Les valeurs bancaires italiennes ont effectué un spectaculaire retournement lors de la séance du 28 mai. Le rebond initial se transforme en nouvelle déroute puisqu'Intesa, sur une chute de -3,4%, est le dossier le plus résistant. Unicredit, Banco BPM, Ubi Banca ou Mediobanca cèdent davantage encore. La tension politique est montée d'un cran avec le refus du Président Mattarella d'entériner le gouvernement proposé par Giuseppe Conte hier à cause de la présence d'un eurosceptique aux finances. Conte a jeté l'éponge. Mattarella a demandé à Carlo Cottarelli, un ancien haut responsable du FMI, de constituer un gouvernement. L'intéressé a précisé que des élections législatives auront lieu début 2019 s'il obtient la confiance du parlement, ou dès le mois d'août si ce n'est pas le cas. 

Un air de déjà-vu

La tempête actuelle n'est pas vraiment une surprise. "Les banques italiennes sont de retour en territoire familier", rappelle Andrew Fraser, le patron de la recherche crédit d'Aberdeen Standard Investments. Mais le spécialiste souligne qu'il existe plusieurs secteurs bancaires en Italie, avec des capacités de résistance fort différentes. A ce titre, il ne se fait pas trop de soucis pour Intesa ou Unicredit, même si le marché risque de mettre un peu de temps à séparer le bon grain de l'ivraie. Mais c'est la prudence qui domine chez Fraser, qui voit le mouvement de vente se poursuivre tant que la température politique ne sera pas retombée. "connaissant la nature tempétueuse de la politique italienne, cela pourrait prendre un certain temps", reconnaît-il.

Pour bien jauger de l'impact de la crise actuelle sur les banques transalpines, nous republions ci-dessous un article assez récent (24 mai 2018) qui donne un éclairage intéressant sur la situation, d'autant que les jours qui viennent de s'écouler tendent à valider le scénario développé : 

Souviens-toi la dernière crise de confiance sur la dette et de son impact sur les bancaires… Des remous qui ne remontent pas à 2008 comme on pourrait le penser, mais bien au début de l'année 2016. C'est le bureau d'études AlphaValue qui nous met sur la piste, dans le cadre d'un commentaire plutôt instructif dont l'objectif est de faire un parallèle avec la situation italienne actuelle. Début 2016 donc, c'est le spectre de la déflation qui avait fait perdre aux groupes bancaires généralistes (européens, pas seulement italiens) le quart de leur valeur, et davantage encore aux banques d'investissement, par le truchement de la vente massive de dette junior (et de "coco bonds").

Le terrain perdu a d'ailleurs à peine été repris deux ans plus tard. "Comme pour toute autre activité, la déflation remet en cause la capacité des banques à assurer le service de leur dette", rappelle AlphaValue. Le contexte actuel est différent dans sa génèse, mais il pourrait avoir des conséquences identiques : une profonde crise de confiance. Et les banques italiennes et leur dette junior sont la courroie de transmission de l'instabilité politique transalpine sur les marchés étrangers et sur l'euro.

La dette junior, une spécifité locale

Revenons un peu sur cette notion de dette junior. Nous évoquons ici une situation assez typique de l'Italie. Un rapport officiel couvrant l'année 2016 avait montré que près de la moitié de la dette junior (des obligations en l'occurrence) des banques était placée chez les ménages du pays (et 17% chez les banques transalpines elles-mêmes). Nul besoin de faire un dessin pour comprendre le risque que cela représente en cas de crise bancaire, en premier lieu pour les épargnants puisque le principe d'une dette junior est de passer après la dette principale dite "senior", elle-même sérieusement mise à mal en cas, par exemple, de faillite bancaire. Une situation qui s'était présentée en 2015 lorsque les autorités italiennes avaient dû renflouer quatre petites banques régionales. Les dépôts avaient été garantis, mais beaucoup de clients étaient aussi créanciers obligataires et avaient perdu gros. Il avait été déterminé à l'époque que 44% environ de la dette junior des banques régionales concernées était détenue par des petits porteurs.


 
En Italie, le secteur bancaire a déjà commencé sa correction, comme le montre notre graphique de gauche, une tendance qui concerne tous les acteurs. Les établissements du pays sous-performent largement par rapport aux indices et même au secteur (cf. BNP Paribas sur le second graphique). Il faut dire que la situation de la finance italienne est encore difficile. Dans un état des lieux dressé en octobre dernier, Moody's Investor Services soulignait que les banques du pays affichaient en moyenne 17,3% de créances à risque, contre 5,1% en moyenne pour l'ensemble des établissements européens. Ces données étaient basées sur les chiffres de la Banque centrale européenne et de la Banque d'Italie disponibles fin 2016. La "mauvaise dette" provenait à l'époque à 72% des entreprises de plus de 5 salariés.
 
La structure du marché bancaire italien (source : Moody's Investor Services, octobre 2017)

On entre dans le dur

"Le véritable test est certainement encore à venir", prévient de son côté Bruno Cavalier, qui note que le risque politique italien mesuré par le spread BTP-Bund s'est tendu, mais il est loin des 200 points (le niveau des élections françaises de 2017). Le chef économiste d'Oddo BHF identifie plusieurs voies de transmission du risque politique à l'économie réelle. La première est évidemment un durcissement des conditions financières. La seconde tient à l'attentisme des agents économiques intérieurs. Enfin, "il faut considérer le canal du crédit", selon l'économiste, car le programme M5S / Ligue pourrait mettre un frein au programme d'assainissement des créances douteuses et litigieuses dans lequel les banques italiennes étaient engagées.

Sur les cinq dernières séances, Intesa a chuté de 12%, Ubi Banca de 10%, Assicurazioni Generali de 7,7% et Unicredit de 5%.