par Francois Murphy et Sudip Kar-Gupta

VIENNE/PARIS, 7 juin (Reuters) - L'Iran ne coopérera pas plus étroitement avec les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) tant que l'impasse dans laquelle se trouve l'accord sur le programme nucléaire iranien ne sera pas résolue, a annoncé mercredi l'émissaire iranien auprès de l'Onu.

La France, signataire de l'accord de 2015 sur le nucléaire iranien (JCPOA), a mis en garde l'Iran contre la tentation de "flirter avec les lignes rouges" après l'annonce de son projet d'augmentation de sa capacité d'enrichissement d'uranium.

Téhéran a annoncé dans le même temps que l'équipement permettant de construire des centrifugeuses avancées sur le site de la centrale nucléaire de Natanz devrait être achevé d'ici un mois.

Depuis que Donald Trump a retiré le mois dernier les Etats-Unis de l'accord de 2015 et décidé d'imposer de nouvelles sanctions contre la République islamique, les puissances européennes se sont démenées pour sauver le JCPOA.

Les ministres français, britanniques et allemands des Affaires étrangères et des Finances ont écrit aux représentants américains pour souligner leur engagement à respecter le pacte et pour exhorter Washington à exempter des sanctions à venir les entreprises européennes actives en Iran.

IRRITATION

Un retrait de Téhéran de l'accord de 2015, qui prévoit un allègement des sanctions contre l'Iran en échange d'un encadrement strict de ses activités nucléaires, "déstabiliserait davantage une région où d'autres conflits seraient désastreux", ont écrit les ministres dans une lettre datée du 4 juin et que Reuters a consultée mercredi.

Depuis l'annonce du retrait des Etats-Unis, les autorités iraniennes ont envoyé des signaux mitigés concernant l'hypothèse que les autres signataires du JCPOA, dont la Chine et la Russie font aussi partie, parviennent à sauver l'accord.

Le guide suprême de la Révolution iranienne, l'ayatollah Ali Khamenei, a demandé lundi, dans un discours retransmis à la télévision, que soient entamés des préparatifs en vue d'augmenter la capacité d'enrichissement de l'uranium de l'Iran dans l'hypothèse où l'accord de 2015 deviendrait caduc.

Téhéran a aussi notifié l'AIEA, l'organisme de l'Onu chargé de contrôler les activités nucléaire de l'Iran, de la préparation d'un plan pour accroître le nombre de ses centrifugeuses.

A Paris, le ministre français des Affaires étrangères a mis en garde l'Iran, tout en réaffirmant que cette initiative "malvenue" ne contrevenait pas à l'accord de 2015 sur le programme nucléaire iranien.

"Cette initiative, je crois, est assez malvenue, ça montre une forme d'irritation, et c'est toujours dangereux de flirter avec les lignes rouges", a dit Jean-Yves Le Drian mercredi sur Europe 1.

Le secrétaire d'Etat américain, Mike Pompeo, a déclaré sur Twitter que Washington était au courant de la volonté de l'Iran d'augmenter sa capacité d'enrichissement d'uranium.

"Nous ne laisserons pas l'Iran développer l'arme nucléaire", a tweeté le chef de la diplomatie américaine. "L'Iran est conscient de notre détermination", a-t-il ajouté.

"TRAVAUX PRÉPARATOIRES"

Soulignant que la patience de Téhéran, face aux efforts des Européens pour sauver l'accord, n'était pas illimitée, l'émissaire iranien auprès de l'AIEA a déclaré qu'un délai de quelques semaines avait été laissé aux trois puissances européennes.

"Cela veut dire plusieurs semaines, pas plusieurs mois", a assuré Reza Najafi à l'issue d'une réunion à Vienne du comité de direction de l'agence.

Il a également rejeté les appels de l'AIEA pour que Téhéran fasse un effort supplémentaire dans sa coopération avec les inspecteurs de l'agence.

Tant que l'impasse demeure, "personne ne doit attendre de l'Iran d'instaurer davantage de mesures volontaires", a dit Najafi. "Mais je dois insister sur le fait que cela ne signifie pas pour le moment que l'Iran va reprendre ses activités" contrairement à ce qui est défini par l'accord, a-t-il ajouté. "Ce sont seulement des travaux préparatoires".

L'Iran a fait comprendre qu'il ne céderait pas aux pressions occidentales.

Interrogé sur une remarque de Pompeo le mois dernier, selon qui l'Iran devait stopper tout enrichissement d'uranium, le directeur de l'Organisation de l'énergie atomique d'Iran (OEAI), Ali Akbar Salehi, a déclaré : "Nous avons dépassé ce point. Cet homme a parlé pour lui-même".

Selon un rapport confidentiel de l'AIEA, publié après le retrait des Etats-Unis le mois dernier et consulté par Reuters, l'Iran respecte les restrictions imposées à ses activités nucléaires par l'accord international de juillet 2015.

Le document déplore toutefois que les Iraniens traînent quelque peu les pieds à propos des "moyens élargis de vérification" prévus par le protocole additionnel de l'AIEA, dans le cadre de l'accord. (Avec Tom Koerkemeier à Berlin, Bozorgmehr Sharafedin à Londres et Eric Beech à Washington, Jean Terzian pour le service français)