A l'origine étaient les crypto-actifs, cet instrument un peu hybride, ni tout à fait devise, ni tout à fait valeur mobilière, et encore moins bien ordinaire. Pour le juriste, sa qualification est floue. Pour autant, pas question pour le Trésor de laisser passer cette manne financière !

A l’apparition des crypto-monnaies, l’administration fiscale avait décidé de les intégrer tout simplement au revenu global, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC) ou des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), selon que l’activité du contribuable était occasionnelle ou habituelle. Cela conduisait donc à une imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu, pouvant aller jusqu’à 45%. De quoi faire réfléchir plus d’un contribuable, malgré la perspective de plus-values conséquentes.
 
En avril 2018, le Conseil d’Etat avait retoqué la position de l’administration en décidant de rattacher les crypto-actifs à la catégorie des biens meubles, dès lors que l’activité du contribuable n’est pas habituelle. Conséquence de cette assimilation surprenante, pour ne pas dire saugrenue, des crypto-actifs aux navires de plaisance ou chevaux de course ? Plus d’intégration des plus-values de cession au revenu global mais une imposition au taux forfaitaire de 19%, auxquels il faut encore ajouter les prélèvements sociaux, à hauteur de 17,2%. Soit un taux d’imposition global de 36,2% pour tous les contribuables, quel que soit leur taux d’imposition sur le revenu. Autre particularité : l’obligation de déclarer chaque plus-value dans le délai d’un mois de sa réalisation, chaque plus-value réalisée étant en effet imposable. Et sans déduction possible des moins-values réalisées par ailleurs au cours d’autres cessions. Une fiscalité qui manquait pour le moins d'attrait !
 
En parallèle, le Conseil d’Etat confirmait la position du fisc quant à l’intégration des plus-values de cession au revenu global dans la catégorie des BIC lorsque l’activité de cession de crypto-actifs est habituelle et surtout, précisait que l’activité de minage elle-même (c’est-à-dire lorsque le crypto-actif constitue pour le contribuable, non pas un placement, mais un revenu) était pour sa part soumise au régime des BNC.
Pour le Conseil d'Etat, les crypto-actifs relèvent donc de trois régimes fiscaux différents selon l'activité du contribuable.
 
La Loi de finances a créé un régime spécifique
 
Face à cette situation singulière, Eric Woerth, président de la commission des finances, a profité de l'examen de la loi de finances 2019 pour proposer un régime fiscal unique pour les crypto-actifs. Dans un souci de clarification et de simplification, il proposait tout simplement d'assujettir les crypto-actifs au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30%, également connu sous le nom de "flat tax", dès lors que les crypto-actifs sont convertis en monnaie ayant cours légal ou utilisés comme moyen de paiement, sans autre distinction.
Cette proposition, qui avait l'avantage de la simplicité, n'a cependant pas été soutenue par le Gouvernement, qui a proposé son propre régime, autrement plus complexe. La raison ? Appliquer aux crypto-actifs le PFU, qui est le régime fiscal des valeurs mobilières, reviendrait à qualifier ceux-ci de valeurs mobilières. Plus concrétement, cela aurait permis au contribuable d'imputer ses éventuelles moins-values liées aux crypto-actifs sur ses plus-values sur les valeurs mobilières traditionnelles et ce, pendant 10 ans. Faire de la France une place attractive pour les crypto-actifs oui ; prendre le risque d'une diminution des recettes fiscales issues des valeurs mobilières traditionnelles en neutralisant la prise de risques sur les crypto-actifs, non.
 
C'est ainsi que la loi de finances 2019 a instauré un régime spécifique d’imposition pour les actifs numériques, prévu à l’article 150 VH bis du Code général des impôts : la plus-value globale réalisée au titre d’une année d’imposition est imposée au taux global de 30% (12,8% d’imposition forfaitaire et 17,2% de prélèvements sociaux). Les modalités de déclaration par les contribuables n’ayant été précisées qu’au cours de l’été avec la publication du décret n° 2019-656, l’administration fiscale n’a mis à jour le BOFIP (Bulletin Officiel des Finances Publiques – Impôts) que ce lundi 2 septembre. Ce régime d’imposition spécifique, qui rapproche les jetons et crypto-monnaies des valeurs mobilières traditionnelles semble plus cohérent et pertinent que les précédents. Cependant, faute d'assimilation complète aux valeurs mobilières traditionnelles, ce régime s'avère nettement plus complexe d’application. 
 
  • Etape n°1 : calculez la plus ou moins-value. Le Gouvernement l'a annoncé clairement dans les débats parlementaires : calculer la plus-value de cession des crypto-actifs n'est pas aussi simple que calculer celle des valeurs mobilières. Il ne s’agit pas en effet, tout bêtement, du prix de cession diminué du prix d’acquisition. En matière de crypto-actifs, la plus-value est égale au prix de cession diminué du produit du prix total d’acquisition de l’ensemble du portefeuille d’actifs numériques par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille au moment de la cession. Vous l'avez ? Un exemple :
En février 2019, un contribuable ouvre un compte et acquiert pour 1 000 € d’actifs numériques.
En mars, la valeur de son portefeuille atteint 1 300 € ; il décide de sécuriser son gain en réalisant une cession à hauteur de 500 €.
La plus-value dégagée est donc égale à : 500 – (1000 x 500 / 1300) = 500 – 385 = 115 €
 
