien que la plupart des habitants aient fui après avoir été averti par de l'imminence du bombardement, un corps a été extrait des décombres et des voisins creusaient avec des pelles à la recherche d'autres disparus.

"Tout a été détruit", se lamentait Nesmah al Biouk, revenue voir les ruines de sa maison. "Il n'y a plus rien, notre maison, l'usine, nos voisins, tout a disparu. Où pouvons-nous aller maintenant ?"

Dans le nord, y compris dans les ruines de la ville de Gaza, les combats n'ont fait que s'intensifier depuis qu'Israël a annoncé que ses troupes avaient largement atteint leurs objectifs militaires le mois dernier.

Dix soldats israéliens sont morts mardi, dont des officiers jusqu'au grade de colonel, la plupart tués dans une embuscade dans une zone commerciale du quartier de Chedjaïa à Gaza, les pertes les plus lourdes en une journée pour l'armée depuis le mois d'octobre.

Oum Mohamed, 53 ans, mère de sept enfants dont la maison est située à environ 1,5 km de Chedjaïa, a estimé que l'intensité des bombardements menés dans la nuit montrait qu'Israël voulait venger la mort de ses soldats.

"La résistance leur a fait beaucoup de mal là-bas et ils tentent de se venger en bombardant les civils et en détruisant les maisons", a-t-elle déclaré.

L'armée israélienne a dit de son côté avoir détruit un "site opérationnel" du Hamas dans une école de Chedjaïa, ainsi que deux puits de tunnel et un poste de tir de roquettes à Khan Younès.

Dans le camp de réfugiés de Jabaleya, toujours dans le nord de Gaza, les soldats israéliens ont pris d'assaut un hôpital et ont dit y avoir arrêté des hommes armés.

Le porte-parole du ministère de la Santé de Gaza, Achraf al Qidra, a pour sa part accusé les forces israéliennes d'avoir arrêté et malmené le personnel soignant, et de l'avoir empêché de soigner des blessés dont deux sont décédés.

Reuters n'a pas été en mesure de se rendre sur place pour vérifier les faits de manière indépendante.

L'enclave palestinienne surpeuplée est menacée d'un désastre humanitaire en raison des destructions, des pénuries, de l'effondrement de son système de santé.

"Nous avons la recette parfaite pour des épidémies et une catastrophe de santé publique", a résumé Lynn Hastings, coordinatrice humanitaire de l'Onu pour les territoires palestiniens occupés. (Nidal al-Mughrabi au Caire, Fadi Shana à Gaza, Ilan Rosenberg et Frank Jack Daniel à Jérusalem, Humeyra Pamuk et Kanishka Singh à Washington, Jean-Stéphane Brosse et Tangi Salaün pour la version française, édité par Kate Entringer)