Formule de calcul de la plus ou moins-value de cession :
  • Etape n°2 : recommencez pour chaque cession ! Alors que pour les valeurs mobilières traditionnelles, comme les actions, on calcule la plus ou moins-value par simple différence entre le solde en début et fin d’année, en matière de crypto-actifs, le calcul de la plus ou moins-value doit être réalisé pour chaque cession. Petite particularité ici : par "cession", il faut entendre non seulement la cession traditionnelle (crypto-actif contre devise légale) mais également l’échange de crypto-actif contre un bien (ou un service). Utiliser ses crypto-actifs comme une monnaie pour acquérir un bien doit donc conduire le contribuable à déclarer une plus-value (ou une moins-value le cas échéant), calculée en fonction de la valeur du bien ainsi acquis. En conséquence de ce calcul systématique de la plus-value, il convient de réduire chaque fois le prix total d’acquisition de la somme des fractions de capital initial et ce, afin de tenir compte des cessions préalables. Reprenons notre exemple précédent.
Au mois de septembre, la valeur du portefeuille de notre contribuable atteint désormais 1 100 € ; le contribuable utilise son portefeuille pour s’acheter une tablette tactile d’une valeur de 700 € sur une plateforme acceptant les cryptomonnaies comme moyen de paiement.
Pour déterminer la plus-value réalisée à cette occasion, il convient de minorer le prix total d’acquisition de la fraction de capital initial de 385 € déduite lors de la précédente cession.
La plus-value est donc égale à : 700 – [(1000 – 385) x 700 / 1100] = 700 – 391 = 309 €
  • Etape n°3 : A la fin de l'année, additionnez l'ensemble des plus-values et moins-values pour déterminer votre plus ou moins-value globale. Ici, aucune difficulté particulière, une simple addition est requise. Dans notre exemple, notre contribuable devra donc déclarer, pour l'année 2019, une plus-value globale de 115 + 309 = 424 €, sur laquelle il sera imposé au taux global de 30%, soit une imposition de 127 €.
 
Ce nouveau régime, qui contraint les contribuables à garder trace de chaque cession, s'applique à toutes les cessions réalisées depuis le 1er janvier 2019. Le contribuable devra non seulement ajouter dans sa déclaration de revenus le montant de sa plus-ou moins-value globale réalisée sur crypto-actifs au cours de l'année, mais également joindre en annexe la liste de l'intégralité des cessions imposables réalisées au cours de l'année, avec calcul de la plus ou moins-value en résultant. Un vrai travail de comptable pour les contribuables les plus actifs !
A noter que le contribuable dont le montant total des cessions au cours d’une année d’imposition n’excède pas 305 € bénéficie d’une exonération.

Le sort particulier des moins-values
 
A l’inverse de ce qui a cours pour les instruments financiers traditionnels, les éventuelles moins-values réalisées ne sont imputables que sur les plus-values de même nature réalisées la même année. Concrètement, cela signifie que si le contribuable peut compenser ses moins-values sur cryptoactifs de l’année avec ses plus-values sur cryptoactifs, afin de dégager une plus ou moins-value globale sur l’année, il ne pourra en revanche imputer l’éventuelle moins-value globale ainsi dégagée, ni sur les plus-values de cession de biens d’une autre nature (telle une plus-value sur actions), ni sur les futures plus-values de cession sur crypto-actifs. Pour autant, cette moins-value doit tout de même être portée sur la déclaration de revenus du contribuable.

Maintien des deux autres régimes d'imposition

Alors que lors des débats parlementaires le Gouvernement rappelait sa volonté de faire de Paris "la première place financière d'Europe", reconnaissant que cela passait par un soutien à toutes les nouvelles technologies financières (qui plus est dans le contexte du Brexit), force est d'admettre que le régime fiscal adopté pour les crypto-actifs est loin d'être simple et attractif. On a au contraire plutôt l'impression d'une usine à gaz où nombreux sont les contribuables qui vont mal évaluer leurs plus-values et s'exposer au risque d'une rectification fiscale.

Plus encore, au lieu d'unifier le régime fiscal des crypto-actifs, le Gouvernement a maintenu le point de vue adopté par le Conseil d'Etat au printemps 2018 : le taux de 30% ne s'applique qu'aux contribuables dont les cessions présentent un caractère occasionnel. Dès lors que les cessions présentent un caractère habituel, le contribuable tombe en effet dans le régime des BIC. Et lorsque les cessions de crypto-actifs réalisées par le contribuable sont la contrepartie de sa participation à la création ou au fonctionnement du système d'unité de compte virtuelle, c'est-à-dire d'une activité de minage, c'est alors le régime des BNC qui doit être appliqué.
La création d'un régime spécifique n'a donc en rien simplifié l'imposition des crypto-actifs.
 
Pour finir, n’oublions pas que, dès le 1er janvier 2020, les comptes d’actifs numériques ouverts, détenus, utilisés ou clos à l’étranger devront être déclarés à l’administration fiscale, au même titre que les comptes ordinaires et comptes-titres détenus à l’étranger. Le contribuable négligent risque en effet une amende de 750 € par compte non déclaré, portée à 1 500 € lorsque la valeur vénale du compte non déclaré a été supérieure à 50 000 € à un moment quelconque au cours de l’année d’imposition concernée.